Sally Nyolo
Avec son quatrième album Zaïone, Sally Nyolo part à la rencontre d'artistes français (Nicoletta, Nina Moratto, Jean-Jacques Milteau…), accommodant ainsi son bikutsi à de nouvelles couleurs, et flirte avec le reggae grâce à la complicité de sa copine Princess Erika et de Tyrone Downie, l'ancien Wailers.
Entre bikutsi et reggae.
Avec son quatrième album Zaïone, Sally Nyolo part à la rencontre d'artistes français (Nicoletta, Nina Moratto, Jean-Jacques Milteau…), accommodant ainsi son bikutsi à de nouvelles couleurs, et flirte avec le reggae grâce à la complicité de sa copine Princess Erika et de Tyrone Downie, l'ancien Wailers.
RFI Musique: Ne seriez-vous pas devenue rasta pour intituler Zaïone votre nouvel opus ?
Sally Nyolo : Zaïone, c'est la terre promise, mais aussi "Zai Maïone" en éton, ce qui signifie "Qui va me pleurer, qui va me ressusciter". Zaïone, c'est la contraction de Zai Maïone, le paradis des rastas. C'est mon paradis à moi, puisque j'ai donné le nom de Zaïone à mon petit garçon, né l'an passé. Et c'est certainement lui qui va me ressusciter.
On peut dire qu'à chaque fois qu'arrive un disque, c'est une nouvelle maternité. On présente un nouveau son, un nouveau livre et on lui souhaite tout le bonheur. C'est un nouvel être, un support dans lequel j'ai mis beaucoup d'amour. J'ai partagé beaucoup de passions avec des artistes que j'adore et qui sont devenus des amis. Je les connaissais avant en tant qu'artistes. Un jour, nos chemins se sont croisés et on a pu mettre sur Zaïone beaucoup de sentiments. Ils sont venus nombreux. Princess Erika, Nicoletta, Jean-Jacques Milteau, Nathalie Cardone, Nina Moratto...
Nicoletta, chante-t-elle en éton, votre langue natale ?
Oui, elle est venue dans une prière, une chanson que j'ai dédiée à Zambé, le grand esprit parce que j'ai foi en la vie et j'imaginais bien Nicoletta chanter une prière comme celle-ci. Le destin nous a réunies, et au moment où j'ai enregistré, elle est arrivée et a chanté en éton. Zambé, c'est une prière, un soupir qu'elle a adressés comme une femme béti. Pour moi, c'est une fierté d'avoir chanté avec ce symbole de la musique du monde. Quand j'étais petite, au Cameroun, j'entendais Mamy Blue et toutes les femmes rêvaient sur cette voix qu'on s'est toujours appropriée. Nicoletta était considérée comme une dame d'Afrique, on l'a toujours beaucoup aimée au pays. C'est très important pour moi d'avoir chanté ce morceau avec elle.
Princess Erika, c'est une rencontre, une amie ?
C'est une amie de longue date, bien avant de faire de la musique ensemble. Je l'ai rencontrée adolescente, on a presque le même parcours. J'ai prêté ma voix à ses premiers disques, par plaisir, par amitié. Aujourd'hui, bien longtemps après, j'étais heureuse de faire ces chansons avec elle.
C'est elle qui vous a fait découvrir le reggae ?
(rires) Je me suis retournée vers mes amis. Le rythme bikutsi peut prendre beaucoup de chemins, et pour le morceau Jah Know, on lui a donné une couleur reggae puisque c'est une couleur qu'elle aime bien.
Ce n'est pas qu'un disque de copines, puisque vous chantez également avec Nina Moratto A Lion In the Jungle .
C'est aussi un disque de rencontres car grâce à Princess Erika, j'ai rencontré des artistes qui font partie d'une association qui aide les enfants en Afrique, "Les Voix de l'Espoir". C’est une cause que j'ai également voulu défendre. Pendant que je faisais mon disque, elles ont voulu venir me soutenir dans l'aventure de ce nouveau disque.
Nina Moratto, qui est une femme que j'adore, est venue raconter dans une couleur un peu différente le rythme bikutsi. J'attends ces échanges-là. Pour moi, faire de la musique, c'est ouvrir le rythme avec ces rencontres, avec Nicoletta, Nina Moratto, Nathalie Cardone, Muriel Moreno.
Les artistes français se sont-ils aussi bien adaptés au bikutsi que Paul Simon avec son album The Rhythm of the Saints.
Je crois qu'un rythme musical donne beaucoup d'ouverture. Ce rythme a été créé de façon binaire, avec des claquements de mains. Un claquement de mains est universel. Quand les gens sont contents, ils frappent dans les mains. Derrière, les femmes ont mis des rythmes, des sentiments qui pouvaient aller en 3, 4, 6, 8 ou 12 temps. Toutes les variations étaient possibles, il n'était alors pas difficile d'aller dans la couleur de l'invité du disque ou de rester dans ma couleur musicale.
Jean-Jacques Milteau, Nicoletta, Nathalie Cardone voulaient rester dans le rythme original pour que les chansons conservent leur vrai sens et pour pouvoir poser leurs voix dessus. Plus il y avait ce challenge, plus ils étaient contents.
Vous avez également collaboré sur cet album avec un artiste qui n'est pas francophone, un ancien Wailers, Tyrone Downie. Qu'est-ce que cela a représenté de travailler avec lui ?
C'est un rêve qui devenait réalité, parce que c'était un Wailers. Quand j'ai découvert le reggae, c'était les Wailers qui jouaient la "pompe", le beat. Alors, sa "pompe", je la connaissais depuis que j'avais 13 ans, depuis les disques de Bob Marley. Son son, je l'ai toujours connu et je ne pouvais pas imaginer que ce même musicien qui m'avait séduite pendant des années, que j'écoutais avec le plus grand des bonheurs, me dise "Sally, je vais venir jouer la "pompe" sur le reggae que tu as écrit 'J'attends Abeba' ".
Vous êtes la marraine de la manifestation "Villes des musiques du monde", qui a lieu ce mois-ci en Seine-Saint-Denis, dans la banlieue parisienne. Que vous inspire la reconnaissance de ces musiques ?
C'est en fait l'appellation "musiques du monde" qui me fait rire. Mais c'est merveilleux de voir que toutes les musiques peuvent avoir leur place en France, en Europe et même à travers le monde puisqu'elles existent, arrivent à s'exporter, à tourner, à trouver un public. Comme marraine, je suis flattée parce que, depuis quelques années, je fais partie de ces artistes qui ont pris parti de rester simple vis-à-vis de certaines musiques, sans forcément chercher n'importe quel mélange au détriment de la musique. A mon sens, le bikutsi est un rythme qui peut apporter beaucoup à l'univers musical.
Je serais heureuse s'il y avait plus de jeunes des banlieues à s'intéresser à d'autres rythmes, et pas seulement à ceux qu'ils ont l'habitude d'entendre. Je crois que l'on a besoin de nouveautés pour s'élargir, de fraîcheur pour continuer à rêver, pour donner au monde de la musique de qualité. Et la qualité, c'est par ces jeunes qu'elle peut arriver. Ils doivent s'intéresser à leurs racines, les revisiter avec leurs valeurs. Cela dépend vraiment d'eux. Tant que les jeunes ne seront pas perméables à ces cultures, les musiques du monde ne pourront pas vraiment exister. Elles ne seront que des remix ou des chansons revisitées par des artistes qui n'ont pas vraiment compris son essence.
Il est important pour moi de toucher la jeunesse. D'ailleurs, j'aimerais davantage travailler avec les enfants pour leur donner l'envie de découvrir ces instruments et le goût de la créativité.
Le plaisir de jouer d'un instrument peut venir en écoutant la musique originale, pas seulement les CD, où l'on ne reconnaît plus les sons trop mixés ou revisités par les producteurs. C'est important de donner cette envie à la jeunesse des banlieues.
Sally Nyolo Zaïone (BMG-Lusafrica ) 2002