Sur un air de Boogaerts
Après deux albums et quatre ans de réflexion, Mathieu Boogaerts nous revient, épanoui. L'objet du bonheur s'appelle 2000 : onze chansons élégantes, parfois joyeuses, parfois moroses. A la veille de la toute première date de sa tournée, seul en scène, au festival Paragraphe de Mâcon, le chanteur nous parle de ce délicieux CD.
Nouveau siècle et remise en question.
Après deux albums et quatre ans de réflexion, Mathieu Boogaerts nous revient, épanoui. L'objet du bonheur s'appelle 2000 : onze chansons élégantes, parfois joyeuses, parfois moroses. A la veille de la toute première date de sa tournée, seul en scène, au festival Paragraphe de Mâcon, le chanteur nous parle de ce délicieux CD.
Mathieu Boogaerts arrive au rendez-vous, souriant mais à peine éveillé, casque de scooter à la main et veste de treillis sur le dos tel un ado en route pour le lycée. Normal pour quelqu'un qui revendique son goût des jouets et des univers enfantins. Même si ce troisième CD est plus ambitieux, plus riche en sonorités que les précédents. Les premières notes country de Las Vegas nous étonnent, nous amusent et nous introduisent dans un univers fin et presque ensorcelant fait de petites histoires de cœur (le Ciment, Néhémie d'Akkade), d'amis (Matthieu), de destinées moroses (Renée). Une œuvre délicate comme un magasin de jouets où les mélodies révèlent une maîtrise du genre (l'Espace). Ce matin-là, Mathieu Boogaerts nous écoute, sourire en coin et yeux grands ouverts. Curieux et détaché.
L'année 2000 est-elle symbolique pour vous ?
Oui, quand j'étais petit, je pensais qu'après 2000, je vivrais la deuxième partie de ma vie. Et l'année 2000 représente vraiment ce disque parce que j'ai commencé à l'écrire et à l'enregistrer à ce moment-là. Le précédent album enfermait de vieux titres. Là, je suis parti de rien.
C'est une habitude chez vous de se remettre en question ? Oui, tout à fait. On appelle ça brûler ses vaisseaux, aller sur une île et brûler ses bateaux pour repartir de rien. Je fais tout le temps ça, mais c'est relatif. J'aime bien jeter et repartir à zéro. Et j'aime bien l'idée de sortir un disque en 2002 qui s'appelle 2000...
Deux de vos musiciens (Albin de la Simone aux claviers et Fabrice Moreau à la batterie) et votre réalisateur, Renaud Létang (Manu Chao, Aubert, Bruel...) ont travaillé récemment avec Souchon ? Est-ce un hasard ?
Oui, je les connaissais avant. Mais, c'est un micro monde. Avec Renaud, on a le même âge, la même taille, presque la même tête... Et pour avoir été confronté régulièrement à des partenaires potentiels au cours de rencontres de travail, je sais que j'ai souvent du mal à être à l'aise. Avec Renaud, dès la première rencontre, j'ai eu l'impression qu'on avait été ensemble à l'école, etc. Ca a collé tout de suite. C'est très important un climat comme ça pour faire des choses efficaces. Pour revenir à Souchon, c'est vrai que j'ai adoré sa tournée acoustique, j'ai du le voir 12 fois. C'était vraiment beau. Je vais me jeter sur le disque live qui va sortir !
Vous avez été multi-instrumentiste dès votre enfance ? L'orgue à 10 ans, la batterie à 12, la basse, la guitare...
Oui, j'ai toujours considéré les instruments comme des jouets, je n'ai jamais eu de pratique académique. Mais ceux qui l'ont fait jouent beaucoup mieux que moi !... Même si je trouve que je joue de mieux en mieux, je reste malgré tout un musicien assez complexé. J'ai ma propre façon d'apprendre donc quand je joue avec d'autres gens, il faut que je me sente à l'aise pour oser me lâcher.
Que pensez-vous de cette identité de chanteur minimaliste qu'on vous a collée ?
Il y a un phénomène boule-de-neige dans la presse. Je m'en rends de plus en plus compte. Si des gens y ont pensé, c'est qu'il y a sûrement une raison. C'est vrai que j'aime les choses simples et j'ai eu tendance dans les deux premiers disques à dépouiller à tout prix. Au niveau arrangement et production, oui, on peut dire ça. Mais une chanson minimaliste, je ne sais pas ce que ça veut dire. A moins de dire juste quelques onomatopées...
Ce disque semble plus orchestré ?
Plus couillu... Plus vivant, plus riche en timbres, plus organique, même si ça reste assez dépouillé au niveau des partitions.
On retrouve des influences sonores africaines que vous aviez dès votre premier disque ?
Deux disques que j'écoute, sur trois, c'est de la musique noire. Et sur ces deux disques, un sur deux, c'est de la musique africaine. J'écoute du blues, du jazz, du reggae, du funk, des musiques africaines, caribéennes, brésiliennes…Donc, naturellement, quand je joue, mon drive, ma ligne musicale est plus tropicale qu'occidentale.
C'est intuitif ?
Ah complètement ! Dans une chanson comme Ciment, c'est plus flagrant. Alors que dans Quel été 2000 ou Néhémie d'Akkadé, c'est plus un clin d'œil, une façon d'aborder le rythme de la chanson.
D'où vient cette histoire de Néhémie d'Akkadé ?
C'est une histoire d'amour qui a comme décor l'invention de la roue en 3500 avant JC en Mésopotamie. Néhémie était une princesse. Et j'ai imaginé que quelqu'un avait pu inventer la roue pour rejoindre cette princesse. L'invention de la roue me fascinait et j'ai commencé à faire quelques couplets là-dessus. Puis j'ai trouvé ce prénom, Néhémie, dans un bouquin sur la Mésopotamie. Ce n'est pas plus profond que ça...
Le Matthieu avec deux 't' de la dernière chanson, c'est votre ami Matthieu Chédid ?
En fait, j'ai choisi de ne pas parler de cette chanson...
D'accord... Donc parlerez-vous de la chanson Dom, "Tu as du talent Dom" ?
Oui, bien sûr. C'est une chanson inspirée par un sentiment, une sensation, un peu comme toutes les chansons de l'album. Si je devais simplifier, je parlerais du sentiment de frustration qu'on peut avoir quand on perd ou qu'on quitte quelqu'un et qu'on regrette de ne pas avoir dit ou fait des choses, que c'est trop tard. Cette sensation, je l'ai sentie à plusieurs reprises et surtout quand un très bon ami à moi s'est suicidé il y a dix ans.
Sur la pochette, vous êtes tout petit dans un immense paysage ? C'est juste pour la beauté de la photo ou ça symbolise un excès de modestie ?...
Si j'ai choisi cette photo plutôt que d'autres, il y a peut-être une raison. Peut-être celle-là. Mais sur mes autres pochettes, j'avais toujours posé dans des mondes plus clos, plus artificiels. Donc, je voulais là quelque chose de plus naturel. D'où un départ en Auvergne et ces photos.
On n'a pas parlé de vous dans les médias ces dernières années ? Est-ce une angoisse, comme pour certains artistes ?
Je continue à découvrir ça. Je reste encore assez naïf. Si vous m'aviez posé cette question après mon premier disque, j'aurais dit que je m'en foutais parce que je sortais d'un succès relatif. Et après le second qui a moins marché, je n'ai pas compris ce qui arrivait. Ce que j'ai alors vécu de désagréable m'a affecté beaucoup plus que j'aurais pu penser. Et du coup, avec ce dernier disque, je me rends compte que finalement, ça m'angoisse. La moindre critique et ça prend des proportions... Je me trouve plus fragile que ce que ne je pensais. Et là, je suis impatient que ce soit le public qui l'écoute, pas mes amis ou des journalistes...
Les concerts du Sentier des Halles au printemps ne vous ont pas rassuré ?
Si, mais c'était très familial. Ça m'a quand même donné trois mois d'énergie. Mais maintenant, dès que j'ai un concert, je me réveille le matin en ayant hyper peur. Pour l'instant, je n'ai pas encore renoué avec le public et je doute beaucoup. Mais avec un ou deux concerts qui se passerait bien, je serais le roi du pétrole ! Je me dis quand même que c'est un vrai luxe de vivre de ce que j'aime.
Après votre départ de chez Island, comment s'est fait la rencontre avec le label Tôt ou Tard ?
C'est une longue histoire. J'ai produit volontairement mon disque seul, hors mixage. J'ai tout financé et j'ai décidé de le vendre à une maison de disques pour que si elle me signe, ce soit sur un produit fini et non sur ma gueule ou des maquettes. Il a fallu six mois, six mois de stress, avant de choisir Tôt ou Tard parce que c'est familial, que les gens qui y travaillent sont là depuis longtemps et c'est de plus en plus rare. L'ambiance est sympa et marrante. C'est un peu pour les mêmes raisons que j'ai bossé avec Renaud Létang. Vu le temps qu'on passe ensemble, autant prendre du plaisir.
Vous avez donné récemment quelques concerts au Japon où vous avez une certaine notoriété¹. Parlez-nous de cette connexion entre vous et ce pays ?
Je connais assez mal le Japon mais je suis très fan de certains réalisateurs japonais comme Mizoguchi. Je mange japonais deux à trois fois par semaine. On me demande plus souvent des autographes là-bas qu'ici. C'est étonnant. Mais ça reste confidentiel.
Comment expliquez-vous leur goût de la chanson française ?
Les Japonais sont très curieux. Ils consomment deux fois plus de disques que nous. Dans les rues, il y a beaucoup de traces de la France, de cette fascination qui, là-bas, concurrence beaucoup la fascination pour l'Amérique. Mais je pense que ce disque leur plaira moins. Ils aiment beaucoup ce qui est en relation avec l'enfance, ce qu'on retrouvait dans mes premiers disques, la musique, l'imagerie. Celui-là est plus triste, moins "Disney". C'est un disque plus assumé, plus puissant, plus mature comme on dit.
Mathieu Boogaerts 2000 (Tôt ou Tard / Warner)
Mathieu Boogaerts sera demain, 3 octobre au Festival Paragraphes de Mâcon et du 15 octobre au 16 novembre sur la scène du Lavoir Moderne parisien.
¹ Sur 50.000 exemplaires vendus de son premier album Super, 20.000 l'ont été à l'export et en particulier au Japon. Idem avec le second, J'en ai marre d'être deux, dont un tiers des ventes s'est fait à l'export.