Les souvenirs du Bled de Gnawa Diffusion

Le collectif franco-algérien Gnawa Diffusion, mené de main de maître par Amazigh Kateb, est rentré d’une tournée en Algérie avec Live DZ. Enregistré en public, ce troisième album, chargé d’émotion, marque le premier retour du chanteur au pays. L’occasion de rencontrer cet écorché vif, à l’heure où s’ouvre ce soir Djazaïr, l’année de l’Algérie en France, avec un grand concert au Palais Omnisports de Paris-Bercy.

Le premier live enregistré en Algérie

Le collectif franco-algérien Gnawa Diffusion, mené de main de maître par Amazigh Kateb, est rentré d’une tournée en Algérie avec Live DZ. Enregistré en public, ce troisième album, chargé d’émotion, marque le premier retour du chanteur au pays. L’occasion de rencontrer cet écorché vif, à l’heure où s’ouvre ce soir Djazaïr, l’année de l’Algérie en France, avec un grand concert au Palais Omnisports de Paris-Bercy.

RFI Musique: Vous avez signé récemment Live DZ, un double album enregistré lors de vos différents concerts en Algérie. Pourquoi un live si tôt dans la discographie de Gnawa Diffusion?
Amazigh Kateb : Au départ, on avait uniquement envie de graver nos concerts afin de garder au moins une trace sonore de notre passage en Algérie. Pour Gnawa Diffusion, c’était la première tournée au bled. Et puis, on nous a mis tellement de bâtons dans les roues qu’on a décidé, en réponse, d’essayer de faire un véritable album et même un double, qu’on a appelé Live DZ! A Alger, le Dz, c’est l’abréviation d’El Djazaïr en arabe. Et puis aussi chez nous, l’expression "système D" se traduit par "système D Z". Cela reflète bien l’esprit de ce live de la débrouille qui a été fait avec des bouts de ficelles, comme par exemple, coupler ensemble des petites consoles de 16 pistes. Au final, c’est une vraie victoire pour le groupe, un juste retour des choses, en somme! On a investi de notre énergie, mais maintenant il y a une pérennisation de nos émotions algériennes, puisque la durée de vie d’un disque est supérieure à celle d’un être humain. Enfin, ce disque a une valeur très symbolique car il faut savoir qu’aucun enregistrement public n’avait eu lieu jusqu’à présent en Algérie.

RFI Musique: Cet enregistrement live semble vous tenir à cœur. Comment avez-vous ressenti le public algérien? Quelle était l’ambiance dans les salles?
Amazigh Kateb : L’ambiance était hyper chaude. Je me rappelle que le premier soir où on a joué, j’ai eu le sentiment que nous perdions le match. Les gens avaient tellement de force, ils connaissaient nos chansons par cœur alors que nos disques ne sont pas distribués officiellement en Algérie. De notre côté, à la fin du morceau d’ouverture, nous avions la moitié de notre énergie qui était partie, à cause de la réaction du public. Nous ne nous attendions pas à une telle communion avec la foule. La raison est simple: les gens comprenaient parfaitement le sens de nos chansons qui sont pour la plupart écrites en arabe dialectal. C’est incomparable quand vous saisissez la nuance des textes et qu’en plus vous vibrez sur la musique. Je n’avais jamais ressenti auparavant cette émotion devant un autre public. En plus, il y avait un pourcentage incroyable de femmes! Alors qu’en général, il y a principalement des mecs dans les concerts en Algérie. Je pensais que Gnawa Diffusion était totalement inconnu à Alger, à Constantine ou encore à Annaba. En fait, quand vous vous promenez dans les rues, vous entendez notre musique à travers les radios-K7. J’étais vraiment agréablement surpris d’avoir ce retour de la part du peuple algérien.

RFI Musique: Dans le public, se trouvaient vos proches que vous n’aviez pas vu depuis que vous avez quitté le pays, il y a seize ans. Cela fait quel effet ?
Amazigh Kateb : Tous les gens qui font de la scène, vous le dirons, c’est toujours beaucoup plus dur de jouer devant ses proches que d’être face à des anonymes. C’est vrai qu’il y avait ma famille, mes potes d’enfance, mes vieilles copines, les amis de mon père. Après toutes ces années, çela m’a touché particulièrement de jouer à Alger, la ville de mon enfance. C’était comme un rêve, car je ne pensais pas que mon groupe allait durer suffisamment pour, qu’un jour, j’envisage de me produire au pays.

RFI Musique: Arrêtons-nous un peu sur le concept musical de Gnawa Diffusion. Comment êtes- vous parvenu à obtenir ce mixage sonore bien particulier?
Amazigh Kateb : En fait, on est passé par différentes étapes. Au début, quand le groupe s’est formé il y a une dizaine d’années, son but était de s’orienter vers la fusion mais en réalité on faisait du collage. Chacun restait sur ses influences, sur son jeu. Le résultat donnait un patchwork et moi, je n’étais pas vraiment satisfait. Je voulais, qu’ensemble, l’on arrive à un truc qui sonne ethnique mais moderne en même temps avec du texte. Au fond, mon souhait était de faire de la chanson. Aujourd’hui, je propose des paroles ou une mélodie, un autre apporte une musique, tout marche au feeling. On bosse avec la matière sonore comme n’importe quels musiciens ou chanteurs qu’ils soient rockers ou autres! Au final, ça donne des couleurs gnawa, des rythmes reggae, des parfums de chaabi, etc... Bref, tout ce qu’on aime. C’est un peu comme la décoration d’un salon. Il y en a qui vont mettre uniquement des meubles Louis XVI. Nous, on voit notre salon décoré avec plein de chose différentes...

RFI Musique: Est-ce que Grenoble, votre ville d’adoption dans le sud-est de la France, a compté dans votre travail d’artiste ?
Amazigh Kateb: Je suis arrivé à Grenoble à la fin des années 90 parce que je venais de perdre mon père dans cette ville de province. Je ne l’ai vu qu’une fois avant qu’il parte et cela m’a fait très mal. Donc, je me suis dit que j’allais récupérer son souffle, là ou il avait respiré pour la dernière fois. C’était le point de départ. Ensuite j’ai galéré de manœuvre en petits boulots et j’en avais marre de m’inscrire dans les boîtes d’intérim. J’habitais l’Arlequin, un quartier difficile où le nombre de chômeurs était important. En plus, quand tu es domicilié ici, tu as vraiment du mal à trouver du travail. Au fil du temps, je comprenais, à chaque fois, que l’on me considérais comme un "Bougnoule". C’est là que je me suis dis que j’allais en faire mon métier de cette putain de "Bougnoulitude"! J’ai donc commencé à rencontrer des musiciens grenoblois avec lesquels j’ai bossé quelques morceaux. Puis, on a eu la chance de passer une audition et tout s’est accéléré jusqu’à notre concert en première partie du groupe FFF. Je m’en rappelle, c’était le 27 juin 1992, à Echirolles au sud de Grenoble. Cette première scène pour Gnawa Diffusion, devant 3000 personnes, nous a vraiment donné envie de continuer.

RFI Musique : Après ce live, quels sont vos projets pour 2003, année de la célébration de l’Algérie en France?
Amazigh Kateb : Nous sommes déjà en studio pour le prochain album qui sortira en mai prochain. Parallèlement nous voulons monter une création avec des chanteuses de Timimoun (ndlr : ville saharienne au sud-ouest de l’Algérie), que nous présenterons à l’automne prochain en France. C’est une manière d’effectuer un véritable travail sur la féminité universelle et en même temps de rendre hommage à l’Algérie des femmes. Ces filles jouent un répertoire traditionnel à partir de chants un peu religieux mais surtout très rattachés à la terre. Il y a des cérémonies pour la fécondation du palmier, d’autres pour marquer la fin de l’été ou encore les cycles lunaires. Pour moi, ce projet est important car c’est à Timimoun que j’ai eu ma première émotion musicale. Une grosse partie de mon inspiration vient de ce voyage dans cette oasis, quand j’avais 9 ans. J’ai "kiffé" complètement parce que c’est là que j’ai commencé à m’intéresser aux musiques algériennes. Avant, je n'aimais pas du tout! J’ai le sentiment que ce sont mes rencontres avec les peuples du centre et du sud, c’est-à-dire les Algériens noirs plus proches de l’Afrique sub-saharienne que de la Méditerranée, qui m’ont attiré. En un mot, à travers ce beau projet qui réunit pas moins de 17 personnes, sans compter les techniciens, j’écoute mon époque à travers mon histoire. Un peu comme un sportif qui écoute son corps au fil de ses entraînements et de ses compétitions...

Gnawa Diffusion Live DZ/Next Music (2002)