VU D’AILLEURS : REVUE DE PRESSE 'SPECIAL CÔTE D'IVOIRE'

Face à la guerre civile que connaît leur pays, les musiciens et chanteurs de Côte-d’Ivoire prennent position. Mais, en prêchant l’unité sans quitter leurs chapelles partisanes, ils peinent à faire entendre une musique différente.

Les artistes ivoiriens face à la crise

Face à la guerre civile que connaît leur pays, les musiciens et chanteurs de Côte-d’Ivoire prennent position. Mais, en prêchant l’unité sans quitter leurs chapelles partisanes, ils peinent à faire entendre une musique différente.

L’influence du charismatique Alpha Blondy inquièterait-elle jusque dans les pays limitrophes? Ses concerts de décembre dernier au Burkina ont en effet été interdits au dernier moment. Faut-il rappeler que le Burkina est accusé d’ingérence en Côte-d’Ivoire par les partisans du président Gbagbo? «Cette guerre est fratricide et les marchands d’armes en sont les seuls bénéficiaires», lançait-il dans Le Pays (Ouagadougou), jugeant au passage «positive» la présence de l’armée française. «Quand la passion ethnique annihile la raison, on est obligé de faire appel à des forces d’interposition pour arrêter le massacre, que celles-ci soient françaises ou de la CEDEAO». En tout cas, au pays, les avis de Blondy, souvent évolutifs, ont plutôt contribué à choquer profondément les supporters du gouvernement. «Quel contrat lie aujourd’hui Alpha aux rebelles?», s’interroge, accusateur, Le Nouveau réveil. «‘Je suis RDR!’ Par cette prise de position, c’est plus de vingt ans d’engagement que l’auteur de Brigadier Sabari détruit. Du coup, on l'a compris: Blondy n’a jamais été qu’un artiste suiveur et opportuniste qui encensait ou tançait un régime selon la direction du vent de ses intérêts personnels. Blondy n’a jamais tari d’éloges à l’endroit du premier président Houphouët-Boigny. (…) Aux heures chaudes du multipartisme, il n’hésita pas dans sa volonté de porter le coup de grâce à l’opposition incarnée par Gbagbo. (…) Après la mort du ‘vieux’, c’est un Alpha sapé en veste arborant dreads qui alla voir au palais présidentiel son ‘grand frère’, le successeur de son ‘père spirituel’. L’idylle n’a duré que le temps d’un feu de paille». Sur le forum du site web Abidjan.net, le ton des internautes n’est pas moins véhément…

Le combat de Tiken Jah Fakoly pour «éveiller les consciences» ne fait pas non plus que des heureux. «Ce combat n’est pas pour plaire au régime, pour qui les revendications de Tiken Jah rejoindraient celles des mutins», observe le journal marocain Libération. «La vérité, c’est qu’on a privé les Ivoiriens de vote véritable depuis Houphouët-Boigny», mort en 1993. «Fakoly est exilé à Bamako, au Mali, où il vit depuis qu’il a fait l’objet de menaces de mort dans son pays, la Côte-d’Ivoire, pour son franc-parler et ses dénonciations courageuses des hommes politiques ivoiriens et africains, ‘ces caméléons corrompus, égoïstes et aux pratiques gabégiques’, comme il l’a chanté dans un de ses anciens albums», renchérit Sud Quotidien (Dakar). Sur la scène du Zénith à Paris, Fakoly, recevant sa Victoire du meilleur artiste reggae-ragga-world de l’année, en a remis une couche. «Quand on se réveille en Afrique, quand on voit des bases de l’armée française après 40 ans d’indépendance, j’avoue qu’on a mal».

Chacun son credo donc mais pour beaucoup, la crise ivoirienne n’aurait jamais pris pareille tournure sans la gangrène de l’ivoirité, dont l’esprit a jeté la suspicion sur la dernière élection présidentielle en refusant à nombreux leaders le droit de se présenter. «A un moment, il y avait des difficultés financières et il n’y avait plus d’argent pour payer les soldats», rappelle, dans L’Express (Port Louis), Gérard Bergicourt, musicien mauricien qui, après 30 ans de vie à Abidjan, s’est résolu à revenir vivre dans son pays. «Le premier ministre Ouatarra a alors décidé d’instaurer une carte d’identité pour les étrangers et les faire payer pour ça. Bédié a continué ce concept par des règlements de compte politiques». «En réalité, qu’est-ce qui a changé en bien dans nos vies depuis que certains politiciens maladroits ont introduit ce concept en Côte-d'Ivoire?», s’interroge dans Le Patriote Angelo Papa, leader du groupe Aboutou Roots, en pleine tournée européenne. «En tant qu’artiste, je suis heureux de savoir que je suis un citoyen du monde, donc foncièrement opposé à tout ce qui divise. Nous sommes tous Africains. Il y a des Ivoiriens qui sont nés Français, et vice-versa. Et cette lecture est aussi vérifiable avec les autres pays. On parle de l’ivoirité et cela ne fait que nous diviser au point où une partie de la population se sent exclue. Si l’ivoirité nous divise, il faut l’éradiquer».

Le patriotisme à la rescousse

Face à la menace de balkanisation, le patriotisme refleuri dans les chansons du moment. Non sans arrières pensées, Fraternité matin (Abidjan) consacre d’ailleurs un long article à cette tendance, qui renoue, de l’avis du quotidien pro-gouvernemental, avec un certain âge d’or de la culture ivoirienne. «Dans ce pays pour tous, ouvert à toutes les fraternités (Manu Dibango le Camerounais pouvait diriger l’Orchestre de la télévision nationaleet le Guinéen Condé le Ballet national), comme on était heureux! (…) Tour à tour, les jeunesses de ce pays apprirent à chanter en bété, en sénoufo, en baoulé, etc. En 1984, Chantal Taïba, pendant la toute première coupe d’Afrique des nations que la Côte d’Ivoire organisait, faisait vibrer la fibre patriotique avec Ayo seh. (…) Puis est venu le multipartisme, avec ses concerts à plusieurs voix. Pour une des rares fois dans ce pays, un artiste de reggae, tonitruant, est censuré», en la personne de Serge Kassy, récupéré par les militants ‘patriotes’ de l’ex-opposition. Logiquement, c’est pour le pouvoir en place que Kassy roule aujourd’hui, en tant que membre de l’Alliance de la jeunesse pour le sursaut national. «Laurent Gbagbo est un génie politique», s’enflamme-t-il sans nuance dans Notre voie, réagissant au discours post-Marcoussis du président. «Dans son discours, il a pris sur lui la responsabilité des erreurs commises à Marcoussis par les leaders des partis politiques et de tout ce que les autres ont fait. Quelle humilité! Je n’ai jamais vu cela en Afrique». D’autres artistes, comme le chanteur Gadji Celi, ont activement participé aux manifestations pro-Gbagbo (et anti-françaises). «Au delà de la lutte contre les accords de Marcoussis, nous luttons pour notre vraie indépendance vis-à-vis de la France», estimait-il à l’issue de l’un des ces rassemblements de masse.

Divisés comme le reste de la société, les musiciens ivoiriens prônent l’unité mais prêchent chacun pour leur paroisse. Il manque à la Côte-d’Ivoire un Bob Marley rassembleur. Dans un éditorial au vitriol («Chantez, et taisez-vous!»), Michel Koffi fustige, dans Fraternité matin, ces «valses minables d’artistes, où ce qui compte le plus: être dans les bonnes grâces, et pour se donner bonne conscience, clamer à tous vents qu’on est porteur de messages. (…) Question toute simple: qui les a mandatés? Personne! Si le peuple d’Eburnie devait compter sur ces artistes artisans, qui ne fonctionnent qu’en fonction du temps, de l’heure, comment ne pas désespérer, quand on connaît l’itinéraire désopilant des uns et des autres? (…) A-t-on entendu le groupe Magic System clamer: on est les porte-parole du peuple? Non. Ils veulent vivre de leur art, et leur succès du moment ne fait pas d’eux des porte-parole du peuple. Ils le savent. Quelle modestie!»

Justement, Magic System, qui cartonne en France, «a remis son disque d’or à M. Aboké, qualifié de précuseur du Zouglou». «Je suis heureux que vous fassiez le tour du monde, que de grands chefs d’Etat vous reçoivent. Grâce à vous, on parle de la Côte-d’Ivoire de façon positive», a déclaré Aboké en guise de remerciements.