Era
Bienvenue dans un monde onirique. Celui d’Eric Lévi, 47 ans, musicien protéiforme et âme d’Era qui vient de sortir un nouvel album, The Mass. Distribué en France, le CD l'est surtout à l'étranger où Era demeure une valeur sûre de l'export hexagonal. Conversation.
Masses populaires
Bienvenue dans un monde onirique. Celui d’Eric Lévi, 47 ans, musicien protéiforme et âme d’Era qui vient de sortir un nouvel album, The Mass. Distribué en France, le CD l'est surtout à l'étranger où Era demeure une valeur sûre de l'export hexagonal. Conversation.
Quand le premier album d’Era est sorti en France au printemps 1997, beaucoup ont cru à un coup marketing. Défendu à grands renforts de pubs TV, l’étrange mélange d’ambiances de grand messes grégoriennes et de boîtes à rythme répétitives ont sans doute assimilé Era, au début, à un vague produit estampillé "new age". Avec six millions d’exemplaires vendus en cinq ans et des disques d’or et de platine glanés dans 18 pays, la question ne se pose plus à l’heure où sort The Mass, troisième volet de l’épopée d’Era, disponible dans quelque 55 pays et territoires, tant en Europe qu’en Amérique et au Moyen-Orient.
Le morceau-titre, The Mass, qui ouvre l’album, pourrait faire croire à une énième resucée du premier album, avec son refrain qui évoque trop souvent Ameno et Divano, et sa chorale de 40 chanteurs. Pourtant, il n’en est rien. Ce n’est pas une révolution certes, disons un changement dans la continuité. "Le second album était un peu trop soft, celui-ci est plus puissant", confie son auteur. "The Mass est massif et lourd mais garde ce côté spirituel" si caractéristique du monde d’Era. Qu’on se le dise, "ce n’est pas de la musique pour femmes enceintes"! Mais l’ensemble reste zen et raisonnablement saccadé. Le travail de studio est toujours aussi soigné, un peu plus même que sur le second opus, et les atmosphères épiques dignes du Seigneur des anneauxne décevront pas les (nombreux) aficionados.
Avec 4 titres dont le refrain est en anglais, Eric Lévi a voulu "mettre en avant une nouvelle facette d’Era". Non que les morceaux d’Era soient d’ordinaire sans paroles, mais celles-ci ne sont que le reflet d’une langue imaginaire, mystérieuse et enchanteresse, fruit de l’imagination d’Eric Lévi. "Je traite les voix comme un instrument à part entière. Je ne raconte pas d’histoires, tout est basé sur les sons". La tonalité est parfois très pop (If You Shout), et on entend même ici où là (Avemano Orchestral) la résurgence d’un riff heavy metal qui semble tout droit sorti d’un disque de Shakin’ Street, une autre vie, une autre époque, et des emprunts au répertoire classique – comme le Carmina Burana de Carl Orff ou O Fortuna, colonne vertébrale de The Mass, le single actuel.
Musicien autodidacte, Eric Lévi s’acclimate plus facilement à l’ombre qu’à la lumière. "Je suis un artiste comme tous les autres, sauf que je ne me montre pas sur la pochette", relativise Eric Lévi. Cette absence de vedettariat ne l’empêche pas, il est vrai, de figurer parmi les plus gros vendeurs de disques français… La lumière, il y a goûté jeune, à 22 ans, au sein du groupe Shakin’ Street qui, dans le sillage de Trust, allait poser les jalons d’un son heavy metal à la française, dès 1977. L’ombre, ce fut au travers de la composition de musiques de films, dans les années 90. "Avec Era, mon rôle est plus celui d’un créateur que d’un producteur. Les morceaux sont des musiques originales".
Son inspiration, il "n’aime pas l’analyser". Le cinéma en est sans doute une. Les musiques d’Era semblent en effet avoir été conçues comme la bande son de films imaginaires. "Era, c’est un peu comme un projet de musique de film", explique Lévi. Alors, y a-t-il une chance pour que musique et cinéma se rejoignent à nouveau, par le biais d’Era? "J’y réfléchis", concède-t-il. "J’aimerais réaliser moi-même un film avec la musique des trois albums d’Era. J’ai déjà une idée de scénario, que je garde sous le coude et que j’aimerais tourner directement en anglais. Je m’y attèle mais je verrais dans quelques mois si ce projet est envisageable. Il faut d’abord que je trouve un producteur."
Rien ne sert de courir, d’autant qu’il garde un souvenir plus que mitigé de son travail accompli pour le cinéma français, des grosses poilades signées Jean-Marie Poiré (Opération Corned Beef, Les Visiteurs, Les Anges gardiens, Les Couloirs du temps). "Travailler pour le cinéma français ne me motive plus vraiment car la musique y tient rarement une place importante, sauf pour quelques cinéastes comme Jean-Jacques Annaud ou Luc Besson. En France, contrairement aux Etats-Unis, compositeur de musiques de film n’est pas considéré comme un vrai métier". S’il avoue avoir "refusé deux ou trois offres des studios Walt Disney qui me proposaient un contrat d’exclusivité" visiblement trop contraignant, Eric Lévi n’abandonne pas l’idée de sortir Era de son cadre actuel. "Je gamberge sur un projet de scène qui serait un véritable spectacle musical, pas une comédie musicale. Mais ce n’est pas très simple car la logistique est énorme".
Quel que soit le succès que rencontrera The Mass, massif ou pas, Eric Lévi souhaite poursuivre son chemin musical en indépendant. "Je n’ai pas de contrat d’artiste avec Mercury. Je vis ma vie de mon côté en toute indépendance, que ce soit pour les maquettes que je leur apporte ou pour le visuel". La messe est dite.
Era The Mass (Mercury Universal) 2003
