Doc Gynéco
Pour le quatrième épisode de ses aventures, Bruno Beausire, alias Doc Gynéco ouvre avec Solitaire sa troisième voie entre hip hop, rythmes insulaires et tradition française, revendiquant ainsi sa triple culture.
Quatrième consultation
Pour le quatrième épisode de ses aventures, Bruno Beausire, alias Doc Gynéco ouvre avec Solitaire sa troisième voie entre hip hop, rythmes insulaires et tradition française, revendiquant ainsi sa triple culture.
A vingt-huit ans, avec son sourire coquin et ses locks, Doc Gynéco est un rapper aussi décalé que polémique. Fou du roi et chroniqueur télévisuel sur France 3 , il incarne de ses provoc' et ses rondeurs cette scène française agitée. Il faut pourtant prendre ce Doc-là très au sérieux car ce nouvel album marque aussi la maturité d’un montage de cépages enivrants où rap, zouk, salsa, groove et chanson forment un mélange harmonieux. Farfelu dans ses écrits, parfois poète mais toujours cinglant, Gynéco prend décidément la zique au sérieux. Solitaire n’échappe pas à la règle. Du slow syncopé Pauvre de moi au sarcastique et cool L’âge ingrat , le Doc se projette tour à tour dans les années dorées de la funk music Funky Maxime , le raga sucré salé West Indies , le zouk love ensoleillé Les censeurs , le romantique à la française « Quoi qu’ils en pensent ou disent", le hip hop musclé « Flash ».
Gynéco jongle ainsi entre palettes musicales et émotionnelles (ses racines antillaises, son ineffable coté dragueur, sa culture rap, son sens de la provoc, son amour immodéré du verbe) pour nous offrir cette œuvre.
RFI : En 4 albums, votre personnage Doc Gynéco est devenu très médiatique !
Doc Gynéco : Jamais je n’aurais pensé réussir, en réalité. Dans le premier album, il s’agissait avant tout de rendre hommage aux Antilles. Il y a tant d’artistes dont on ne connaît pas les origines ou le vécu. Moi au contraire cela ne m’a jamais gêné de les assumer. Certaines choses pouvaient paraître trop dures à exprimer, je ne voulais pas spécialement que le public le sache, mais les médias ne sont-ils pas là pour s’en charger à ta place dans leurs rubriques « faits divers » ?
RFI: Vous êtes aussi sarcastique lorsque vous chantez dans L’âge ingrat : « Quand j’étais jeune, j’étais la plus belle. » !
Doc Gyneco : Là , en l’occurrence, je m’inspire de mes aventures avec des femmes plus âgées, voire mûres. Car je me suis rendu compte qu’elles avaient un tas de complexes par rapport aux jeunes filles, qu’elles prenaient la pose sans doute moins facilement lors de nos séances de peinture ! (rire) Les hommes je crois, assument plus facilement leur gros bide.
RFI: Vous mitraillez aussi les cadres sup’ des labels, ces « mecs qui valaient onze centimes » comme vous le chantiez sur vos Liaisons dangereuses .
Doc Gyneco : C’était moins sur le physique, effectivement que sur l’esprit conservateur, modèle « j'y suis-j’y reste dans mon bureau moquettes épaisses et plantes vertes ». Même si parfois ils savent être à l’initiative de projets de qualités, il y a un cycle de générations et je me dis que, pour dénicher un bon rappeur de vingt ans, cela doit être dur pour un monsieur de 55 piges qui a connu le rock and roll. Et en même temps, parfois cela peut être facile, il faut voir. Car quel que soit leur âge, les meilleurs restent les passionnés.
RFI: Donc si vous ne faites pratiquement pas de maquette, tout est dans la tête ?
Doc Gyneco : Titre par titre, tout est dans la mémoire interne. Je me mets tous mes gimmicks dans la caboche, car je ne sais pas faire fonctionner les machines. Et je n’ai nulle envie d’apprendre.
RFI: Et vous ne connaissez rien au solfège, n’est-ce pas ?
Doc Gyneco : Je fais tout à l’oreille et au feeling. Et avec ces musiciens qui mettent leurs propres vibes dans ce qu’ils font. Car aucun musicien sur cette Terre à qui l’on donne un gimmick n’en fera précisément ce que tu souhaites. En fait, on ne prend que ce qu’ils donnent.
RFI: Funky Maxime c’est funk, évidemment, mais Maxime n’est pas le restaurant de luxe Maxim’s ?
Doc Gyneco : Je joue sur les mots, la maxime mais aussi le restau, le côté luxe. Le groove joue sur cette période, entre Chic et Shalamar, des trucs terribles. Mes potes avaient envie d’un son gros tel que celui-ci. Ils me disaient « vas y, sors nous un son énorme et total funky » .
RFI: Ce sont vos racines aussi ?
Doc Gyneco : Grave ! On avait les vinyles chez nous. Même quand il n’y avait plus de platine à la maison, il restait les disques : on avait bousillé tous les diamants.
RFI: Je vais me faire l’avocat du diable mais Vaya con dios par exemple dans l’écriture n’est pas loin de L’homme qui valait dix centimes ,comme Solitaire peut rappeler Caramel . Il y a vraiment un style Gynéco ou vous vous répétez ?
Doc Gyneco : Dans l’esprit, il y a un style Gynéco, c’est indéniable. En fait sur des morceaux comme ceux cités, tout était enregistré live. Sur Quality street , il n’y avait aucune programmation machine. C’est le Gynéco classique, enfin celui que je peux faire, car je suis comme tout le monde : on a chacun un domaine où l’on excelle.
RFI: Vous avez essayé d’autres choses, il y a une superbe chanson style variété française classique Quoi qu’ils en pensent… qui ne sonne pas du tout hip hop .
Doc Gyneco : On peut classer cela dans la variété. J’ai besoin de cela…
RFI: De s’ouvrir ?
Doc Gyneco : Je n’ai nulle envie d’un disque uniforme 100% hip hop, je n’y arriverais pas sur tout un album ! Avec des potes, sur un concept bien précis, surtout si Stomy (Bugsy) et Passi m’appellent pour un projet, ils ne vont jamais accepter que je fasse un morceau comme celui-ci dans l’album. (rire) Ils vont me dire, tu es fou ? Qu’est ce que tu nous fais ? Mais moi perso, oui !
RFI: C’est aussi votre culture, la pop française ?
Doc Gyneco : Bien entendu, mais je reste le seul rappeur à le revendiquer ouvertement. Car aucun n’avoue avoir vu tous les dessins animés à la con qui passaient à la télé ! On a grandi en France, alors que tous ces mecs donnent l’impression qu’ils viennent des Etats-Unis.
RFI: Alors qu’ils écoutaient Cloclo et Joe Dassin !
Doc Gyneco : Exactement ! Ce qui marche le plus en variétés c’est justement ce qui est un peu groovy parfois dans le chant. Et dans le rap, ce qui fonctionne le mieux, ce qui touche tout le monde, ce sont les reprises. Les variéteux ont un a priori sur le rap, les rappeurs ont un a priori sur la variété, mais quand on les additionne, cela explose !
RFI: En fait vous êtes bien plus tranquille à faire vos disques de votre côté plutôt que de vous frotter à une bande de rappeurs teigneux…
Doc Gyneco : Je ne pourrais plus le vivre dans l’esprit.
RFI: En même temps vous chantez à un moment sur l’album « Je veux être le premier vieillard du rap français » !
Doc Gyneco : Forcément, on va toujours mettre mes disques dans les bacs « rap » chez les disquaires. Mais moi je m’en fiche, j’ai envie d’être partout avec une musique qui sera toujours présente tant qu’il y aura des ghettos et des légendes à raconter.
RFI: Bruno/ Gynéco, c’est comme Marshall Mathers/ Eminem, un schizo à la Gainsbourg/Gainsbarre ?
Doc Gyneco : (rire) Gynéco n’a pas su accepter le star system à cause de la présence de Bruno, l’éducation de Bruno, les souvenirs de Bruno. Gynéco c’était surtout la rue . Et en même temps, on m’appelait aussi Bruno dans la rue. Je n’ai jamais su m’évader complètement de ce que j’ai vécu.
RFI : Pourtant depuis 7 ans, vous n’avez pas foncièrement changé !
Doc Gyneco : On pourrait dire que non. J’étais embêtant à l’époque, même si j’étais timide. J’ai toujours été le petit frère, la mascotte ; et le fait d’avoir réussi le premier m’a aussi aidé à ne pas perdre la tête. Je n’avais jamais pensé réussir dans la musique, j’ai fait le premier album pour m’amuser. Cela a marché pour moi et aussi pour les autres. Moi j’étais fan de mes potes. Je me suis dit pourquoi après « Première Consultation », on n’a pas tout de suite fait un album Ministère A.M.E.R. Mais c’était égoïste. J’ai compris que les autres avaient d’abord envie de faire leurs albums solo.
RFI: Comme Passi avec son Bisso na Bisso, vous ne projetez pas de lancer un grand disque unitaire antillais, avec tous les héros du genre ?
Doc Gyneco : Il faudrait enrôler Jacob Desvarieux et les gens de Kassav, se connecter avec Janik, Malavoi, etc …Il faudrait que l’on s’unisse pour faire quelque chose de beau, comme dans les années 80. Je n’oublierai jamais que le premier concert de ma vie c’était Kassav au Zénith !
Propos recueillis par Gérard BAR-DAVID
Photo de homepage: Barron Claiborne/Virgin
DOC GYNÉCO : nouvel album « Solitaire » Virgin