Michel Jonasz
Depuis Soul music airlines en 1996, certains le disaient égaré, d'autres parlaient d'une source tarie. Que nenni ! Michel Jonasz continue d'aller son petit bonhomme de chemin. Son dernier album Où vont les rêves ? est une vraie merveille, une cure de jouvence et de plaisir auditif, gorgé de vie comme La fabuleuse histoire de Mister swing ou le live mythique de 1986.
Où vas-tu Michel ?
Depuis Soul music airlines en 1996, certains le disaient égaré, d'autres parlaient d'une source tarie. Que nenni ! Michel Jonasz continue d'aller son petit bonhomme de chemin. Son dernier album Où vont les rêves ? est une vraie merveille, une cure de jouvence et de plaisir auditif, gorgé de vie comme La fabuleuse histoire de Mister swing ou le live mythique de 1986.
Des prises de son live, une certaine improvisation et de la spontanéité, lorsqu’on écoute Où vont les rêves, on a l’impression d’assister au grand retour de Mister Swing…
Non… (pause) Je ne vois pas. Quand on me parle de retour, c'est toujours un peu curieux. Le dernier album aussi on m’avait dit: "Tiens! C’est un retour à..." ou "un retour vers". Je ne comprend pas bien ce que cela veut dire "retour" parce que je n’ai pas l’impression d’être parti quelque part. Il y a une évolution normale dans la vie de n’importe quel artiste et puis voilà!….
Alors peut être faut-il dire qu’il y a dans cet album, des titres dans la veine de Mister swing, des chansons très acoustiques avec de belles ballades ?…
Je ne sais pas non plus. Parce que si vous me dites qu’il y a de belles ballades, cela veut dire qu’il n’y en avait pas sur le dernier album… Alors il faut faire gaffe… Je peux tout prendre mal si j’ai envie… (rire nerveux)
En revanche, ce que je veux bien dire c’est que Mister swing était effectivement un album live avec une formation réduite un peu comme ici, sans guitare. Et avec Où vont les rêves ?, c’était ma volonté de retrouver cet esprit live. Cet album a été fait comme cela. Je me suis fait un cahier des charges très précis, un petit peu sévère. Il n’y avait pas de "re-re", pas le droit de rejouer après. C’était comme s'il y avait obligation de faire d’un studio d’enregistrement une salle de théâtre. Bien sûr, la seule différence, c'était de s’autoriser à répéter plusieurs fois parce qu'il n’y avait pas de public. Ce côté-là, être ensemble, jouer ensemble et se faire plaisir ensemble, nous rapproche de Mister Swing.
Dans ce cahier des charges, on a l’impression que Steve Gadd a été privé de baguettes. Qu’il n’a droit qu’aux balais, qu’Etienne M’Bappé n’a pas droit au slap… tout y est très doux. L’atmosphère se devait d’être douce?
Il n’y avait pas d’arrangeurs. On était quatre, sans s’être trop vu auparavant. J’avais juste discuté avec le pianiste trois, quatre fois, en amont car cela me paraissait important. Etienne et Steve ne connaissaient pas les chansons du tout. En studio, je commençais à fredonner les chansons. Je n’avais même pas le temps d’aller jusqu’au bout qu’ils commençaient à jouer! C’était assez magique parce que – en définitive - qu’est ce que c’est qu’une chanson? C’est une mélodie, c’est des harmonies et c’est un tempo… Ici tout a fonctionné sans qu’on en parle. Mais…, qu’est ce qui fait que ce sont ces notes-là qui viennent? Que c’est ce qu’on joue et pas autre chose? Et bien je ne sais pas… En tout cas, disait Steve Gadd – et je suis assez d’accord avec lui – il faut laisser la musique nous emporter. C’est la musique qui nous dit ce qu’on a à jouer. C’est l’esprit de cet album: on est ensemble. La clef, c’est la confiance. Alors, il y a un lâcher prise et on joue, on se laisse aller. Qu’est ce qui fait que tout cela est harmonieux? C’est que chacun est à l’écoute de l’autre.
Si la musique fut quasi improvisée, les textes, eux, sont longuement préparés. D’où vous vient l’inspiration d’un titre comme Vieux Style?
C'est une chanson sur un mec qui est un petit resté bloqué sur les années 60. Qui a la nostalgie de ces années-là. Qui n’aime pas l’époque que l’on vit aujourd’hui. Son monde, c’est ça. Il a les voitures de cette époque-là, il a les disque de cette époque-là…
J’aime ces années-là, elles ont été importantes dans ma vie. Mais je n’en ai pas la nostalgie. Je pourrais avoir à la rigueur la nostalgie de mes quinze ans, de mon adolescence qui date de cette époque. Et encore, c’est plutôt un regard tendre et ému comme une vieille photo. Mais je ne suis pas en train de me dire : c’était quand même bien, c’était quand même mieux… Je me réjouis beaucoup plus du présent, voire de ce que la vie me réserve que du passé. Parce qu’on me parle souvent de ces histoires de nostalgie ou de mélancolie par rapport à mes chansons. Je m’en sers parce que c’est utile, c’est un bon moyen pour exprimer une émotion, pour exprimer un sentiment. C’est un bon moyen, la nostalgie, mais ce n’est pas vraiment vécu chez moi.
Et l’histoire du Grand-Père toujours amoureux, s'agit-il du vôtre ou de vous plus tard ?
C’est plusieurs histoires vécues et mélangées. On se raconte aussi à travers l’imaginaire. Je suis toujours très attendri par ces couples qui se connaissent sur le bout des doigts, qui se regardent d’une certaine façon. On sent qu’il y a toujours le même regard ému et amoureux. Et quand il y en a un qui s’en va, la vie s’arrête pour l’autre. C’est quelque chose de terrible, je le sais, c’est quelque chose que j’ai vu et connu. (pause)
C'est une chanson que j’ai commencé à écrire il y a douzaine d’années, ces deux phrases en tout cas : "Elle repasse les chemises sans col du grand-père, pendant qu’il se repose un peu / soixante années d’amour passées dans la lumière…". J’avais ça, juste ça. Et puis, la suite est venue plus tard. Cela veut dire que c’était un sujet qui me tenait à cœur et que c’était une chose si importante qu’il fallait du temps pour que ça passe, que je ne pouvais pas écrire tout de suite. Peut-être, aussi, est-ce une question de pudeur. Quelque chose de trop lourd, pour être dit tout de suite.
Est-ce qu’il y a une unité, un ensemble dans vos albums ? Les chansons s’imbriquent-elles les unes dans les autres ?
Je me rends compte que chaque album raconte une nouvelle histoire, je ne me dis pas qu’il va y avoir un fil conducteur à chaque fois. J’écris une trentaine de chansons, pour en garder douze ou quatorze et puis voilà… Et, un jour, je réalise que celui-ci en raconte une. Mais, très tard, lorsqu’il est quasi terminé et que j’ordonne les chansons. Il y a une histoire, mais j’aime bien ne pas le dire ! (sourire) Il peut y avoir un personnage à travers toutes ces chansons : les années 60, le groupe de rock de la chanson du rythm’n blues, ce grand-père, l’attachement à l’enfance avec Je pense à elle tous les jours, le Blues, Où vont les rêves ? avec ce qu’on fait de sa vie. Ça raconte, je crois, une histoire mais je pense aussi que chacun peut se faire sa propre histoire à travers ces chansons-là…
Michel Jonasz / Où vont les rêves (EMI / Capitol) 2002