Pierre Perret

Le cheveu frisé, poivré, salé et en bataille, la bouille réjouie, Pierre Perret sort un nouvel album, Cui-là. Mais pas seulement… En stakhanoviste des Belles Lettres, le chanteur publie un précieux dictionnaire, Le Parler des métiers, où quatre ans durant, il a recensé les locutions les plus sibyllines de tous les corps de métier. Deux façons d'apprécier l'inimitable parler de Perret.

Perret et le pot aux lettres.

Le cheveu frisé, poivré, salé et en bataille, la bouille réjouie, Pierre Perret sort un nouvel album, Cui-là. Mais pas seulement… En stakhanoviste des Belles Lettres, le chanteur publie un précieux dictionnaire, Le Parler des métiers, où quatre ans durant, il a recensé les locutions les plus sibyllines de tous les corps de métier. Deux façons d'apprécier l'inimitable parler de Perret.

La première surprise de cet album, c’est tout d’abord le renouvellement des troupes recrutées, pour l’essentiel, dans la jeune génération.
J’ai rencontré tout à fait par hasard tous ces gens. D’abord, Les Ogres de Barback qui avaient repris à leur répertoire une de mes chansons, le Café du canal avec laquelle, ils ont eu un gros succès. Puis j’ai appris qu’ils étaient des grands fans de mes chansons. Ils ont été allaités aux cassettes Perret. Et, ma foi, j’ai adoré la couleur orchestrale de leur travail. Alors, tout naturellement, lorsque j’ai fait ce disque, je leur ai demandé s’ils ne voulaient pas orchestrer certaines chansons. Ils m’ont répondu: "On est fous de joie, on veut tout faire!". Mais comme j’avais prévu de faire certains titres avec Cyril Wambergue qui a fait les orchestrations de Vincent Delerm ou Thomas Fersen et que j’avais envie de varier les couleurs et les orchestrations de ce disque avec aussi Joseph Racaille, j’ai dû répartir les rôles et les chansons. Je dois dire qu’ils ont vraiment réussi ce que j’attendais d’eux. J’en suis ravi parce que ce sont des garçons vraiment dans le coup.

Pour recruter dans la jeune classe encore faut-il se tenir au courant. Vous suivez la jeune scène de la chanson?
Oh oui! Depuis déjà assez longtemps: le groupe La Tordue, j'étais client, les Têtes Raides, eux aussi sont intéressants parce qu’ils ont un discours plus séduisant que beaucoup de rappeurs que je peux entendre et qui ont parfois des propos assez haineux ou dont l’écriture est approximative. Je suis attiré par les gens qui ont du talent et qui sont prometteurs.

Si les arrangements sont très gais, les textes, eux, ne sont pas forcément très légers…
C’est ce que j’ai voulu. Des arrangements très légers sur des textes qui sont, eux, parfois de vrais coups de poignard. Des textes assez durs qui sont parfois humoristiques même s’ils sont grinçants. Et les ai voulus ainsi parce que si j’appuie en plus avec une musique noire pour forcer sur la dramaturgie du propos, c’est à se flinguer. Les petits de Debout sur le Zinc ont fait une chanson qui s’appelle Je te tue et ils ont vraiment réussi un assemblage à la guitare très Django (Reinhardt) et Grappelli. J’ai été comblé en écoutant leur orchestration.

Pourquoi des textes aussi sombres?
Il y a tout de même des chansons gaies comme La charcuterie, Je ne suis jamais allé aux putes ou çui-là qui est une farandole de déjantés. Le reste n’est pas vraiment noir. C’est une certaine lucidité sur un quotidien que l’on subit tous. Ce n’est pas être sombre que de le chanter. Il me semble, au contraire, que mettre en garde les enfants en leur disant: "Si tu croises un dealer, dis leur que c’est de la merde" et bien, cela me semble un discours bienfaisant et même une espèce de jouvence qui nous lave de toutes les saloperies qu’on essaie de nous faire ingurgiter toute la journée: la dope, la nourriture, les infos… Tout !

A propos de dope, qu’est-ce qu’Antoine Blondin (écrivain et chroniqueur sportif) aurait pensé du deuxième couplet de Je te tue?: "Toi l’champion on te tue / car les dieux du stade ont faim… Mais tu seras mort par chance / En gagnant le tour de France" ?
Lui aurait certainement été complètement asphyxié par ce type d’info sur le dopage, l’EPO, etc. Il aimait tellement le cyclisme que de voir les choses se dégrader comme ça l’aurait abasourdi. Et bien que le dopage dans les courses ait toujours existé, même à son époque, je pense qu’il aurait trouvé cela regrettable. Que ce soit un dealer ou un dopeur, je renvoie les deux dos à dos, je mets le doigt là où cela fait mal. Ce sont les deux qu’il faut combattre… ou fuir.

Quand on entend le texte sado-maso de Cui-la on se dit que le père Perret tourne "pervers pépère"…
(rires) Il y a plein de chansons qui parlaient déjà de cela. Des types qui se font clouter les nénés ou fouetter l’arrière-train il y en a plein. Je suis juste un observateur des pratiques et des mœurs de mes contemporains. Ce n’est pas une obsession, ma libido ni n’augmente, ni, je vous rassure, ne se tarit. Je parle de gens de tous les tempéraments, à côté des films qu’on peut voir à la télévision, je ne crois pas que cela empire.

La chanson qui conclut l’album, Une minute de soleil en plus, évoque les tyrans qui peuplent le monde et qui pourraient s’étrangler pendant leur digestion ou s’attraper un bon petit cancer. Vous croyez vraiment à cette forme de justice divine?
C’est un espoir naïf, c’est une utopie qui comme toutes les utopies débouche sur pas grand-chose. Mais au moins cela me fait plaisir quand je l’écris. Quand j’apprends que Pinochet a un malaise cardiaque, quelquefois cela me donne de l’appétit ou soif et j’arrose ça. Que ce soit Milosevic ou Pinochet, d’un côté c’est la peste et de l’autre c’est le choléra. Si demain, ils loupent la marche et se mettent la tête dans le chaudron, je n'aurai sûrement pas une minute pour pleurer, j’irai boire un coup à ma santé et puis voilà.

En même temps que votre disque sort un dictionnaire : Le parler des métiers. Un travail qui vous a pris plusieurs années ?
Oui, j’ai toujours été intéressé et fasciné par des tas de locutions que je ne comprenais pas. J’ai toujours assisté à des dialogues entre deux ébénistes ou entre deux chirurgiens dans un langage codé avec des expressions qui m’échappaient complètement. J’ai toujours pensé que, peut-être, il y avait de quoi remplir un livre en parlant du langage de tous les métiers dont ils ne se servent qu’entre eux évidemment. Un dialecte d’où le client, l’usager est exclu. J’ai payé pendant quatre ans des enquêteurs qui sont allés voir des marchands de fromages, des trufficulteurs, des onoelogues, des imprimeurs, des journalistes… J’ai juste retiré certaines locutions un peu rébarbatives, ou emmerdantes, notamment chez les informaticiens mais je n’ai mis que des mots qui ne sont pas attestés dans les autres dictionnaires. Le vocabulaire des artistes est très riche, les comédiens, les danseurs, l’audiovisuel. Mais ce ne sont pas les seuls, dans les transports aussi il y a un vocabulaire très riche, chez les conducteurs de bus ainsi que dans les métiers insolites : les croque mort, les curés, la police…

Chez ces derniers il y a une expression très significative : Savoir lire, écrire et parler qui désigne l’un des plus hauts gradés dans la gendarmerie, l’adjudant-chef…
(Hilare) Oui! Il y a beaucoup d’humour même au sein de cette corporation et parfois il y a même des langages ou des expressions qui dérapent, teintées de racisme dont ils ne sont pas très fiers et qu’ils nous ont priés de ne pas mentionner. Bien sûr, je me suis empressé de les mentionner.

Avec une œuvre pareille, vous mériteriez qu’on vous érige une statue à l’Académie française.
Ben dites donc! Si vous leur dites cela aux Académiciens, ils vont être contents! Je ne vois pas pourquoi j’aurais une statue. J’ai fais un travail que personne n'aurait fait à ma place, peut-être même pas à l’Académie française. Mais c’est un travail qu’il fallait faire. Je ne regrette pas de l’avoir fait. Cela m’a un peu squatté douze ans de ma vie, mais c’était une manière très agréable de donner libre cours à ma passion qui est celle des mots.

Pierre Perret / Çui-là (Tôt ou Tard/Warner)
Le parler des métiers (Robert Laffont).