MIREILLE : QUEL CHEMIN !

Créatrice d'un swing à la française, auteur, compositeur, interprète et mémorable professeur du Petit Conservatoire de la chanson, Mireille a marqué discrètement toute l'histoire d'un genre. De Georges Brassens à Michel Berger, ses fans se comptaient parmi les plus grands. A travers les Lundis de la chanson à l'Opéra-Comique, l'écrivain et journaliste Jacques Pessis nous parle d'elle.

La "mère de la chanson française" enseignée aux enfants.

Créatrice d'un swing à la française, auteur, compositeur, interprète et mémorable professeur du Petit Conservatoire de la chanson, Mireille a marqué discrètement toute l'histoire d'un genre. De Georges Brassens à Michel Berger, ses fans se comptaient parmi les plus grands. A travers les Lundis de la chanson à l'Opéra-Comique, l'écrivain et journaliste Jacques Pessis nous parle d'elle.

Ce lundi 3 février, des classes entières se pressent bruyamment sous la jolie coupole de l'Opéra Comique. Peu impressionnés, ces écoliers d'une douzaine d'années, au milieu desquels surnagent quelques personnes âgées (la représentation est ouverte à tous), viennent assister à un spectacle sur Mireille dans le cadre des Lundis de l'Opéra Comique mis en place par Jacques Pessis, avec le soutien du patron des lieux, Jérôme Savary. Les deux hommes avaient collaboré en 1996 pour le spectacle musical Y'a d'la joie, une création autour des chansons de Charles Trenet : "En terminant le Trenet, raconte Pessis, j'ai voulu continuer cette tradition et Savary m'a demandé de m'en charger. C'est comme ça que je me suis retrouvé à écrire ces petits spectacles, à en parler à Gérard Daguerre et Roland Romanelli (respectivement pianiste et accordéoniste de Barbara, aujourd'hui Daguerre est directeur musical de nombreux spectacles de Jérôme Savary, ndlr)."

Après Piaf et Trenet la première année, le Fonds d'Action de la Sacem propose son soutien à condition de donner un aspect éducatif à cette initiative : "Ça, c'est une idée qui m'était chère. J'estime que ce que je fais c'est pour soutenir le patrimoine." Et le patrimoine, il connaît Jacques Pessis. Certains lui reprochent même d'en faire son fond de commerce. On ne compte plus ses ouvrages sur les chanteurs français ou les grands humoristes Pierre Dac et Francis Blanche, des spectacles (en ce moment L'Air de Paris avec Patrick Dupont) et surtout ses séries documentaires pour la télévision, telles les Lumières du Music-Hall, dont chaque épisode (aujourd'hui 160) raconte la vie d'un chanteur de renom. "A travers ce procédé, on veut aider les professeurs à enseigner la chanson française" continue t'il. "On envoie des éléments dans les écoles pour étudier un chanteur et on les fait venir à l'Opéra-Comique. Et c'est hallucinant. Lorsque nous avons fait Luis Mariano et Francis Blanche, j'avais 850 enfants dans la salle, sages comme des images. Ils sont repartis en chantant Mexico !"

Ce jour-là, l'héroïne est Mireille. Comme pour les autres artistes, Jacques Pessis écrit sa vie, découpe le tout en 15 morceaux, chacun illustré d'une chanson, interprétée par un jeune chanteur. Pour Mireille, c'est Florence Pelly qui s'y colle mais avec une connaissance déjà très sûre du répertoire. Pendant des années, avec son groupe les Bouchons, Florence a chanté ces airs si particuliers avec un tel succès qu'ils firent en 1995 la première partie de Mireille elle-même. En une heure quinze, on découvre ou redécouvre la vie singulière de ce petit bout de musicienne, d'origine anglaise et polonaise, née Mireille Hartuch en 1906. Fille d'une chanteuse d'opéra et nièce de l'inventeur des claquettes, on la voit dès l'enfance dans des films et à l'adolescence sur les scènes de théâtre. Mais la musique est sa passion. Très douée pour le piano, ses mains sont trop petites cependant pour une carrière de concertiste. Peu importe, elle travaille et se retrouve à 20 ans vedette de revues en jouant du piano… avec ses pieds.

En 1928, elle rencontre Jean Nohain. Leur collaboration est légendaire. Naissent ainsi deux standards : le Petit Chemin et Couchés dans le foin. Mais à leur création, personne n'est intéressé. Mireille part alors à Londres puis aux Etats-Unis pendant plusieurs mois. Elle y croise George Gershwin et Irving Berlin, joue à Broadway et même à Hollywood, entre autres, dans un court métrage avec Buster Keaton ! Pendant ce temps-là en France, Pills et Tabet, un duo aujourd'hui oublié mais star du moment, cartonnent avec le Petit Chemin. La jeune femme rentre en vedette en 1931. Avec Jean Nohain, ils ne cessent alors d'écrire ce qu'on ne qualifie pas encore de tubes : Une demoiselle sur une balançoire (repris par Yves Montand en 1951), Papa n'a pas voulu (1933), 27 rue des Acacias (1933), Quand un vicomte (immortalisé par Maurice Chevalier en 1935), le Jardinier qui boite, Pourquoi t'es- tu teinte ?(1933), Et voilà les hommes ? (1937)… Comme le rappelle Jacques Pessis, son style profondément inspiré de ses origines anglaises et de son long séjour en Amérique, "tuait pratiquement tous les chanteurs un peu tristes et les ritournelles épouvantables des années 20/30." Elle apportait un sang neuf, qu'on retrouve chez Trenet, teinté de swing et de jazz et qui cartonne auprès des jeunes, qui à l'époque et contrairement à aujourd'hui, n'ont pas de répertoire confectionné spécifiquement pour eux. Ses chansons sont savamment construites, les mélodies cadrées au poil près, les textes de Nohain toujours en rimes, ce qui fait de chacun de ces titres une perle indémodable.

En 1937, Mireille épouse Emmanuel Berl, un écrivain, philosophe et intellectuel qui navigue dans des sphères très éloignées du music-hall. Leur histoire singulière - ils avaient séparé leur appartement en deux parties délimitées par un feu rouge - durera jusqu'à la mort de Berl en 1976. Pendant la guerre, le couple, juif, se cache en Corrèze.

C'est en 1954 que Mireille, sur les conseils de son ami Sacha Guitry, crée ce qui fera sa légende : le petit Conservatoire de la chanson. Ancêtre de Star Academy, le principe était d'enseigner les différentes facettes du métier de la chanson aux plus jeunes. "Mireille propose le projet à la radio sans trop y croire. Ça a duré 30 ans !" D'abord radiophonique, le cours de Mireille devient télévisé à partir de 1960. A elle seule, Mireille formait au chant, à l'interprétation, à l'écriture. Tout le monde était accueilli mais le tri était sévère, l'enseignement rigoureux comme le décor, très sobre, quelques bancs et un piano. Mais quel succès ! Le rendez-vous est suivi par des milliers de téléspectateurs qui sous leurs yeux voient naître Yves Duteil, Hugues Aufray, Dick Annegarn, Alain Souchon, Sapho ou le Gabonais Pierre Akendengue. "Grâce à elle, poursuit Pessis, ils faisaient aussi leur première télé". Françoise Hardy, une de ses plus célèbres élèves, reprendra en 2000, et duo avec son mari Jacques Dutronc, la magnifique chanson Puisque vous partez en voyage écrite par Mireille et Jean Nohain en 1935.

En 1974, l'émission disparaît du petit écran mais le petit Conservatoire continue quelques années chez elle, à Paris. Ces années d'enseignement et de télévision ont un peu fait oublier que Mireille était avant tout une interprète fabuleuse. C'est Michel Berger qui s'en souvient en 1976. Il décide de produire un disque et de faire remonter Mireille sur scène à Bobino pendant trois semaines. Il faudra attendre près de vingt ans pour que Mireille, alors vieille dame, retrouve à nouveau les planches mais cette fois pour un spectacle beaucoup plus médiatisé et qu'un disque immortalise. D'abord sur la scène du petit théâtre de la Potinière puis au Théâtre national de Chaillot, dirigé à cette époque par… Jérôme Savary, Mireille, pleine d'entrain et de motivation, donne une série de récitals de deux heures à chaque fois. C'est Christian Lacroix qui l'habille et Savary qui la met en scène. Elle laisse ainsi un souvenir à son image, drôle et élégant. Et si professionnel. Elle disparaît le 26 décembre 1996 des suites d'une pneumonie.

A la fin du spectacle de Jacques Pessis, les enfants entonnent le Petit chemin. Néanmoins, en une heure de temps, les chansons de Mireille font-elles le poids face aux rengaines usinées du Top 100 déversées copieusement jour après jour dans leurs oreilles ? Rien n'est moins sûr. Mais cette femme moderne, intelligente, attentive à la nouveauté, "serait aujourd'hui le meilleur des professeurs de Star Academy !" conclue Jacques Pessis dont le travail de mémoire, dans l'air du temps, consolide un patrimoine remarquable et encore largement d'actualité. Ce n'est pas Patrick Bruel qui dira le contraire...

Le 19 mai : Charles Trenet
Le 2 juin : Edith Piaf