La "bonne victoire" de Tiken Jah

En 2000, durant la transition militaire issue du coup d’état de décembre 1999, Tiken Jah Fakoly est lauréat du Prix RFI Musiques du monde. Aujourd’hui, en remportant une Victoire de la musique dans la catégorie reggae/ragga/world, il voudrait s’approprier le monde et aller traquer l’arbitraire où qu’il se trouve. Entretien.

La reconnaissance de l'enfant d'Odienné.

En 2000, durant la transition militaire issue du coup d’état de décembre 1999, Tiken Jah Fakoly est lauréat du Prix RFI Musiques du monde. Aujourd’hui, en remportant une Victoire de la musique dans la catégorie reggae/ragga/world, il voudrait s’approprier le monde et aller traquer l’arbitraire où qu’il se trouve. Entretien.

En plus de la reconnaissance publique, la Victoire de la Musique que tu viens d’obtenir comporte-t-elle une autre signification pour toi ?
Je pense que c’est mon travail qui a d’abord été reconnu par le public, ensuite par les professionnels de la musique en France. ça fait vraiment plaisir. Je pense que dans l’histoire des Victoires de la musique, c’est la première fois qu’un Africain, en tout cas qui fait du reggae, remporte ce trophée. C’est quelque chose qui va beaucoup apporter à ma musique, à ma carrière. C’est une grande victoire, mais je pense que ma super-victoire sera le jour où l’Afrique connaîtra une liberté totale, le jour où l’Afrique connaîtra une unité totale, parce que c’est la mission que je me suis fixée, c’est la mission que la jeunesse africaine m’a confiée. Donc je dis que c’est une bonne victoire mais je souhaite que l’autre victoire vienne très vite.

Qu’est-ce qui a favorisé l’accès de Tiken Jah à la scène internationale?
Les gens avaient écouté le reggae jamaïcain et celui d'Alpha Blondy qui a fait un succès fou en Europe. Je pense qu’ils avaient besoin d’une suite. La suite se trouvait en Côte d’Ivoire parce qu’on avait déjà des artistes comme Serge Kassy, Ismaël Isaac ou Solo Jah Gunt. Tout le monde passait par Paris, j’arrive, et je pense qu’ils ont vu en moi celui qui peut représenter la relève. Et il y a surtout le message que je porte. C’est ce qui a fait que j' ai pu avoir une telle notoriété ici.

Est-ce que le son de ton reggae renvoie le public à un rythme de chez lui ou d’ailleurs ?
C'est le son mandingue que j'ai donné à certains morceaux comme Nazara ou Y’en a marre dans l’album Françafrique qui me singularise. Il y a des sons de guitare typiquement mandingues qui n’ont jamais existé dans le reggae. Surtout avec la collaboration d'artistes jamaïcains comme Sly and Robbie ou Tyrone Downie.

Il semble que c’est à partir de l’album Mangercratie que le public a véritablement commencé à adhérer à ta musique, en Côte d’Ivoire et en Afrique de l'Ouest ?
Bien sûr, c’est cet album qui m’a révélé au grand public. Je crois que ce qui a fait le succès de Mangercratie, c’est que pour la première fois, un artiste venait directement s’adresser aux hommes politiques.(Il chante) "Allez dire aux hommes politiques qu’ils enlèvent nos noms dans leur business, on a tout compris". Je ne dis pas que j’ai été le premier à critiquer les hommes politiques, mais il y en a beaucoup qui passaient par des proverbes. Moi j’arrive, je dis directement "allez dire aux hommes politiques". Je pense que la jeunesse venait de se trouver un porte-parole. C’est ce qui a fait que toute l’Afrique de l’Ouest m’a suivi.

Qu’est-ce qui a inspiré l’esprit de Mangercratie ?
L’album a été enregistré fin 95 aux studios JBZ à Abidjan, il est sorti fin 96. Ce qui m’a inspiré, c’est qu’en 95 avaient lieu les premières élections après la mort d’Houphouët-Boigny. Il y a eu beaucoup de bruit par rapport aux hommes politiques. La préfecture d’Odienné (d'où Tiken est originaire) a été incendiée par des manifestants parce qu’ils ne voulaient pas voter et qu’on les y obligeait. Il y a eu beaucoup de choses comme celle-là. C’est pour cela que sur cet album, on trouve des titres comme Plus jamais ça.

Pourquoi as-tu été contacté pour participer au concert pour l’annulation de la dette des pays pauvres ?
Je pense que c’est parce que les organisateurs ont vu que j’étais dans le même combat qu’eux. Ils ont vu aussi que mon message était très écouté en Afrique, que la jeunesse d’Occident commençait à m’écouter. C’était un bon moyen de faire passer le message. Je suis très honoré et ça me fait surtout plaisir de voir des Occidentaux mener ce combat. ça veut dire qu’il n’y a pas que des égoïstes à Babylone.

Quelle chanson a-t-on retenue pour l’album Drop the Dept ?
C’est Baba de l’album Caméléon qui n’est jamais sorti en France. Baba parle de nos parents agriculteurs. Partout en Afrique, on entend toujours que le succès de nos pays repose sur l’agriculture. Quand tu regardes les agriculteurs, ce sont les plus misérables. Quand tu vois qu’un tracteur coûte 6.000 euros, des voitures coûtent 15.000 euros, mais on préfère acheter des voitures climatisées pour des gens qui sont dans les bureaux à Abidjan et qui aiment manger le riz ou le foutou pendant que ceux, grâce auxquels on mange ce riz ou ce foutou ne vivent pas dans de bonnes conditions. Je trouve inadmissible qu’en 2003 des gens soient encore sur cette planète en train de trimer à la machette ou à la houe. J’essaie donc de défendre ces agriculteurs qui font la force de l’Afrique, car une grande part de cette dette-là devrait leur être destinée. Mais malheureusement, elle sert à d’autres choses qui ne sont pas vraiment importantes pour l’Afrique.

Y’a-t-il un projet urgent que tu n’as pas encore réalisé?
Oui, j’aimerais faire un studio à Abidjan pour pouvoir aider les jeunes. Monter aussi à l’avenir une maison de distribution et une radio 100% reggae, comme en Jamaïque. J’espère que l’unité du pays se fera enfin et que les autorités m'autoriseront à réaliser tous ces projets.