MUSICIENS AMÉRICAINS, RÉSIDENTS FRANÇAIS
Theo Hakola, Vic Moan, Elliott Murphy : trois artistes américains, trois musiciens, qui ont choisi un jour de ne plus quitter la France. Liberté de création, rencontres, les raisons sont multiples. A l'heure où les relations franco-américaines sont tendues, ils évoquent pour nous, dans un excellent français, leur vie d'artiste en Europe et leur vision des événements internationaux en tant qu'Américain à Paris.
Ils ont choisi la France et racontent pourquoi.
Theo Hakola, Vic Moan, Elliott Murphy : trois artistes américains, trois musiciens, qui ont choisi un jour de ne plus quitter la France. Liberté de création, rencontres, les raisons sont multiples. A l'heure où les relations franco-américaines sont tendues, ils évoquent pour nous, dans un excellent français, leur vie d'artiste en Europe et leur vision des événements internationaux en tant qu'Américain à Paris.
De quelle partie des Etats-Unis venez-vous ?
Theo Hakola : De Spokane, dans l'état de Washington.
Vic Moan : De Newark, dans le New Jersey, comme Patti Smith. J'ai vécu et étudié à New York et à Berkeley.
Elliott Murphy : De Garden City, dans l'état de New York. Mais j'ai beaucoup vécu à New York.
Quand êtes-vous arrivé en France ?
TH : En 1978. Entre 89 et 95, je suis retourné vivre à Los Angeles.
VM : En 1982.
EM : J'ai fait ma première visite ici en 1971. Je jouais dans le métro. J'ai toujours pensé que je reviendrai.
Qu'est-ce qui vous a amené en France ?
TH : Le hasard. J'avais déjà vécu à Londres et en Espagne et j'avais envie d'une troisième langue. A l'époque, Paris était moins coupé de New York que l'Espagne. Et je ne voulais pas rompre complètement. C'était aussi pour le plaisir d'être étranger. J'aimais ça. Mais je n'avais pas prévu que je resterai si longtemps. Je voulais écrire et j'ai finalement commencé à faire de la musique. Des liens humains se sont enchaînés et le business aussi. Toutes mes maisons de disques ont été françaises. Et puis, je ne pouvais plus retourner là-bas par pure dèche. J'ai seulement pu avec mon groupe Passion Fodder en 1989.
VM : La Musique. Je suis venu avec un groupe dont le guitariste était amoureux d'une française. Je disais à tout le monde que j'allais rentrer dans trois mois mais ça les faisait rigoler. Ils savaient mieux que moi que je resterai. C'était une aventure, je voulais aller plus loin pour voir. Et je n'avais pas vraiment de raisons de retourner aux Etats-Unis. J'ai passé quelques années galère où je travaillais au noir, sans papier. Mais peu à peu, ça a bougé. Suffisamment pour que je reste.
EM : A la fin des années 80, j'ai fait plusieurs tournées en Europe. J'étais donc ici tout le temps. En 1989, j'ai quitté mon appartement de New York et je n'avais pas trop le désir d'en reprendre un autre… J'avais confié à mon ami Garland Jeffreys que je voulais peut-être m'installer en France. Il m'a alors parlé d'un ami à lui qui avait un appartement à Paris. Dans les deux jours, je signait le contrat de location. Maintenant j'ai rencontré ma femme, j'ai un fils de 12 ans, Gaspard. Je suis vraiment installé.
Artistiquement, qu'avez-vous trouvé en France ?
TH : En fait, j'ai commencé sérieusement à faire de la musique en France fin 1979, pour schématiser, grâce aux punks, grâce à l'idée qu'on pouvait faire de la musique sans acquis ni connaissances particulières. De plus, j'ai trouvé des gens qui ont partagé ma vision. Ils sont plus vierges d'idées préconçues qu'un musicien américain, moins blasés.
VM : C'est difficile à dire. Il y a du bon et du mauvais. Une des grandes richesses, ce sont des gens qui sont devenus des amis. Ils m'ont présenté leur vue, leur vision de la musique et m'ont ouvert les yeux. Des gens comme Vincent Segal, Cyril Atef, Sébastien Martel ou DJ Shalom sont très forts comme musiciens. Ils m'ont beaucoup aidé et soutenu. La France est plus un melting pot que les Etats-Unis. Ces gens-là, Cyril, DJ Shalom ou Vincent représentent chacun une culture différente et ça c'est une des grandes richesses de Paris, ce bouillonnement.
EM : Je pense que je suis dans cette tradition des artistes américains qui trouvent quelque chose à Paris qu'ils ne trouvent pas aux Etats-Unis : la liberté artistique. Ça a commencé dans les années 20 avec Hemingway ou Fitzgerald et beaucoup de musiciens de jazz. Je pense que je suis le seul rocker à vivre ici. Avant il y avait Stiv Bators des Dead Boys. Je pense que le fait d'être un étranger, d'être expatrié, c'est bon pour la créativité.
Pensez-vous que vous auriez eu un parcours similaire en restant aux Etats-Unis ?
TH : Probablement pas. Mais au bout d'un moment, ça aurait pu être plus facile parce qu'au fond, je fais de la musique américaine. Mais le côté politique de ma musique l'a toujours rendue plus européenne aux yeux des Américains. Je suis très redevable à l'égard d'une certaine quantité de Français et d'Européens mais les gens pensent souvent comprendre ce que je fais quand ils ne comprennent pas à sa juste valeur. Pour moi, la culture de chacun est enracinée là d'où ils viennent.
VM : Je ne sais pas. Je ne sais pas comment est le milieu de la musique maintenant là-bas. Je pense que c'est très compartimenté. Parfois je me demande ce qui serait arrivé si j'étais resté aux Etats-Unis, si j'avais tourné à gauche et pas à droite. Mon feeling est que j'aurais suivi un parcours plus solitaire d'une sorte de type qui fait des chansons, tout seul dans son salon. Je me serais plus replié sur moi-même.
EM : Aux Etats-Unis, la vie d'un musicien, c'est tout ou rien. Ici, en France, grâce aux subventions, au statut d'intermittent, c'est plus facile. Ici, on peut être un artiste dans le système. Aux Etats-Unis, un musicien de rock'n roll est vraiment marginal.
Avez-vous ressenti des influences musicales françaises ?
TH : Non. Mais l'intensité sans fard ni artifice de Jacques Brel ou d'Edith Piaf peut-être. Un certain esprit littéraire aussi m'a peut-être touché.
VM : La musique française n'est pas très connue aux Etats-Unis. J'ai traîné avec des Français avant de venir ici et ils m'avaient parlé de Gainsbourg surtout. C'était l'époque d'Aux armes etc. En arrivant ici, c'était assez terrible de découvrir l'état des lieux, que la musique n'existait pas, surtout à la radio et à la télé. Mais je ne connaissais pas grand chose et 82 n'était pas une période très riche. Pour moi la chanson française me laisse perplexe. Parfois je ne comprends pas l'intérêt de certaines choses, ce n'est pas ma culture. Mais comme j'habite en France, ça pique ma curiosité.
EM : Je suis plus influencé par la poésie française comme Rimbaud, Verlaine. Mais j'écoute les grands chanteurs comme Jacques Brel, Georges Brassens, Léo Ferré. Si la tradition des troubadours continue, c'est grâce aux gens comme ça. Moi je me sens dans cette tradition. Mais j'écoute beaucoup de choses entre Brel et Carla Bruni. Je respecte aussi beaucoup les auteurs compositeurs comme Francis Cabrel.
Quelle est votre relation avec la langue française ?
VM : J'ai déjà écrit des choses en Français, ça m'intéresse beaucoup. Je me force à lire [le quotidien] Libération, c'est un vrai boulot, je regarde dans le dictionnaire. J'ai une relation assez personnelle avec la langue. Ici, j'ai toujours été avec des Français mais peu avec les Anglo-Saxons.
EM : Je n'écris pas en français mais j'ai toujours le projet pour un prochain disque, de faire deux ou trois chansons en français. Pour moi, c'est très difficile après 30 ans de musique en anglais. Je suis aussi un peu paresseux…
Comment vivez-vous d'ici les événements actuels autour de l'Irak, l'approche de la guerre, les relations franco-américaines ?
TH : Pour moi Bush est peut-être le pire président de ma vie et Dieu sait que j'en ai connu de mauvais. Pour moi, le parti républicain est monstrueux, l'entourage de Bush est monstrueux. Et pourtant, quand ils ont renversé le régime des Talibans, j'étais ravi même si c'est cynique. En ce qui concerne l'Irak, je suis pour sûr contre cette guerre. Je crois que le peuple irakien, si tant est qu'on connaisse ce qu'est le peuple irakien, serait content de se débarrasser de Saddam Hussein mais je suis quand même contre parce que ce n'est mené que par Bush. J'ai tout bêtement un peu honte de mon pays.
VM : Je me suis beaucoup plus français qu'autre chose sur cette question. Je commence à prendre le goût de manifester...
EM : La situation est difficile pour moi. Comme la plupart des Américains, je suis contre la guerre. J'ai beaucoup de respect pour la position française. Je connais beaucoup d'Américains à Paris et aucun n'est pour la guerre. Aucun !
Propos recueillis par Catherine Pouplain
LEUR ACTUALITE :
Théo Hakola : un roman La Valse des affluents (Le Serpent à plumes, mars 2003), traduit de l'anglais par l'auteur. Un album est prêt mais Théo Hakola n'a malheureusement plus de maison de disques. Il sera sur scène le 21 mars à St Jean Ruelle, près d'Orléans, pour du festival Pari sur Loire.
Vic Moan : après un album chez Tôt ou Tard en 2000, Vic Moan a travaillé avec Vincent Segal et Cyril Atef au sein de leur duo Bumcello. Il collabore actuellement avec DJ Shalom en vue d'un album électro-rock.
Elliott Murphy : il vient de fêter ses 30 ans de carrière au New Morning à Paris et de sortir un nouvel album, Soul Surfing (Last call/Wagram). Comme le dit son excellent site internet, Elliott Murphy "est presque toujours en tournée." Il sera à Barcelone les 14 et