Dédé Saint-Prix et le compas haïtien

A l'occasion de ses 50 ans, Dédé St-Prix sera vendredi soir sur la scène du New Morning à Paris. Il vient sortir A la Tingawa, un album dédié au compas haïtien, ce rythme né du mérengué qui a envahit les Antilles dans les années 60 et s’est mélangé au jazz, au calypso et autres rythmes latinos.

Du chouval bwa au compas.

A l'occasion de ses 50 ans, Dédé St-Prix sera vendredi soir sur la scène du New Morning à Paris. Il vient sortir A la Tingawa, un album dédié au compas haïtien, ce rythme né du mérengué qui a envahit les Antilles dans les années 60 et s’est mélangé au jazz, au calypso et autres rythmes latinos.

Percussionniste, flûtiste, chanteur antidote à la morosité, jamais aussi persuasif que sur scène, Dédé Saint-Prix entretient le feu sacré du chouval bwa, la musique menée par le tambour débonda qui accompagnait autrefois la ronde des chevaux de bois en Martinique. Si cette musique du temps jadis reste son étendard, son obsession, il s’autorise aussi parfois quelques digressions. Témoin cet album dédié au compas qu’il a enregistré récemment avec son pote guitariste Ti-Jack.

RFI : Quand a commencé votre amitié musicale et humaine avec Ti-Jack ?
Dédé Saint-Prix : On s’est retrouvés en 1987 à Paris, mais en fait je me souviens de notre rencontre quand il a débarqué en Martinique. Depuis deux ans il fait partie de mon groupe de chouval bwa. La musique haïtienne, c’est la première fois qu’on l’attaque vraiment avec cet album. Avant, on abordait un peu le compas dans le groupe, mais ce n’était pas l’essentiel.

RFI : Votre histoire avec le compas est une histoire ancienne ?
Dédé S.-P. : J’ai le souvenir depuis mon enfance des orchestres haïtiens qui venaient en Martinique jouer dans les bals. Il y a toujours eu des Haïtiens en Martinique. J’ai joué avec eux très tôt, et je leur ai toujours ouvert ma porte. Ce qui n’était pas forcément courant. Il fut un temps en effet où les Haïtiens n’étaient pas très bien vus chez nous. Ils étaient sans papiers, demandaient des petits jobs pour se débrouiller. Maintenant c’est fini, ils sont intégrés et acceptés. Ils ne traînent plus cette image de marginaux, de boucs émissaires qu’on montrait du doigt dès qu’un truc n’allait pas. J’avais donné un coup de main à un groupe, Bossa Combo, venu en Martinique. Je les avais hébergés en attendant qu’ils trouvent un hôtel et après, en 1980, ils m’ont invité en Haïti. J’ai joué là-bas avec eux et pu comprendre vraiment alors le compas, voir comment les gens réagissent à cette musique-là. Quand un orchestre haïtien joue, il n’y a pas un moment où la piste est vide. Chez nous en Martinique, on n’a pas le même rapport avec l’orchestre, avec la musique du pays.

RFI : Malgré tout, vous ne vous êtes pas laissé interpeller par le compas?
Dédé S.-P.: J’en ai fait avant de me laisser prendre par le chouval bwa. Avant 1980, j’étais dans des orchestres où il y avait toutes sortes de musiques : biguine, mazurka, meringué, compas, boléro, cha-cha-cha… Je jouais dans des orchestres de bal, donc le compas était à notre répertoire, comme d’autres musiques.

RFI : Cet album avec Ti-Jack oscille entre légèreté et gravité. Pourquoi cette dualité?
Dédé S.-P.: La réalité n’est pas que soleil. Violans, par exemple, évoque la généralisation de la violence sur la planète. On doit éveiller les consciences sinon on va droit aux génocides. J’évoque également ceux qui profitent de la faiblesse, de l’innocence des gens. J’ai lu quelque part, «un vrai ami ne se fatigue pas avec tes faiblesses mais t’aide à mobiliser tes énergies». Moi, j’essaie de redynamiser Ti-Jack pour qu’il fonce et fasse sespropres affaires. Il faut savoir que Ti-Jack n’a été inscrit à la Sacem que le 4 décembre 2002. Il n’avait pas de papiers donc ne déclarait pas ses morceaux. Certains lui disaient, «donne ça à quelqu’un d’autre». Ainsi il a plein de compositions qui ont été déposées sous le nom d’autres gens. Il a eu des comportements trop généreux et des personnes ont abusé de lui.

RFI : «A la Tingawa!» est le fruit d’une collaboration entre Ti-Jack et vous. Pour quand un album tout entier de Dédé Saint-Prix?
Dédé S.-P.: C’est vrai que mon dernier disque studio remonte à 1997 («Afro-carribean Groove»). J’étais trop pris par mes actions pédagogiques aux conservatoires de La Courneuve et d’Angoulême. J’ai arrêté tout cela pour me mettre plus dans une configuration de créativité, car il y a un moment où mes compositions m’empêchent de dormir. Il faut que ça sorte. J’ai toutefois entamé cette année un travail avec l’hôpital du Kremlin-Bicêtre en banlieue parisienne, où je donne deux jours par mois des master class de percussions vocales pour des jeunes en séjour prolongé. Sinon , je vais refaire un stage de musique numérique à Arcueil, et surtout, mettre sur pied mon label LPK. Sur ce label, je veux produire Dédé Saint-Prix d’abord et j’ai des tas de projets, par exemple sur la musique traditionnelle avec gens avec qui j’ai travaillé auparavant, je souhaite également produire un groupe de Guyane qui fait du ragga, des Gnawas d’Agadir en compagnie desquels j’ai entamé un travail, des troubadours d’Haïti, une rockeuse antillaise. Bref, ce sera un label éclectique et très ouvert.

ALBUM : Ti-Jack & Dédé Saint –Prix «A la Tingawa» / LPK – Créon Music / Virgin

Concerts: le 8 février au New Morning à Paris avec Tanya Saint-Val, Sylviane Cedia, Tony Chasseur et Ti-Jack en invités, les 27 et 28 mars à Montréal (Printemps Créole).