Titi Robin
Le guitariste et joueur de oud, Thierry Robin et la chanteuse et danseuse gitane du Rajasthan Gulabi Sapera publient un album en commun intitulé Rakhi qui allie le savoir-faire et le talent du musicien angevin à une certaine musique traditionnelle du nord de l'Inde.
Nouvel album Rakhi
Le guitariste et joueur de oud, Thierry Robin et la chanteuse et danseuse gitane du Rajasthan Gulabi Sapera publient un album en commun intitulé Rakhi qui allie le savoir-faire et le talent du musicien angevin à une certaine musique traditionnelle du nord de l'Inde.
D'aucun le surnomment le Gitan blanc. Originaire de la région angevine, il a très tôt emprunté les voies de la musique gitane. En 93, il enregistrait Gitans pour lequel il obtint un certain succès. Ses pérégrinations artistiques l'ont mené en réalité vers différentes destinations dont il n'est pas encore revenu. C'est ainsi qu'avec Gulabi Sapera, danseuse rajasthanie, il a entrepris un voyage musical destiné à jeter un pont entre musique gitane de l'Occident et celle de l'Orient. Rencontre avec "Titi" Robin, l'artisan de cette aventure.
Quel chemin avez-vous emprunté au départ de votre carrière ?
Je n'ai pas eu un chemin très droit parce que je suis un autodidacte. Je n'ai jamais appris à lire et à écrire la musique. Au départ, j'ai pris une multitude de sentiers. C'est devenu significatif lorsque j'ai trouvé ma propre voie. Depuis 25 ans, ce sont les mêmes influences, gitanes et orientales. C'est dans cet univers-là que j'ai trouvé mon premier chemin vraiment balisé.
Il m'arrive encore maintenant d'utiliser des morceaux que j'ai composé à mes débuts qui avaient à peu près la même couleur que ce que je fais maintenant. Pour le prochain spectacle avec Gulabi, j'ai utilisé une composition que j'avais faite il y a plus de 20 ans. Ça s'intègre parfaitement. J'ai progressé depuis dans la maîtrise de ce vocabulaire musical mais cet univers-là existait déjà.
On vous connaît aujourd'hui par rapport au travail que vous avez fait avec les musiciens gitans. Quel est le lien de parenté artistique entre le monde gitan et vous ?
C'est la part de mystère qui peut y avoir dans la musique comme dans les histoires d'amour. Pourquoi tombe-t'on amoureux ou pas ? Au départ, j'ai fonctionné à l'instinct. C'est-à-dire que j'avais des attirances. Je n'essayais pas forcément de les analyser. Dans la manière d'exprimer un art, il y a la philosophie de la vie. Et chaque langue, musicale ou non, porte en elle-même une manière de voir le monde. Ce que véhicule la philosophie des Gitans est très proche de la manière dont je ressens la vie. C'est pour ça que dans la musique, je me sens si bien. Au moment où j'ai commencé à avoir mon propre vocabulaire musical, ce n'était pas encore la mode des musiques du monde et à l'époque, mon public le plus fidèle, c'étaient les Arabes et les Gitans. C'étaient eux qui appréciaient la musique que je jouais et la manière dont je la jouais, à une époque où le public purement français ne comprenait pas vraiment ce que je racontais. Il y avait là une évidence. Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi. Ce que je dis maintenant, est un discours qui est venu après.
Dans l'ensemble de votre parcours, peut-on dire que l'aventure humaine et l'expérience artistique sont intimement liées ?
Oui en effet. C'est même parfois compliqué quand on doit parler de musique dans des interviews, et qu'on n'a pas envie de parler de sa vie privée. Dans la réalité, mon univers musical est le reflet de ma vie. Si la plupart du temps dans les spectacles que j'ai faits, il y a des Gitans et des Arabes, c'est parce que dans ma vie privée, c'est la même chose. Tout ce que je raconte dans ma musique au départ est quelque chose de vécu. Les gens avec qui je joue, ce sont des gens avec qui j'ai des choses à échanger. C'est aussi pour ça que je n'ai jamais joué pour des groupes ou fait le musicien de studio. Pour moi, il faut d'abord qu'il y ait une rencontre humaine. Ensuite, cela devient professionnel.
Qui est Gulabi avec qui vous avez fait votre nouvel album Rakhi ?
On a commencé à jouer ensemble en 92 (ndlr : festival De bouche à oreille à Parthenay) sur un spectacle où elle dansait et chantait. Puis, elle a participé au disque Gitans. On avait déjà une approche traditionnelle : elle chantait deux chansons traditionnelles que j'avais complètement adaptées à ma manière de jouer. Ce projet de disque en commun date d'il y a déjà 5 ans. En réalité, ça fait deux ans qu'on a commencé sa réalisation, enregistré et mixé sur la longueur. Et voilà le fruit de ce travail. A la base ce sont des chansons de Gulabi, chansons traditionnelles de sa caste du Rajasthan, remaniées et mariées avec mes propres compositions. On a cuisiné tout ça et rajouté quelques épices.
Quand on regarde les musiciens qui ont participé à ce disque on compte 17 personnes, votre équipe et la sienne ? Comment cette rencontre s'est-elle passée ?
A part égale, c'est-à-dire qu'il y a les musiciens qui accompagnent régulièrement Gulabi et que je connais bien parce que je les fréquente régulièrement à Jaïpur (ndlr : ville du Rajasthan). Et puis les musiciens qui m'entourent en France que Gulabi connaît bien puisqu'elle a beaucoup tourné avec une partie d'entre eux depuis une dizaine d'années. Par contre, il n'y avait jamais eu de vrai rencontre entre ces musiciens-là. On leur a fait découvrir un autre type de musique et une autre façon de fonctionner. Par exemple, pour les Rajasthanis, ils ont travaillé en studio de manière très occidentale. Moi-même, je n'ai jamais travaillé de manière aussi occidentale dans un studio. C'était intéressant pour un projet pareil d'avoir des choses à découvrir, en particulier pour des musiciens nomades qui dorment sous la tente. Ça leur permettait d'écouter leur enregistrement et de travailler dessus, chose inhabituelle pour eux. En général, quand on les enregistre, c'est en une seule prise, avec deux micros, pour ne rien gâcher de leur naturel, leur dit-on. Alors qu'ils sont comme tous les musiciens, ça les intéresse de découvrir d'autres choses. Il y avait donc une partie expérimentale.
C'est un disque qui au niveau de la production, est très élaboré mais le but est bien sûr que ça ne s'entende pas !
Au-delà de la rencontre artistique, avez-vous l'impression de participer à la dénonciation des inégalités, celles liées au système des castes, par exemple ? Politique au sens large ?
Oui, ça l'est vraiment. Ça n'est pas une intention. De la même manière que moi à un degré moindre, je n'ai jamais respecté les castes qu'il y a dans la société française parce qu'il y en a vraiment. On me demande pourquoi depuis 25 ans, je joue avec des Arabes et des Gitans, c'est parce que ça ne se fait jamais. C'est aujourd'hui encore très cloisonné en particulier avec le monde gitan. Il y a très peu d'échanges. Gulabi de son côté, dans son pays, a brisé des tabous par rapport à la danse des femmes en public, par rapport au castes puisqu'elle a utilisé des musiciens d'autres castes. Et paradoxalement, elle a réussi à retourner cela parce que maintenant, la danse des femmes est un moyen de survie des gens de sa caste et en plus un des meilleurs porte-drapeau de l'image de la caste des charmeurs de serpent en Inde et à l'étranger. Elle a brisé des tabous et finalement, sa caste en a bénéficié. Je ne tiens jamais de discours politique. Mais tourner depuis aussi longtemps avec des musiciens arabes, Gitans et Français dans le même le spectacle et en le présentant de manière totalement naturelle, ce que c'est pour moi, je pense qu'il y a un message à l'intérieur de ça.
Vous sentez-vous appartenir au grand courant de la world music ?
Commercialement, oui je le sais bien. Mais pas du tout dans ma démarche. Certes ma musique est métissée, mon langage l'est aussi. Je ne suis pas plus touché par les musiques métissées que par les musiques d'un style très pur. On entend beaucoup de musiques métissées qui sont stériles, artificielles. Ce qu'il faut, c'est que ce soit habité. Ce qui est important, c'est qu'entre ce qu'on a dans le cœur et le moyen qu'on choisit pour l'exprimer, il y ait une cohérence. Ma musique est métissée parce que ma vie l'est. La valeur, c'est l'authenticité du discours.
Album : Thierry Robin et Gulabi Sapera Rakhi Naïve 2002
Livre : Gulabi Sapera, danseuse gitane du Rajasthan. Photos de Véronique Guillien, propos de Gulabi Sapera recueillis par Thierry Robin. Naïve 2000
Disque en partenariat avec la chaîne de télévision Mezzo