Astonvilla
Il y a encore deux ans, on n'aurait pas donné cher d'Astonvilla, groupe rock qui surfait avec peine sur les échecs commerciaux et les changements de label. Mais c'était sans compter sur leur bonne étoile... Une Victoire de la Musique plus tard - émaillée d'un savoureux esclandre à l'encontre d'un patron de label indélicat -, le quatuor parisien éclot enfin avec un Strange qui marquera la rentrée et les esprits.
Les quatre fantastiques de Strange.
Il y a encore deux ans, on n'aurait pas donné cher d'Astonvilla, groupe rock qui surfait avec peine sur les échecs commerciaux et les changements de label. Mais c'était sans compter sur leur bonne étoile... Une Victoire de la Musique plus tard - émaillée d'un savoureux esclandre à l'encontre d'un patron de label indélicat -, le quatuor parisien éclot enfin avec un Strange qui marquera la rentrée et les esprits.
Après deux albums studio et un album live on serait tenté de dire 'enfin' ! Enfin la reconnaissance du public, de la presse et des médias.
Fred : C’est vrai qu’on n'a pas eu un succès immédiat et fracassant. Tout notre mérite est de ne pas s'être découragé, de rester solidaire et le succès est arrivé avec un album live. C’est ce qui pouvait avoir de plus flatteur pour nous, puisque c’est grâce à la scène qu’on a tenu. C’est par-là que la consécration est venue.
Doc : Je pense que ce qui a fait le succès du live, c’est sa lisibilité. On retrouvait les chansons telles qu’elles étaient composées : guitare/voix et c’est cela qui a fait la différence. En entendant la trame, les gens ont mieux perçu les morceaux.
Avec le recul, les galères, les changements de maison de disques, vous dites-vous que ce disque est un aboutissement ?
Fred : Evidemment, cela fait évoluer, cela forge le caractère. Il fallait peut-être passer par là. Je crois qu’en France, il y a un passage obligé de sept/huit ans pour voir si tu résistes au vent du show-biz. L’industrie du disque n’est pas très favorable aux groupes en développement débarquant de nulle part. Ce n’est pas un chemin de croix, non. Parce que pour nous tous, la musique, c’est aussi un immense plaisir. Mais pour répondre à la question : "Enfin !", on a la perspective de faire durer le plaisir, alors qu’avant, à la sortie de chaque album, il y avait cette angoisse, un flou terrible pour nous, on ne savait pas trop où on allait ... Heureusement, aux Victoires de la Musique (Découverte de l'année), il y a une reconnaissance de tout ce travail et puis, cette Victoire, ce n’est pas n’importe laquelle. C’était celle du public, qui avait d’autant plus de valeur à nos yeux.
Est-ce que vous vous sentez être la relève du rock français ?
Fred : Nous, on est la relève de rien du tout parce qu’il faut savoir que le rock se porte très, très bien ! Il n’est simplement pas médiatisé, pas mis en avant. On est constamment sur la route et on peut vérifier sur le terrain qu’il y a des centaines de gamins qui prennent la guitare et font de la musique pendant que des gens dans les maisons de disques se prélassent dans leurs fauteuils en attendant que des talents viennent frapper à leur porte. C’est très dommage qu’il ne puisse pas y avoir tous les styles et tous les genres avec le même espace d’expression. Si tu es dans le milieu rock, tu n’as que l’espace live, celui de la scène où tu es cantonné. C’est parfois plus long, mais c’est plus sûr que d'être la nouvelle starlette de Star Academy que tout le monde aura oublié dans un an.
Invincible est une chanson inspirée du soleil de Marseille. Pourquoi avoir quitté Paris pour cette ville ?
Fred : Invincible, c’est prendre du recul, une distance avec une période où l’on n'est pas très serein. Des remous qui déstabilisent un artiste dont le travail n’est pas reconnu. Je suis parti à Marseille, il y a deux ans, avec l'idée sous-jacente d'arrêter la musique. Je voulais tout arrêter et j’ai créé un espace pour laisser venir les choses. Presque par magie on est entré en contact avec un label en phase avec le groupe. Des gens qui aiment vraiment la musique, c'est la preuve qu'il fallait prendre du recul et se détacher plutôt que s’acharner.
Jean Fauque vous a écrit le texte de Prière. Comment s'est passé le travail avec lui ?
Fred : C’est l’auteur de prédilection d'un chanteur dont on est tous fans : Bashung. Et on a fait la connaissance d’un personnage très spirituel, marrant, généreux. Il a fallu qu’on fasse un petit peu connaissance parce qu’il ne s’agissait pas de débarquer comme cela : "Eh m’sieur Fauque, tu nous écris une chanson, s’il te plaît ?". Il a fallu discuter un peu avant, faire connaissance et quand il a écrit Prière, j’étais bouleversé de chanter une telle chanson. Il est parti du personnage tragique du Cid. Un Cid qui est content d’être en enfer, tout va bien pour lui, tout baigne, laissez-le tranquille. Au-delà, il y a le pouvoir de l’état, le romantisme, l’amour tragique.
Selon vous, a quoi tient le talent de Jean Fauque ?
Fred : Il a le don de faire passer le message avec une subtilité et une finesse particulière. Il n’y a pas d’équivalent chez les auteurs en France. Ce ne sont pas des jeux de mots gratuits. Il y a un vrai fond derrière, des associations d’idées, des thèmes sous-jacents. Je trouve cela extraordinaire. Ça décomplexe un peu parce ce que la langue française n’est pas une langue très facile, très souple à chanter ... Alors que là, couchée sur le papier avec une plume comme celle de Jean Fauque, elle prend toute sa dimension !
Vous êtes très actif au sein de l'association Survival. Quel est son rôle ?
Doc : C’est une association qui défend les droits des peuples indigènes. Des peuples qui, pour leur malheur, vivent sur des territoires gorgés de richesses convoitées par des multinationales, des gouvernements qui n’hésitent pas à envahir ces territoires ou à supprimer ces peuples. Cette association a pour rôle d’alerter l’opinion publique pour lui dire qu'en ce moment, par exemple, les orpailleurs d’Amazonie éliminent physiquement les Indiens. Le but est de faire pression par des courriers, des pétitions sur le gouvernement brésilien. Il y a eu de nombreuses victoires depuis trente ans. Par exemple, en 1993, le territoire des Yanomamis a été préservé alors qu’ils étaient menacés de disparaître. C'est une lutte constante qui nous tient vraiment à cœur. On a fait deux concerts de soutien dont un avec M, Dolly, Tryo et pleins d’autres.
Slow Food qui clôt votre album est un véritable poème culinaire. Comment vous est venue cette idée ?
Doc: Ce n’est pas tant une attaque contre les mauvais restaurants qu’un hommage à la culture et à la gastronomie française. On a eu la chance de rencontrer le restaurateur Pierre Gagnaire lors d'une émission de radio et puis, récemment, il nous a fait lire un de ses menus. C’était littéralement de la poésie et on a eu envie de mettre une musique sur ce texte. On a appelé des amis comme Zazie, Jean-Pierre Coffe, Bashung, Renaud de Lofofora, Les Robins des Bois ... Ils se sont prêtés au jeu et sont venus, chacun, lire un menu. On voulait un hommage à des gens qui sont des champions du monde de la bouffe au même titre qu’on a des champions du monde de foot.
Pierre Gagnaire : J'étais ravi de leur idée ! Le public auquel il s’adresse est plutôt constitué de jeunes qui ne s'intéressent pas toujours à la cuisine et au-delà à l'alimentation. Pour eux, c'est un truc de vieux cons, pour les bourgeois friqués. Et l’intérêt est de leur montrer un univers qu’ils ne connaissent pas forcément. Je prends cela, bien sûr, comme un hommage à mon travail mais ce qui m’interpelle, c’est que des rockers s’intéressent à quelque chose qui a priori n’est pas fait pour eux. Ce qui me fait plaisir, c’est qu’ils alignent des mots que j’écris depuis vingt ans. Des mots qui m’ont donné les clefs de ce que pouvait être la cuisine. A la façon dont ils énoncent les plats, on sent la gourmandise et il y a une espèce de montée en puissance musicale qui correspond complètement à ce que doit être un repas.
Aston Villa Strange (Naïve) 2002