L'âme de Rido Bayonne
Rido Bayonne, l’artiste panafricain d’origine congolaise continue à tracer sa route, loin des courants en vogue et des humeurs mercantiles du milieu afro-parisien. A coeurs et âmes, son dernier album, continue à surprendre. Près de 150 musiciens, 14 langues, une profusion de styles. Un rêve de chef d’orchestre qui défie toute étiquette réductrice.
Quarante années de principe.
Rido Bayonne, l’artiste panafricain d’origine congolaise continue à tracer sa route, loin des courants en vogue et des humeurs mercantiles du milieu afro-parisien. A coeurs et âmes, son dernier album, continue à surprendre. Près de 150 musiciens, 14 langues, une profusion de styles. Un rêve de chef d’orchestre qui défie toute étiquette réductrice.
Un vrai mystère que ce Rido Bayonne. Les uns vous parlent de son génie, les autres de sa générosité. Mais tous avouent ne pas comprendre pourquoi sa musique n’apparaît pas au grand jour. Le public qui le suit discrètement, l’encense avec une multitude de qualificatifs démesurés. Mais la musique de Rido est comme lui. Elle possède une âme. Elle est généreuse. Elle pousse surtout le mélomane à se remettre en cause. Une musique inclassable qui passe du sacré au profane sans le dire, avec grâce et harmonie, doigté et sincérité.
Rido est un as de la composition. Il plie les genres à ses caprices de maître. Inspiré par la volonté de rencontrer l’autre, il joue sans cesse au funambule avec une baguette de chef d’orchestre qui déstabilise plus d’un producteur. Voilà pourquoi on entend rarement parler de lui. Rido n’aime pas la facilité, ni la concession. Ecrire pour lui, c’est vouloir se surpasser. C’est se situer forcément au-delà des attentes et des penchants du grand nombre. Pour le suivre, il vaut mieux avoir une tête bien pleine d’images et de vécu. Être curieux d’entendre les chants de tous les ailleurs s’interpénétrer dans l’esprit d’un seul homme.
Après trente années de vie en France, pays d’où est parti le train des musiques du monde, sa démarche, pourtant inédite, n’a ainsi pas remué les foules. D’abord, parce que Rido est un homme à principes. Ensuite, parce qu’il est toujours dans l’avant-garde et rêve de grands ensembles symphoniques. Ce qui est rare dans le milieu africain où l’on souhaite le cantonner. Conversation.
Dans le microcosme afro-parisien, personne n’arrive à expliquer que votre talent, pourtant consacré par tous, ne perce pas au grand jour. Vous êtes ainsi devenu une curiosité, une énigme ?
Je suis quelqu’un qui s’oppose à pas mal de choses. Je refuse de céder devant des gens qui veulent m’enlever ma dignité ou m’orienter vers un chemin qui n’est pas le mien. C’est la raison pour laquelle je suis seul à tracer mon chemin depuis une quarantaine d’années. En travaillant avec beaucoup de sincérité et avec des gens qui me comprennent, plutôt que d’aller vers des gens qui cherchent à me détruire. Ceci explique peut-être cette situation. Moi je veux seulement que cette musique que je fais, qui m’inspire et me donne l’occasion de saisir des tas de choses dans cette vie, me donne l’occasion de vivre paisiblement. Or, la meilleure façon d’être en paix, c’est d’être soi-même.
Vous avez une réputation qui dénote : caractère de chien ou homme de conviction, selon l’interlocuteur. Ce qui ne facilite pas la tâche des collaborateurs potentiels…
Je ne suis pas têtu. Je n’ai pas mauvais caractère. Je suis seulement victime d’une position qui est la mienne depuis toujours, celle qui défend ce que je suis, plutôt que ce les autres veulent que je sois. Car la musique africaine est devenue une mode que tout le monde veut exploiter. Moi je ne me suis jamais senti concerné par ce phénomène. Je tiens à ce que les artistes soient respectés pour ce qu’ils font, et non parce qu'ils suivent une mode. Ce n’est pas parce qu’un Africain a sorti une kora avec succès que tous les autres doivent le faire. Ceux qui disent que je suis une tête brûlée se trompent. Je suis seulement conscient de ce que je veux.
Scéniquement, beaucoup de gens me proposent des concerts à 4 ou 5 musiciens. Tout le monde fait ça, parce que c’est plus économique. C’est un problème pour moi parce ce que ce n’est plus mon écriture. J’ai envie d’avoir un orchestre conséquent pour pouvoir donner un concert qui corresponde à mon univers. C’est déjà un premier point qui amène les gens à ne pas m’appeler. Ils se disent qu’un big band coûte trop cher.
L’argent est le nerf de la guerre. On ne peut échapper à cette règle.
C’est faux. Moi j’arrive à faire ce que j’aime. Mais les producteurs sont trop radins. Ils ne veulent pas investir. Chacun d’entre eux voudrait se faire des millions sur le dos des artistes, sans investir. C’est ce qui s’est passé sur mon dernier album. Je suis allé voir pleins de gens, dont je ne citerais pas les noms ici. Ils ont voulu m’imposer beaucoup de choses. Et je leur répondais : "Si je l’ai conçu comme tel, c’est d’abord parce qu’il contient un message bien plus important que notre discussion."
Il faut dire que votre album n'est pas simple à réaliser. Autant de musiciens pour un seul disque !
Ce disque est une sorte de testament. J’ai eu un problème de santé grave. Je pensais que j’allais mourir. Et j’ai voulu laisser une œuvre-testament. Je ne voulais pas enlever un musicien ou une langue d’interprétation ou encore un autre élément pour le seul plaisir d’un producteur. J’ai donc été amené à produire le disque moi-même. Je me retrouve donc producteur sur un projet lourd qui avait du mal à trouver une structure digne de ce nom.
On a l’impression que vous souhaitez donner raison à ceux qui affirment que Rido est un mégalo.
C’est possible. Mais peut-on refuser à quelqu’un d’avoir de grandes ambitions. Parfois, les gens se contentent de me juger d’après ce qu’on dit de moi. Qu’un patron de festival vienne me voir, en disant "Voilà, Rido, j’ai tant d'euros, fais-moi un concert à 7 ou 10 musiciens au lieu de vingt. Fais-moi un disque à 15 ou 20 musiciens, plutôt qu’à 30." Et je le ferai. Je ne suis pas complètement fermé. Mais à partir du moment où on ne me demande rien, je fais comme je le ressens.
Avoir envie d'une grande formation correspond donc à cette volonté de faire de la musique pour beaucoup ?
Les Américains le font, c’est accepté. Pourquoi pas un Africain ? Manu Dibango l’a fait. On ne le lui a pas reproché. Mais il n’y en a pas d’autres. Les Boulez ont des orchestres qui fonctionnent, on ne leur dit rien. Certains disent que ça ne correspond pas à l’Afrique parce qu’ils en ont une image figée. Mais ce que je fais, c’est toujours l’Afrique. L’Afrique de demain peut-être. Moi j’avance dans ma musique. C’est tout ce qui m’intéresse.
Un mot sur votre parcours, Paris, Bruxelles, l’Europe... Combien d’années d’exil ou de vie hors de l’Afrique ?
Trente ans à Paris. Trente années pleines, quarante années d’exil en tout et quarante-deux ans de réflexion personnelle sur ces années d’abandon. Car j’ai quitté les miens très tôt, en 1960, à 11 ou 12 ans. Et depuis, je suis à la recherche de quelque chose que je n’aie pas à travers la musique. Quelque chose à partager avec l’autre. Je cours après ce qui peut permettre de communiquer ensemble, d’aller contre la guerre qui est en nous. J’aimerais bien apporter un peu de paix à mes semblables par le biais de la musique, qui est la seule arme pacifique que je connaisse.
Vous venez de faire un tour en Afrique, après des années d’absence. Quel sentiment vous a inspiré ce voyage ?
Je considère ce séjour en Afrique comme mon meilleur examen de passage. Maintenant, je peux aller n’importe où. A Douala, c’est le makossa qui règne. Au Congo, c’est le n’dombolo, le soukouss. Il se trouve que j’ai donné quatre concerts avec plaisir dans des lieux qui sont des lieux de prestige dans l’histoire des musiques africaines. Les gens étaient heureux de m’accueillir et de partager cette musique. Ils m’ont donné raison.
Rido Bayonne sur le net
A cœur et âmes (2Good Distrib)