Afro Kroniks

Ils viennent du Nigéria, du Sénégal, de Madagascar. Paris est devenu leur port d'attache. Exilés, ils n'en demeurent pas moins attachés à leur culture, produisant à Paname des albums fidèles à leurs racines. Revue de détail.

Tony Allen, Diogal et Tany Manga

Ils viennent du Nigéria, du Sénégal, de Madagascar. Paris est devenu leur port d'attache. Exilés, ils n'en demeurent pas moins attachés à leur culture, produisant à Paname des albums fidèles à leurs racines. Revue de détail.

L'afro-beat de Tony Allen

Fela est mort. Mais l’afro-beat a survécu. Héritiers et proches du maître de Kalakuta Republic s’arrangent pour que l’avant-gardisme des premiers jours perdure et prolonge les effets d’une musique aux instincts foncièrement rebelles. Tous fidèles à l’esprit de genre, ils injectent du sang neuf à ce groove inquiétant, né sous les tropiques dans la seconde moitié du siècle passé, sur fond de high-life, de shakara, de juju et de jazz. Qu’ils s’appellent Femi, Antibalas ou Lagbadja, ils inscrivent leurs suites hypnotiques dans une vision résolument contemporaine du son, où les rapprochements avec d’autres univers sont monnaie courante. Foncièrement urbain, l’afro-beat se veut parole de vie, tout en surfant sur les pistes d’un nouveau panafricanisme, à valeur fortement ajoutée, grâce aux idéaux d’ouverture et de métissage défendus par les diasporas noires.

C’est dans cette volonté que s’élève la voix caressante mais ferme d’un compagnon de route du géant nigérian. Tony Allen. L’homme au beat ténébreux. De 1964 à 1977, ce batteur inspiré a commis -aux côtés de Fela et du mythique Africa 70- un des crimes de base qui porte la pulsation au cœur même de l’afro-beat, à savoir sa rythmique obsessionnelle. Installé en France depuis 16 ans, après un détour par Londres, il sublime avec ses baguettes le moindre phrasé. Ainsi s’amuse-t-il dans Homecooking, son dernier opus (Comet/ Virgin) à inventer un objet musical rudement cosmopolite, hautement planant, sur lequel éclate des mélodies d’une puissance toute expérimentale. Electro, hip hop ou soul, les influences s’y multiplient, sans affaiblir le propos.

Aux côtés de Tony, officient quelques invités au calibre généreux, en matière de performances vocales et instrumentales. Faut-il citer des noms pour convaincre? On pourrait avancer celui de l’Anglo-nigérian Ty, qui pose son flow suavement débridé sur Woman To Man. Il y a aussi ce fou furieux de Damon Albarn, qui se retrouve en ouverture sur Every seasons. Un régal qui forge l’appétit du mélomane averti. Et puis il y a Doctor L., fidèle au poste comme toujours, avec ses sons fluides et sereins, dub et infra-basse assurés. D’autres featuring pimentent l’album avec force. Nous pourrions par ailleurs insister sur les chœurs, les cordes ou les cuivres qui irriguent la sève originelle… Autant dire que rien n’est à jeter sur le cosmique Homecooking. Et si Fela est mort, un maître de l’afro-beat -on peut l’affirmer sans peine- demeure encore parmi nous: Tony l’Allien from Paris.

Tony Allen Homecooking (Comet/ Virgin)

Soeuf Elbadawi.

Le folk côtier de Diogal

Nouveau venu dans le cercle des chanteurs sénégalais, Diogal s'inscrit dans une mouvance folk à l'africaine, et réussit avec Samba Alla son premier album, à mélanger subtilement synthés et guitares folk avec kora, ngoni, et tablas indiens.

Ses ballades mélancoliques sur des accords acoustiques sont loin des rythmes du m'balax qui font danser Dakar. Cet album est la bonne surprise des productions, dans l'Hexagone, de musique dites du monde. Ce Sénégalais de 32 ans, installé en France depuis six ans, et qui rejoint ainsi la famille des Ismaël Lô, Cheikh Lô ou El Hadj N'diaye dans son pays, possède de sérieux atouts : une voix chaude et apaisante avec laquelle il interprète en wolof les dix chansons qu’il a composées pour ce premier opus. (Deux cassettes, Xariit taffa et M'bar-yi, sont sorties au Sénégal sur le label de Youssou N'Dour).

Diogal est Lébou, une ethnie de pêcheurs qui vit le long du littoral, vient de Ngor. Et forcément, on baigne, au fil de l'écoute, dans une certaine mélancolie qui, dit-on, imprègne souvent la musique des Lébous. Diogal Sakho y célèbre tour à tour les mamans d'Afrique dans Massa Thiono, l'infirmité d'une jeune fille avec Ya Fatoumata, aspire à la paix et à la justice, ou bien honore son oncle dans Xarrit Taffa (L'ami Taffa). Car Diogal a été initié par son oncle, Mustapha Diagne, musicien pêcheur, aujourd'hui disparu. C'est lui qui lui offrira sa première guitare sur laquelle il apprend seul à jouer. C'est donc à lui qu'il dédie ce premier opus. Bien entouré, Diogal l'est assurément, grâce à une production relativement soignée de Loy Ehrlich, ex-Touré Kunda, qui remarque, dès 1996, les talents de mélodiste de Diogal. Avec lui, la fine fleur des musiciens l'accompagne tels que Didier Malherbe au saxophone, Pape Dieye aux percussions, Jean-Philippe Rykiel au clavier, Vincent Segal à la contrebasse, ou encore cet autre folk singer sénégalais qu'est Wasis Diop. En langue wolof, Diogal veut dire : Lève toi !

Diogal Samba Alla (Celluloïd/ Mélodie)

Pascale Hamon

Le blues malgache de Tany Manga

D’un côté, il y a Tao Ravao, fils spirituel du bluesman Homesick James. De l’autre, Vincent Bucher, un ancien condisciple de Sugar Blue. Le premier joue des cordes, guitare, valiha et kabosy. Le second n’a pas son pareil à l’harmonica. Entre eux, se place Karim Touré, percussionniste avec qui le duo Ravao/ Bucher tourne depuis quelques années déjà. Ajoutez-y des invités d’honneur pour marquer le coup. Régis Gizavo à l’accordéon, Henri Dorina à la basse ou encore l’écrivain Raharimanana sur deux textes, dont le délirant Mirédaréda ne fait que prolonger une écriture entièrement inscrite dans l’errance et l’exil. Secouez le tout d'une traite et vous obtiendrez cet album aux couleurs de terre rouge, dont le titre, Soa, signifie la «beauté» en langue malgache.

Certains se souviennent peut-être de Love Call, premier album de Tao enregistré en compagnie du fidèle Vincent pour le compte de Broadway Records au début des années 90. Histoire d’une vieille passion pour le blues que le franco-malgache avait voulu tisser avec un enfant du Nord de la France. D’autres mélomanes citeront peut-être Tany Manga, titre paru en 1997 chez Samarkand, un titre ô combien annonciateur de l’actuel nom porté par le groupe. Les plus accros vont certainement vous raconter l’aventure du petit avant-dernier, Hé là-bas, qui est sorti chez Cobalt. Toujours est-il que la bande à Tao nous revient ici avec un blues malgache porté par les vents de l’Ouest, où l’humanité se remplit d’amour (fitiavako vaovao/ Mon nouvel amour) et d’interrogations (Oloaraiki, volagna araiki/ Une seule personne, une seule parole).

Onze titres qui sonnent comme autant de prières déguisées pour un monde meilleur, voire idyllique. Soa est en fait une ballade de poètes aguerris, qui marque, comme l’écrit François Bensignor, des «chemins de liberté», allant «des plages de Madagascar aux mangroves de Louisiane». Un trio est né. Un blues renaît. Et il s’élance sans arrêt à travers des sentes rythmiques inhabituelles, même si l’hommage à la mémoire des plantations d’Outre-atlantique reste toujours présent dans le jeu de nos trois instrumentistes.

Tany Manga Soa (Marabi/ Mélodie)

Soeuf Elbadawi