Chroniques féminines

Trois disques rares, trois disques de femme(s) qui loin des grands circuits commerciaux, ont enregistré des disques très personnels à la seule force de leur passion de la musique et de la chanson.

La Bergère, Victor Lazlo, Evasion.

Trois disques rares, trois disques de femme(s) qui loin des grands circuits commerciaux, ont enregistré des disques très personnels à la seule force de leur passion de la musique et de la chanson.

LA BERGÈRE / Ouvarosa (Elf Production)

En moins de deux minutes, C’était, premier titre d’Ouvarosa, ouvre à la façon d’un il était une fois des contes de notre enfance ce premier album de la Bergère (Sylvie Berger pour l’état civil). Bienvenu au royaume de la Bergère, où entre joies enfantines et peines d’adultes (l’inverse est aussi vrai), la chanteuse tisse des liens étranges, des circuits incertains, des allers-retours enivrants. Mélancolies heureuses et bonheurs contraints coulent avec la grâce d’un onguent magique au fil des 12 plages de ce délicat album aux allures apparemment anachroniques. Les textes actuels et les récits anciens empruntés à Gaston Couté, Victor Hugo ou Paul Fort se marient ici dans l’éclat des blanches mélodies arrangées par Gabriel Yacoub. Subtile réalisation et véritable tableau musical tout en nuances et en émotion, chacune des chansons tinte comme le murmure frais d’une cascade légère. Petits Cailloux dessine une voie, un chemin sur lequel s’insinue la clarinette basse de Willy Soulette. Ouvarosa, titre qui donne son nom à l’album, décline au présent et à chaque note de guitare, les souvenirs de cette grand-mère qui s’éloigne avec le temps. La slide guitare d’Elle dansait surprend en bousculant le déroulement d’une chanson presque prévisible.

Complice de longue date, Gabriel Yacoub avait produit l’album de d’Ambrozijn, une formation folk flamande où chantait La Bergère, tandis qu’elle avait posé sa voix sur deux de ses albums solo. Sur ce premier opus solo de la chanteuse, Gabriel Yacoub s’est investi sans retenue. Au point qu’en l’absence de maison de disques prête à signer cet Ouvarosa évidemment décalé à l’heure des productions star-acadamisées, le duo chanteuse/producteur a préféré après quelques envois ponctués de fins de non recevoir, ne pas trop élimer la singulière texture de leur travail en frappant en vain à des portes qui ne s’ouvrent jamais. Ils ont tracé leur route, auto-distribuant ce premier album par correspondance, via Internet, sur leurs sites respectifs et dans la plus grande chaîne de distribution de disques de la région parisienne, toujours prête, elle, à soutenir ce genre d'initiatives. Et les commandes ne se sont pas fait attendre. Excités par cette nouvelle façon de travailler qui s’inscrit naturellement dans le cursus débridé de l’ex-leader de Malicorne, Gabriel Yacoub et sa protégée prouvent qu’il n’est nul besoin de gros budget pour aller à l’essentiel, qu’une petite équipe peut, pour peu qu’elle soit armée de sincérité et de talent, écrire son propre conte de fées. Magique, non ?

Squaaly

VIKTOR LAZLO / Loin de Paname (Nsb/ Polydor 2002)

La nostalgie, à défaut de faire recette à tous les coups, est une source d’inspiration inépuisable pour les chanteurs. Au-delà des frontières hexagonales, on révère Sinatra et les apôtres du vieux style se nomment Robbie Williams ou récemment Rod Stewart. En France, l’une des tendances du moment est d’exhumer les classiques du début du siècle. Des compilations pléthoriques rappellent au bon souvenir du public Mon légionnaire et autres Amants de St Jean, Patrick Bruel s’invente une panoplie de titi parisien…

L’une des dernières à invoquer les aïeux de la chansons française se nomme Viktor Lazlo. Avec Loin de Paname, sa dernière livraison, l’interprète du tubesque Canoë rose en 1985 apporte sa contribution à l’entreprise de réhabilitation des standards des années 20-30. Avec en bonus, une touche toute personnelle. La chanteuse, plutôt discrète ces derniers temps, a choisi d’accommoder lesdits classiques aux modes cubaine et caribéenne, plutôt que de tenter un hypothétique dépoussiérage. Loin de Paname (le titre fait aussi écho à la carrière de Lazlo qui, si elle n’a pas renoncé à la chanson, s’est essentiellement produite à l’étranger depuis quelques années) se démarque ainsi des projets similaires, même s’il s’agit moins pour Lazlo de jouer les originales que de véritablement se faire plaisir, en signant un album qui, de son propre aveu, lui ressemble. Certes, elle s’est fait griller la priorité par un Patrick Bruel opportuniste, qui n’en finit plus de compter les ventes (plus de 2 millions de single de Mon Amant de St Jean à ce jour) de son Entre deux. Elle murmure que le bonhomme "balaie devant sa porte", manière de dire que son projet à elle n’est pas né d’hier mais a vu le jour voilà presque deux ans. Il convient donc de saluer la démarche artistique, l’identité ainsi que l’évidente sincérité de l’initiative, ainsi résumée par Viktor Lazlo : "Marier les rythmes de là-bas et les mots d’ici".

Si la démarche est, sur le papier, digne d’intérêt, on peut en revanche émettre quelques réserves à l’écoute d’un produit fini… pas franchement emballant. Non qu’exotisme et classicisme fassent forcément mauvais ménage, mais l’ensemble, loin d’être irréprochable, a des airs un poil convenu. Premier grief, les arrangements, certes exotiques, sont sans réel relief. Si le but affiché est d’apporter une couleur nouvelle à des refrains patrimoniaux, les oreilles les plus exigeantes ne peuvent s’empêcher de trouver un peu terne cette enfilade de rythmes du soleil down tempo, sorte de latin jazz de canapé un rien poussif. D’autant que la voix sensuelle de Dame Viktor, d’ordinaire fluide et assurée, se fait par instants fébrile. Effet de style ou pas, le résultat n’est pas véritablement enthousiasmant. Donnée en spectacle au théâtre de Ménilmontant en novembre dernier, la Lazlo Touch ne prend peut-être pas toute son ampleur sur disque ? Il n’empêche que s’il sonne moins ostensiblement variét', moins folklore de supermarché que la version Bruel - dont l’Entre deux reprend quasiment le même répertoire - on attendait mieux que cette tentative un peu vaine d’ensoleillement des classiques.

Loïc Bussières

EVASION / Etranges étrangers (L'autre distribution)

Six voix d’ici et d’ailleurs. C’est ainsi que se définit le sextuor vocal Evasion. Six filles de Valence, dans le sud de la France, aux origines algérienne, portugaise, italienne mais aussi bretonne, qui vagabondent à travers les chants du monde et la chanson néo-réaliste. Un répertoire que ce chœur féminin défend sur son quatrième album Etranges étrangers. Extrait d’un recueil du poète Jacques Prévert, ce titre symbolise tout à fait l’esprit d’Evasion : "En reprenant ce classique de la littérature française du XXème siècle qui date de 1955, c’est une manière de rendre hommage à nos parents issus de l’immigration. Nous voulons aussi refléter cette France multiculturelle qui nous ressemble, nous qui avons grandi, chacun, avec deux cultures", explique Nathalie Ferreira.

Outre Prévert et Bertolt Brecht, également ressuscité sur le titre La marche des veaux, cet opus fait aussi appel à des textes inédits et puise dans le patrimoine traditionnel, notamment méditerranéen. "Pour refléter cette identité plurielle méditerranéenne, nous ne chantons pas uniquement en français mais aussi en catalan, en arabe, en sarde, etc… Cela nous permet, là encore, de réaffirmer le côté venu d’ailleurs de notre groupe" précise Gwénaëlle Baudin. Ainsi d’un morceau à l’autre, Evasion offre un authentique kaléidoscope vocal en jonglant avec les langues et les mots. Un bel exercice de style soutenu par un accompagnement sobre (accordéon, piano, cordes) pour ces six jeunes femmes polyglottes, aussi à l’aise dans le registre humoristique que nostalgique, qui ont la particularité d’apprendre tout d’oreille. Autodidactes, elles revendiquent cet apprentissage ancestral basé sur la transmission orale. Une méthode sans solfège presque innée pour ces choristes dont la spontanéité n’occulte pas un réel travail de technique vocale : onomatopées, phrasé syllabique, jeu de sons avec la mâchoire… Ce subtil équilibre entre fraîcheur et rigueur est particulièrement perceptible sur scène où les Valentinoises donnent autant à voir qu’à entendre.

Toutes passionnées par le chant dès leur adolescence, nos six complices ont fait leur début à la MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) de Romans dans la Drôme, en 1986. Après avoir monté un premier spectacle, elles enregistrent un premier disque Vous et Nous, en 1993, avec lequel elles participent au Printemps de Bourges. Un tremplin incontournable qui leur permet d’intégrer sérieusement le réseau de la chanson française. Déterminé, Evasion commence à se faire un nom et grave un second album Au fil des voix, en 1996. Un enregistrement qui amène le groupe sur la scène de l’Olympia et des Francofolies à La Rochelle et Montréal. Trois ans plus tard, les "sœurs de chœur" entrent de nouveau en studio et signent Peuples amants, un troisième CD bien accueilli, entre autres, au Festival d’Avignon et au Théâtre du Châtelet, à Paris. Bref, un parcours d’une bonne dizaine d’années allant crescendo pour cette formation singulière par son éclectisme. Résultat, Evasion a su aujourd’hui trouver sa place entre Femmouzes T, le duo féminin brésilo-toulousain adepte de la chanson festive, et Zap Mama, les polyphonies belgo-congolaises. Mais après tout, pourquoi chercher à les comparer ? Elles sont uniques avec leur manière de nous entraîner dans leur évasion sans frontières qui prône la différence des cultures dans l’unité de la voix…

Daniel Lieuze