Enrico Macias
"Franchement, je nage dans le bonheur" : avec la sortie très bien accueillie de son album Oranges amères (chez Tréma) et son prochain Olympia du 1er au 9 mars, Enrico Macias a tout lieu d’être satisfait.
Le chanteur sort un de ses meilleurs albums.
"Franchement, je nage dans le bonheur" : avec la sortie très bien accueillie de son album Oranges amères (chez Tréma) et son prochain Olympia du 1er au 9 mars, Enrico Macias a tout lieu d’être satisfait.
Il a enregistré ses premières chansons nouvelles depuis sept ans en compagnie de son fils, le producteur Jean-Claude Ghrenassia (déjà responsable d’Enrico Expérience, relecture électro de son répertoire), et il reconnaît lui-même avoir retrouvé un niveau d’écriture aussi fécond que celui de ses premiers grands succès. Et, pour la première fois, il va mettre onze nouveaux titres à son répertoire de scène. Rencontre avec un homme heureux, donc, mais qui ne mâche pas ses mots dès lors que l’on évoque l’Algérie.
Depuis la sortie de votre album, on lit partout son éloge dans la presse française…
Quand il s’agit de soi-même, on a de la pudeur. Mais là, c’est l’œuvre de mon fils, et c’est mon fils dont je suis très fier. Il a tellement bien travaillé, il est tellement doué, il est tellement fort! Avoir un résultat pareil avec mon fils? Mais je suis un milliard de fois plus content que si c’était moi! Au départ, je ne voulais pas travailler avec lui, parce qu c'est un jazzman, parce qu’il n’a pas la même sensibilité que moi. Mais je ne connaissais pas la portée de ce qu’il avait fait, comme avec Enrico Expérience. Je me rends compte maintenant qu’il a, dans le métier, une certaine reconnaissance que, moi, je commençais à perdre. Les gens n’aiment pas avoir l’impression que je ne suis pas moi-même, comme, je crois, avec mon disque précédent.
De quoi êtes-vous le plus satisfait dans ce travail avec votre fils ?
Des nouveaux auteurs qu'il m'a présentés et aussi de la façon dont nous avons travaillé. Il m’a invité dans son nouveau studio, que je ne connaissais pas. C’était comme un bureau, alors que lui ai demandé: «Nous allons faire les maquettes? Mais on n’a pas le temps, il faut aller au studio directement.» Il m’a dit: «C’est là.» Ce n’est pas possible, comment travaillent ces jeunes! Ça m’a rappelé mes débuts. A l’époque, je n’avais pas de chef d’orchestre, je ne connaissais pas le solfège. Je voulais avoir une formation avec trois guitares, percussions, contrebasse et ma guitare. J’allais dans les cabarets et, quand j’entendais un guitariste qui jouait bien, je lui donnais rendez-vous au studio de Pathé-Marconi. On se retrouvait, on choisissait quelques accords et on enregistrait, sans chef d’orchestre pour écrire les arrangements. On a vendu des millions de disques comme ça. Après, je me suis structuré, j’ai pris des chefs et pendant presque quarante ans, j’ai fait des disques comme tout le monde, dans un studio avec des vitres, des cabines insonorisées, des cloisons, des arrangements écrits... Avec mon fils, j’ai enregistré des parties de guitare assis sur un canapé, décontracté. Lui, il me faisait signe de ne pas faire de bruit deux minutes et, pareil, il enregistrait sa partie de basse, lui aussi sur un canapé. On a enregistré ce disque comme si on faisait un bœuf et c’est pour cela qu’il est beau: il est naturel.
Il semble même que vous ayez fait des progrès à la guitare…
Tout ce que joue est improvisé. A la guitare, on n’a jamais fini de progresser. Mais j’ai réécouté les enregistrements que je faisais avec mon beau-père quand j’avais quinze ans. Et il n’y a pas une très grande différence, en fait. Simplement, pour ce disque, avec mon fils, j’ai retrouvé mes repères.
Justement, vous n’avez pas sorti de nouveau disque de chansons depuis sept ans, mais dans l’intervalle vous avez enregistré et beaucoup joué en tournée un hommage au maalouf de Cheikh Raymond.
Vous touchez du doigt ce qui s’est passé pour moi, et que mon fils a saisi. C’est de la musique arabo-andalouse que vient la force de ce disque. Lorsque j’ai fait mes premières chansons, je quittais à peine la musique arabo-andalouse, tout à fait comme maintenant. Ce qui prouve bien que les gens n’aiment que ce qui vient de mes vraies racines. Sans vouloir jouer au faux modeste, j’ai bien fait de prendre du recul, d’arrêter d’écrire pendant sept ans. Et ce n’est pas de sitôt que je vais faire un prochain disque de la valeur de celui-là.
Vous revenez clairement dans votre disque sur le fait que la tournée que vous deviez faire en Algérie avec votre hommage au Cheikh Raymond a été annulée au dernier moment, que certains Arabes de France ont réclamé l’annulation de votre concert à Roubaix au nom de la solidarité avec la Palestine...
On m’a barré la route en Algérie, on a voulu m’interdire de chanter à Roubaix - moi, en France, parce que je suis juif et que je n’aurais pas le droit de chanter mes racines?! Comment aurais-je eu le cœur à écrire des chansons après ce qui m’est arrivé? Alors c’est mon fils qui a pris le relais, qui a compris ma souffrance. Il m’a présenté de nouveaux auteurs et j’ai écrit, je crois, des chansons dignes de mes premiers succès.
Cela fait des lustres que vous chantez pour la paix et la réconciliation entre les peuples. Vous devez bien constater, comme tout le monde, que cela n’arrive toujours pas ?
Je chante la paix, mais la paix n’existe pas dans le monde. Si je le fais, ce n’est pas pour en jouir tout de suite: même si je ne la vois pas de mon vivant, je ne veux pas que mes enfants ou mes arrières-petits-enfants nous reprochent de n’avoir rien fait. L’Andalousie que je chante dans mon disque, l’Andalousie d’avant Isabelle la Catholique, dans laquelle vivaient en paix chrétiens, juifs et musulmans, cette Andalousie a existé et elle existera un jour. Avec ce regard vers l’avenir, j’ai d’abord la conscience tranquille et, ensuite, quand les bras me tombent, cela me les fait relever, cela me fait recommencer à y croire. Il n’y a rien de pire que perdre espoir.
Enrico Macias : Oranges amères (Tréma). Du 1er au 9 mars à l’Olympia (Paris) puis en tournée.