Massilia sound system
Comme à leurs repas de quartier, les cinq fadas de Marseille nous convient encore à une bouillabaisse sonore aussi puissante que festive, farcie de samples, d’humour, de reggae et autres dialogues de rue. Ce onzième opus intitulé Occitanista instaure toujours le dialogue entre Kingston et la Linha Imaginot occitane qui relie la cité phocéenne à Toulouse, avec un détour par la Guinée et le Brésil.
Nouvel album des Marseillais.
Comme à leurs repas de quartier, les cinq fadas de Marseille nous convient encore à une bouillabaisse sonore aussi puissante que festive, farcie de samples, d’humour, de reggae et autres dialogues de rue. Ce onzième opus intitulé Occitanista instaure toujours le dialogue entre Kingston et la Linha Imaginot occitane qui relie la cité phocéenne à Toulouse, avec un détour par la Guinée et le Brésil.
Parce qu’ils n’ont pas trouvé de traduction française à cette discothèque mobile vivante, le "ragga baletti" occitan, les cinq Marseillais ont choisi de garder l’appellation jamaïcaine de sound system. Toujours fidèles à ces grands écarts musicaux, entre la Jamaïque des rythmiques reggae et la Provence des racines, Occitanista explore le folklore des troubadours avec la participation de membres de la Talvera, Dupain ou Raspigaous, en allant jusqu’au Brésil de Lénine, Naçao Zumbi et des "repentistes", les improvisateurs locaux de rue. Il s’offre aussi une dose de bidouillages électroniques superposés sur des tambourins et autres berimbau ou mandolines, un détour par l’Afrique avec la kora du Sénégalais Soriba Kouyaté et la voix d’Hadja, qui après avoir collaboré avec Frédéric Galliano se pose avec brio sur un rythme ragga. Mais l’Occistanista des Massilia, c’est avant tout une vision militante où collectif rime avec festif et où l’on cite le philosophe occitan F.M. Castan pour dire : "On n'est pas le produit d’un sol mais de l’action qu’on y mène». C’est ce bouillon de culture que Massilia défend depuis 13 ans, le temps de faire une bonne douzaine d’enregistrements… Surpris en pleine sieste, Tatou, un des "tchatcheurs" du groupe nous parle de cette façon de vivre la musique.
RFI Musique : Vous tournez beaucoup, l’un d’entre vous prend le micro chaque semaine au sein d’un sound system ou de divers projets musicaux, comment composez-vous autant d’albums aussi souvent ?
Tatou : Je ne sais pas vraiment… On a l’impression que notre travail doit être quotidien. Le fait que l’on coure toujours après cette espèce de statut de chanteur folklorique, nous oblige à chercher à décrire une réalité folklorique qui n’existe plus, qu’il faut donc chercher… C’est cela qui fait que l’on n'a jamais de panne. On ne connaît pas la feuille blanche chez Massilia... C’est toujours à moitié écrit. Il y bien des moments où l’on se pose. Un album, c’est toujours quelque chose de fini qui témoigne d’un état des lieux à un moment, c’est une espèce de bilan, mais ce n’est pas très important car pour nous l’album n'est qu'une péripétie sur notre chemin.
Vous vous rassemblez pour écrire des textes, composer des rythmiques ?
Cette idée de texte n’existe pas chez nous. On n’écrit pas, on chante. Certes, il y a un travail sur la fonctionnalité d’une chanson : est-ce qu’elle sera bien prise par ma mère, mon fils ? C'est ce genre de questions que l’on se pose. Il faut alors relire pour décider ce qui est éphémère ou non, fédérateur ou non… Nous travaillons toute l’année, chaque jour, donc il est très difficile de définir notre méthode pour écrire les chansons. Il n’y en a pas. C’est souvent le chant qui commande les choses, l’un arrive avec deux paroles qui vont soutenir ce qu’avait écrit un autre, mais parfois cela peut-être le DJ qui sort une rythmique d’enfer et c’est parti ! On n’est pas un groupe qui s’enferme trois semaines pour dire : il faut enregistrer un album ! L’orientation a été décidée il y a 20 ans donc on ne se pose plus de question.
Certains considèrent que faire une musique de "genre", de folklore, c’est très contraignant. Vous vous libérez tout de même de ces carcans en allant vers d’autres sons aujourd’hui ?
Non, nous avons beaucoup de contraintes, mais je pense que c’est ça la liberté. La forme est très importante, elle donne presque le sens de la musique. Tu es coulé dans un moule, avec des codes et une règle du jeu. C’est important. Quoi que tu dises tu es sauvé par ton genre, c’est lui qui te porte et te rend universel. Sans comprendre l’anglais, je comprends le message de Bob Marley parce qu’il possède à 100 % sa réalité, son truc local. C’est ce qui le fait devenir mon voisin de palier. La chanson française c’est plutôt l’expression personnelle d’un chanteur, mais dans Massilia tu ne te chantes pas toi, tu chantes des choses pour les autres, la société. Nous n’avons jamais rien inventé, tout n’est que repompage, utilisation d’outils…
Alors, quelle est cette orientation ?
C’est vouloir devenir des chanteurs folkloriques, vouloir copier les Jamaïcains. A priori rien ne nous rapproche de cette musique, sauf que c’est du folklore, elle comble un manque, quelque chose que l’on a perdu depuis longtemps : une musique fonctionnelle populaire qui sert à aller au boulot le matin, à faire la fête, à draguer... Une fois que ce chemin est posé, il est jalonné de remblais, il n’y a qu’à le suivre.
Non, nous avons beaucoup de contraintes, mais je pense que c’est ça la liberté. La forme est très importante, elle donne presque le sens de la musique. Tu es coulé dans un moule, avec des codes et une règle du jeu. C’est important. Quoi que tu dises tu es sauvé par ton genre, c’est lui qui te porte et te rend universel. Sans comprendre l’anglais, je comprends le message de Bob Marley parce qu’il possède à 100 % sa réalité, son truc local. C’est ce qui le fait devenir mon voisin de palier. La chanson française c’est plutôt l’expression personnelle d’un chanteur, mais dans Massilia tu ne te chantes pas toi, tu chantes des choses pour les autres, la société. Nous n’avons jamais rien inventé, tout n’est que repompage, utilisation d’outils…
C’est une histoire de similitude de postures… Je n’ai pas à me déguiser quand je chante une bourrée avec des repentistes ou avec des MCs. On a la même fonction. A cela, s’ajoute le cousinage des langues entre le Brésil et l’Occitanie. Les troubadours ont influencé toute la culture européenne du Moyen-Age, dont les Portugais, qui eux sont allés au Brésil. Bizarrement, les derniers troubadours vivants sont au Brésil… Pour nous, qui venons d’un pays où l’on ne peut que deviner le folklore puisqu’il a disparu, c’est intéressant de voir cette culture vivante. On s’est aperçu qu’on avait plus de similitudes que l’on croyait, et surtout que dans la nouvelle musique brésilienne, chez Lénine par exemple, il y a cette même volonté d’utiliser les traditions folkloriques et populaires locales et en même temps de tendre vers l’universel. On se pose tous les mêmes questions, mais cela n’est pas vrai qu’au Brésil.
Vous n’êtes jamais allés en Jamaïque, pourquoi avoir cette fois regardé vers l’Afrique, grâce à une collaboration avec Hadja Kouyaté, griotte guinéenne, qui chante sur un rythme boggle jamaïcain ?
On s’était mis à la place d’un extra-terrestre qui débarquerait sur terre et devrait avoir la meilleure vision de la musique populaire sur terre. Nous avons donc fait une chanson à trois traditions folkloriques différentes : nous, le chanteur brésilien de Naçao Zumbi et Hadja Kouyaté. Cela montre aux Martiens que la posture du MC de sound system, du griot, du troubadour ou du repentiste sont les mêmes. Après bien sûr, c’est aussi une histoire de hasard et de rencontre entre musiciens…
Ils sont tous "occitanistes" ?
L’album s’appelle Occitanista, pour dire notre chance de faire partie d’une culture qui n’a pas de frontières ou d’ambition nationale. Être occitaniste, c’est aussi chanter en patois, en italien en portugais… Pour moi être occitaniste, c’est être entier : très à l’aise dans ma rue, donc très à l’aise dans le monde. Un sound system ne peut pas venir de nulle part, puisque ce sont des joutes oratoires qui portent forcément les couleurs de quelque chose, pas forcément d’une ville ou d’une région, mais qui portent des couleurs et c’est ce que les gens aiment.
Massilia sound system Occitanista (Wagram) 2002