Jeunes premiers
Camille et Roméo, tous deux auteurs de premiers albums, remarqués en 2002, font scène commune à l’Européen à Paris du 28 janvier au 1er février prochain. L’occasion de découvrir deux forces vives de la chanson française.
Camille et Roméo
Camille et Roméo, tous deux auteurs de premiers albums, remarqués en 2002, font scène commune à l’Européen à Paris du 28 janvier au 1er février prochain. L’occasion de découvrir deux forces vives de la chanson française.
Camille et Le sac des filles
Exciter la curiosité des garçons tout en mettant la gente féminine dans la confidence… Ce pourrait être le postulat de départ du Sac des filles, premier opus d’une Camille précieuse, brillante et avant tout singulière.
Avec sa voix qui s’aventure parfois dans les hauteurs, ses mélodies familières et son univers immédiatement assimilable, on aurait tôt fait de voir en Camille une sorte de version féminine de M. D’autant que ce Sac des filles convoque des artistes coutumiers de la galaxie de Chédid Jr : le jazzman Magic Malik et Sébastien Martel, l’ex-guitariste du groupe Vercoquin cosignent chacun plusieurs titres. Ce serait nier la personnalité attachante de la jeune fille, convertie à la chanson après qu’elle eut donné de la voix à la fin d’une réunion de famille! Pudique, mutine, mais avant tout nature, Camille n’a pas de panoplie de Machistador, mais une manière de vider son sac tout en finesse. Et sans artifice.
Passé par la fac de lettres et Sciences Po, cette encore récente étudiante qui a tenu à valider son année universitaire en cours avant de signer son contrat avec sa maison de disques, se fiche bien de la course à la starisation qui semble obséder bon nombre d’apprentis chanteurs. Sans faire de son authenticité un argument de vente cynique, la jeune fille peu versée dans les paillettes, avance, lucide : "tout ce qui est artiste ‘marketing’ permet de se repositionner encore plus clairement dans le système. Ce genre de phénomène m’a permis de trouver mes marques. Ça a clarifié ma démarche".
La démarche en question tient en onze compositions délicates, collection d’humeurs tour à tour badines (les Exoù elle épingle les penchants adultérins de son Jules) ou pudiques (Mon petit vieux, touchant récit d’une amitié avec une personne âgée). Sans verser dans la sensiblerie bon marché, la demoiselle cisèle des textes taillés sur mesure pour sa voix limpide et sucrée, aidée d’une plume suffisamment habile pour ne pas faire de sa folk à la française une resucée de Fiona Apple ou quelque autre ersatz mal à propos.
D’autant que l’univers musical de Camille affiche lui aussi sa singularité - entre la facture quasi-académique de Paris, premier extrait de l’album, et des titres qui naviguent élégamment entre pop apprêtée et balades acoustiques mâtinées de soul. Le style Camille, plus fouillé que fouilli, sonne juste et a déjà séduit Maxime Le Forestier ou Alain Souchon dont elle a assuré les premières parties. Avec cette première livraison, qui pour l’anecdote s’assure les services du producteur Jacques Erhart (un des responsables du come-back providentiel d’Henri Salvador), Camille prouve qu’elle a plus d’un tour dans son sac de fille !
Camille Le sac des filles (Source) 2002
Roméo, le chanteur qui fait Non, non, non
On peut porter un pseudo de comédie musicale sans pour autant faire dans la variété de supermarché : la preuve avec Roméo, dandy désinvolte auteur d’un premier album, Non, non, non, porté par une saine légèreté et une apparente simplicité. Des chansons entêtantes et accrocheuses. Des textes malins, même s’ils tournent un poil à l’exercice de style. S’il appelle sa Juliette Petite conne, Roméo sait pourtant séduire ! Aux prix de quelques facilités.
Si certains voient dans le cynisme de Roméo une touche de Dutronc sous influence Jacques Lanzman, ou quelque autre parenté gainsbourienne, on retiendra surtout de l’auteur du presque tube estival Petite conne, son art consommé de la chansonnette, à prendre ici au sens noble du terme. Plus qu’une ronflante filiation avec lesdits maîtres chanteurs, c’est la légèreté affichée de cette première livraison qui en fait son principal atout. Pas spécialement portés sur la prise de tête, même lorsqu’il s’agit de faire la nique au sida (Les années s.i.d.a. sid), les refrains de Roméo font mouche dès la première écoute, à l’image du premier extrait qui donne son nom à l’album. Arrangements d’une saine sobriété, couplets accrocheurs, mélodies simples mais jamais simplistes : la formule Roméo, pop pimpante et pas tape à l’œil, sait se montrer efficace.
Ancien pensionnaire de l’école d’Alice Dona, le natif de Limoges aura gardé de cette expérience un goût évident du rapport textuel. L’écriture habile du bonhomme, qui fait oublier ce que sa voix, un rien pâle, peut avoir d’impersonnelle, repose avant tout sur un sens de la formule aiguisé ("C’est pas l’Népal où on a l’pif un peu blême/ C’est pas le Tchad où on te dira à tes souhaits"), qui donne lieu à quelques heureuses trouvailles ("L'verse des larmes Monica/ Parce qu’il la trompette/ Avec un trombone/ Et L se dit flûte").
Ce penchant pour le bon mot mis en musique, pour séduisant qu’il soit, prend néanmoins le risque de limiter la portée de ce premier album, au demeurant cohérent et particulièrement digeste. Volontiers désinvolte, comme ses maîtres à chanter cités plus haut, Roméo reste avec Non, non, non dans le domaine de la chanson pour rire. Sur le mode doux-amer, et avec un certain brio certes, mais sans pour autant qu’il ne subsiste de ce premier essai solo autre chose qu’une impression fugitive, et que cette collection de ritournelles ne tournent à l’exercice de style, à l’enfilade de figures imposées, à l’exploration de champs lexicaux bien définis (les instruments de musique dans Des larmes Monica, les couleurs dans Je suis vert etc.). Sans être totalement stérile, ce Non, non, non qui n’affiche pas d’autre ambition qu’une certaine badinerie tourne cependant un peu en rond. Pas facile, pour le chanteur ludique, de résister à l'insoutenable légèreté des lettres !
Roméo Non non non (Tôt ou tard) 2002