AUTOUR DE SERGE REGGIANI
Le 24 janvier, le président Chirac décorait Serge Reggiani et célébrait "un artiste total". Quelques jours plus tôt, on apprenait que le chanteur, auteur, comédien et peintre octogénaire se préparait à remonter sur scène¹. Face à un tel parcours, il est donc normal qu'une quinzaine d'artistes et de groupes français ait eu envie de chanter les plus beaux morceaux de l'artiste.
Les artistes français chantent l'Italien.
Le 24 janvier, le président Chirac décorait Serge Reggiani et célébrait "un artiste total". Quelques jours plus tôt, on apprenait que le chanteur, auteur, comédien et peintre octogénaire se préparait à remonter sur scène¹. Face à un tel parcours, il est donc normal qu'une quinzaine d'artistes et de groupes français ait eu envie de chanter les plus beaux morceaux de l'artiste.
Il y a quelques semaines, dans les salons de l’hôtel Raphaël près des Champs-Élysées, Serge Reggiani est attendu tel un héros pour présenter Autour de Reggiani, le CD qui rassemble quinze reprises de son répertoire par de grands noms de la chanson française. Lorsqu'il apparaît, avançant au ralenti, les mocassins effleurent l’épaisse moquette. Il se protège, au bras d’une plus jeune, des renflements tapissiers qui pourraient le faire trébucher. Cette vision crépusculaire du vieux beau Serge, affaibli, mais néanmoins superbe, suscite dans la salle un étrange sentiment mêlé d’admiration et de compassion. Comme dans un long plan séquence fellinien, le vaisseau fantôme rejoint finalement son siège et l’Italien remercie de la main la salve d’applaudissements qui l’accueille.
Reggiani rejoint le journaliste Didier Varrod et le musicien et producteur Jean-Pierre Mader chargés de concevoir cet hommage d’une génération à l’octogénaire. Sur le papier et à l’oreille, le casting est aussi pertinent qu’efficace. Tous sont de la partie, de la vieille garde, avec Bernard Lavilliers, Renaud, Jane Birkin ou Michel Piccoli, aux jeunes pousses comme Bénabar, Sanseverino ou Nicolas Reggiani, le petit-fils. L’ensemble reprend bien sûr les grands airs du répertoire de Serge Reggiani tels L’Italien, Les loups sont entrés dans Paris ou Ma liberté mais aussi des airs moins célèbres : Et puis (par Patrick Bruel) ou Ballade pour un traître (par Magyd Cherfi de Zebda). Le lorgnon ajusté sur le coin du nez, notre hôte lit la longue liste des reprises et des invités. Tandis que son arrière-petite-fille Lou, quatre ans, gambade au milieu des micros et des coupes de champagne, le papy chantant se grime en un pépé gâteux qu’il n’est pas. Et avec un art scénique consommé, il fait rire l’assistance en se mélangeant sciemment les Jeanne Balibar et Bénabar.
Dans le concertino de louanges annoncées, Jane Birkin est la première à ouvrir le feu roulant des compliments: "J’avais tellement la trouille de te décevoir, susurre t-elle de son accent frangliche, j’ai constamment L’Absence dans ma tête. Je t’embrasse." Jean-Loup Dabadie, le parolier de L’absence ou du Petit garçon enchaîne en évoquant un souvenir commun et familial de pâtes à la Matricciana qu’ils avaient coutume de partager au moment d’écrire des chansons. "Toute la famille t’embrasse", lance t'il affectueusement avant de rappeler que sa mère fut l’une des premières éditrices de Reggiani chez Paul Beuscher. "Embrasse les petits" répond Reggiani à destination de la progéniture de son parolier. Nicolas, le petit-fils chanteur se lève à son tour et déclare en guise d’hommage filial : "T’es beau comme tout avec ta barbe !".
Plus tard aux côtés de Jean-Pierre Mader, Nicolas refuse de se prononcer sur la plus belle chanson du répertoire de l’aïeul : "Moi j’adore La java des bombes atomiquesparce qu’elle me fait marrer, Le petit garçon parce qu’elle me fait pleurer, L’Italienparce qu’elle me raconte l’histoire de mes aïeux. Mais je n’ai pas de chanson préférée. C’est une question difficile" se marre finalement l’interprète de Bonne figure, une chanson signée de Stéphan, son père, suicidé en 1980. "C’était un clin d’œil à la filiation", explique Nicolas, "je pense que c’est difficile de dire quelle est la chanson que l’on préfère, enchaîne Jean-Pierre Mader, tant elles ont été écrites sur mesure pour Serge. L’Italien,par exemple, a vraiment été écrit à sa mesure. Il est le seul à avoir eu de telles plumes à sa mesure à part peut-être Berbard Dimey pour Aznavour".
Pendant que tout le monde s’égaie autour du buffet et devant les photographes, Jane Birkin avoue sa passion de longue date pour Reggiani. "C’est cousin Charly qui m’a fait découvrir Serge alors qu’il jouait au Don Camillo. Il était un tel interprète magnifique. J’y suis allée avec Serge… l’autre" précise t-elle. "J’ai toujours une immense affection pour lui, je l’ai admiré dans les films de Claude Sautet. Je l’ai adoré comme acteur. Je trouve ce côté abattu très attachant parce que tu as toujours l’immense espoir, l’orgueil de pouvoir le rendre heureux. Je me souviens que déjà à l’époque, je faisais plus attention aux chansons tristes qu’aux chansons gaies" conclue t-elle avant de le rejoindre sur la méridienne pour prendre la pose pour les photographes. Reggiani au milieu heureux et un peu étourdi par cette sarabande, Jane souriante et attentionnée, Enrico Macias à sa droite blagueur à souhait : "Je ne suis pas un interprète comme toi Serge! Je ne suis qu’auteur compositeur, je le reconnais publiquement" clame t-il, hâbleur, devant le public, "et c’est seulement quand j’ai réussi à enregistrer Ma libertéque je me suis rendu compte que j’avais du talent!" Les convives applaudissent en rigolant. Reggiani pouffe de rire et bat des mains à la mesure.
Plus discret que le disciple de Cheick Raymond Leyris, Bénabar, dans un coin de la suite, parle de sa splendide reprise de L'Italien : "C’était une manière de lui dire que ses chansons continuent d’exister. Et puis j’étais assez heureux de la chanter car ma famille a vécu un peu la même histoire que la sienne. La fuite du fascisme, l’exil en France. Cela faisait écho à l’histoire de ma propre famille". Gagné par la fatigue d’une soirée qui se prolonge, Reggiani glisse encore avant de se retirer : "C’est un hommage extraordinaire. Je ne sais pas si je le mérite, mais j’ai été très ému. Jane, Enrico, tout le monde m’a touché énormément." On lui glisse son pardessus et doucement le cortège familial repart. Dans l’un des salons, la petite Lou traîne au milieu des pattes des grandes personnes. Un journaliste s’escrime à lui faire chanter quelques notes de pépé Serge, mais si le micro ne l’effraie pas, elle refuse pour autant de pousser la chansonnette. "N’insistez pas!" se marre Nicolas qui la saisit par la main, "vous n’y arriverez pas. Elle ne chante que du Reggiani, mais du Nicolas Reggiani!"…
Autour de Serge Reggiani (Tréma / Sony Music)
¹Serge Reggiani sera au Palais des Congrès de Marseille le 8 mars et au Palais des Congrès de Paris les 14 et 15 mars 2003.