Dub français puissance 2

En provenance de la Jamaïque puisque à l'origine, il est la version instrumentale de morceaux reggae, le dub a trouvé en France une nouvelle voie qui en fait aujourd'hui un genre à part entière. Au moment où deux groupes, Zenzile et High Tone, sortent chacun un nouvel opus, on reparle de la bonne santé de la scène dub hexagonale.

Nouvel album pour Zenzile et High Tone

En provenance de la Jamaïque puisque à l'origine, il est la version instrumentale de morceaux reggae, le dub a trouvé en France une nouvelle voie qui en fait aujourd'hui un genre à part entière. Au moment où deux groupes, Zenzile et High Tone, sortent chacun un nouvel opus, on reparle de la bonne santé de la scène dub hexagonale.

Et si les groupes de dub français étaient victimes de discrimination géographique ? La question peut sembler provocatrice mais elle répond à un vrai malaise : comment expliquer que des groupes aussi talentueux que High Tone, Zenzile, Lab°, Improvisators Dub, Ezekiel ou Kaly ne remportent pas plus de succès et n’obtiennent pas plus de passages radio. Sachant que la France est l’un des pays les plus centralisés du monde, hors de Paris point de salut. Dommage pour High Tone, originaire de Lyon ou pour Zenzile, basé à Angers.

Zenzile sous influence rock

Issus de la scène alternative punk rock des années 80, les deux groupes n’ont en commun qu’une certaine idée du dub, le reggae instrumental électronique. Si High Tone joue à fond la carte techno-dub, les Zenzile, eux, se rapprochent de la scène post-rock. Vince et Mathieu du quintet Zenzile : " Nous ne sommes plus dans une quête du stricly dub. Pour Totem, notre nouvel opus, nous nous sommes dits que nous devions faire ce qui correspond aux cinq membres du groupe, avec nos différentes influences. On s’est aperçu que ce qui était latent chez nous, c’était l’influence rock.

Sur les albums précédents, on avait peur de ce qui n’était pas balisé. Les accidents, les erreurs et l’expérimentation nous effrayaient. Là, Vince nous a poussés à nous servir de ces erreurs pour explorer un peu plus. Il faut dire que pour une fois, on a eu le temps de bosser. On n'était pas en tournée comme les fois précédentes. Ce qui fait de Totem un album diversifié mais très cohérent au final."

Les fans de Zenzile risquent d’être déroutés par la nouvelle direction empruntée par le quintet angevin : Jamika Ajalon, la poétesse américaine, est devenue La voix du groupe, sur le philosophique Box et le Lynchien Change, tandis que Sir Jean, chanteur du groupe Meï Teï Sho, est venu donner une touche afro très énervée sur Axis of evil, en référence aux déclarations de George Bush sur "l’axe du mal". Zenzile s’affranchit des règles strictes du dub pour se lancer dans des expérimentations post-rock que ne renierait pas Tarwater par exemple… Chassez le punk qui dort en vous et il revient au galop. Une fois de plus Zenzile nous prouve qu’avec une formule mille fois entendue, du reggae instrumental, on peut encore repousser les limites du genre.

La scène dub française se caractérise par la prédominance du live, contrairement aux scènes anglaises et jamaïcaines, plus orientées vers les machines. La French Touch du dub c’est donc la puissance des groupes en concert : les salles sont pleines, les ventes de disques progressent régulièrement et de nouveaux groupes se penchent sur ce mouvement. Mathieu de Zenzile confirme que cette scène se porte bien : "Depuis 5 ans maintenant, de nombreux jeunes groupes nous apportent des maquettes alors qu’avant ils focalisaient sur le reggae. Le seul problème, c’est qu’il ne faut pas imiter ce qui existe déjà mais avoir sa propre patte. J’ai toujours trouvé aberrant que des groupes de reggae français copient les Jamaïcains. Le reggae est un folklore local. Nous on est d'Angers-49 et pas de Kingston-Jamaïca ".

Que manque-t’il alors au dub français pour exploser ? " Je suis persuadé, poursuit Mathieu, que le dub restera une niche, comme on dit dans le jargon musical. Une niche qui certes existe depuis plus de 40 ans mais une niche tout de même. L’absence de chants dans cette musique désempare les décideurs. Ils ne savent pas comment le travailler. On a un vrai problème de relais à la télé, en radio et dans les journaux. De toutes façons, nous, on ne veut pas être big en France mais connus un peu partout dans le monde. C’est notre priorité. On a joué cet été à Montréal devant un public de 7 à 77 ans. Des gens qui ont l’âge de nos parents sont venus après le concert nous féliciter. C’est extrêmement gratifiant. "

Du côté des High Tone, Antonin, le clavier, explique : "Pour les mois de mai, juin et juillet, nous avons demandé à notre tourneur de nous trouver des plans à l’étranger. En France nous tournons depuis plus de 5 ans, un peu trop même. Je suis assez d’accord avec Mathieu quand il parle de " niche " même si je la trouve plutôt confortable. Nous sommes assez médiatisés. Le public présent à nos concerts est très divers, très réactif. Notre progression se fait en pente douce mais régulière et ça nous va complètement. Cela dit, les chiffres de ventes de la scène dub ne sont pas homogènes. "

Electro High Tone

Le créneau des High Tone, c’est le dub électronique avec des touches ethniques qui flirtent de temps en temps avec la drum’n bass. Cela dit, ils n’ont que de très lointains contacts avec les scènes électro : " La grosse différence avec les groupes techno, c’est que nous nous jouons live. Notre formation est assez proche du rock, guitare-basse-batterie auxquelles s’ajoutent les claviers et les platines. Cela dit, au niveau de la texture sonore, nous nous sentons proche de la scène drum’n bass la dimension humaine en plus."

Ce n’est pas un hasard si les High Tone sont les plus gros vendeurs de dub en France : ADN, leur nouvel album peut autant plaire aux branchés techno qu’aux adeptes de musiques traditionnelles. Les Lyonnais ont de grandes oreilles et une culture du métissage claire et intelligible. Ils jouent plus vite, plus électronique et plus mélodique que la majorité des groupes dub français.

ADN pour Acid Dub Nuckleik joue la carte d’un dub aux couleurs du monde : influences asiatiques marquées avec ces fameuses clochettes qui se marient à merveille aux rythmes jamaïcains sur le morceau d’ouverture Taniotoshi, ambiance arabisante sur Bad weather, ponctuée par des sonorités acid que ne renierait pas un Laurent Garnier, sans oublier le côté rap, les scratchs sur Spiral snake ou l’intro de Worse and worse avec ses beats hip hop. Le grand jeu consiste à découvrir dans quels folklores ils ont pu piocher certains samples (traditionnel napolitain ou prière du fin fond du Cachemire) ? Si ADN est un album " massif " tel qu’on peut le définir dans le reggae, il n’en reste pas moins ludique. C’est bien là aussi la force de la vision du dub made in France.

On peut s’interroger longuement sur le fait que le public dub vient en grande partie du reggae alors que le dub est aussi une composante essentielle de la musique électronique, mais son public ne suit pas beaucoup ce mouvement. Mathieu des Zenzile : " Pour moi, il est évident qu’il y a une notion économique dans cette histoire. Un programmateur de salle privilégiera un DJ avec ses platines plutôt qu’un groupe au complet. Ça lui coûtera toujours moins cher. On l’a vu avec la crise de 1929 aux Etats-Unis : avant on permettait aux big bands de jouer puis avec la récession, ce sont des quintets be-bop qui se sont développés. "

Alors finalement, quid de cette histoire d’exclusion géographique ? Pour Antonin, le fait d’être basé à Lyon, loin de la capitale n’est en rien un frein au développement du groupe : "Les choses ne se passent plus uniquement à Paris aujourd’hui. Effectivement, on ne passe pas notre temps à faire la fête avec des gens du show-business, ce qui ne nous met pas dans des situations de copinages quelques fois malsains. Et puis des soirées comme Dub Addicts Sound System à Lyon ou Reality Sound System permettent au public de découvrir notre musique ".

Vous l’aurez compris, la scène dub française est en train de s’imposer comme l’une des plus riches d’Europe même si elle s’éloigne de plus en plus du format balisé et quelquefois attendu du dub traditionnel pratiqué par les Jamaïcains. Et c’est là toute sa force : s’affranchir des codes pour mieux les transcender. Il serait temps que l'industrie musicale et le public le reconnaissent !

 

Zenzile Totem (Small Axe) 2002
High Tone ADN (PIAS) 2002