Daniel Hélin dans sa bulle

Le Wallon nous revient avec un nouvel album, Les Bulles, et une belle série de concerts parisiens : sept semaines au Zèbre de Belleville. De quoi se pencher sur un artiste drôle et corrosif, dont les prestations scéniques réservent chaque fois leur lot gagnant de surprises… Chronique d'album et récit de concert.

Révolte en rimes

Le Wallon nous revient avec un nouvel album, Les Bulles, et une belle série de concerts parisiens : sept semaines au Zèbre de Belleville. De quoi se pencher sur un artiste drôle et corrosif, dont les prestations scéniques réservent chaque fois leur lot gagnant de surprises… Chronique d'album et récit de concert.

Daniel Hélin pourrait être à la musique belge ce qu'un certain Jacques Higelin a apporté à la chanson française il y a quelques années. Il produit des textes d’une rare richesse qui ne se contentent pas de faire "la la la" sur l'air du temps. Avec la complicité de Jean-Yves Evrard qui a composé la plupart des morceaux, il expérimente des sons qui mêlent enthousiasme festif et construction classique, rythme rock et pensée blues. Son deuxième album campe différentes ambiances qui flirtent tantôt avec le pamphlet politique tantôt avec la comptine érotique, à la manière des nouvellistes libertins du 17e siècle, mâtiné d'un regard à la Léo Ferré ou Bernard Lavilliers, première mouture. Mais si Daniel Hélin conçoit son engagement comme un fait naturel pour un "mec qui réfléchit sur le monde", il refuse pour autant de se voir "porte-étendard d'un mouvement quelconque".

Avec Boulimie, premier titre du dernier album, le ton est donné. Au son des cuivres, Daniel Hélin mixe son amour de la bonne chère et des mots, renouant avec ces poètes ménestrels auxquels ne déplaisent pas, sur une belle mélodie, de mettre des phrases qui sonnent juste. Du Waterzooï, un plat traditionnel, il fait son lit tandis que "les cartons de bière lui servent à vivre". Suit un texte sombre, les Bulles, qui donne son nom à l'album. Sur une ritournelle guillerette, se traduit l'émoi de la solitude.

"Dans mon quartier, existent trop de gens qui vivent dans des bulles" souligne Daniel Hélin. "J'ai voulu mettre dans ce texte, à la fois cette joie et cet enfermement". Dans Le Cochon, la philoso-poésie de l'auteur s'épanouit, "sur une seule rime s'il vous plait". L'auditeur doit prêter attention au texte. Car, en une seconde d'inattention, cet animal doux et inoffensif vous initie à la problématique de l'alimentation saine, voire de l'amour. L'amour. Ce rituel que Daniel Hélin célèbre à sa façon dans un texte sensuel, un rien pornographique, Clarisse. Pour suivre dans cette douceur, un rien complice, la Limace rend hommage à cet animal "qui n'est en fait qu'un pied" plaisante Hélin. "Un mucus d'argent pour seule trace" chante-t-il. Mais il faut se méfier. Au fil des couplets, le tempo lent s'accélère. Le ton change, au propre et au figuré. Les cuivres montent en puissance. La colère grimpe. Et une phrase claque, au hasard des rimes, tel un slogan : "Vive le Chiapas, mort à Dallas" !

 Combien alors paraît sordide le portrait du Dragueur de piscine. Qu'il paraît ridicule celui "coiffé d'un bonnet plastique" qui cherche celle "qui va être l'objet de ces timides attouchements" ! Pitoyable, le caméléon surnage, "penaud en attendant l'amour"… Pour sortir de cette atmosphère de roman noir, retracé à merveille par les instruments, il faut bien un romantique Baiser sous la pluie célébrant les couleurs d'arc-en-ciel, l'abeille (la belle) dans le miel ou les clapotis des oiseaux.

Mais, chez Hélin, un tel hymne ne peut rester longtemps sans ironie ni érotisme. L'humour revient au galop avec la Vache, "un cœur à prendre" pour lequel on aimerait tant "être un taureau". Panne de courant vient compléter cette lignée érotironique et renouveler le genre illustré un temps par le fameux Zizi de Pierre Perret. Ici, au "dring dring" de l'aimée tant attendue, qui fait fondre un "cœur de chocolat", le "ptit héros" reste coi. Rien n'y fait : la gym, les échecs, même l'appel à Dieu, "Popol veut rester peinard". Seule demeure alors "la tendresse … [qui] restera la reine plus qu'un coup de bite de ramoneur".

La Guerre vient interrompre la lignée rose bonbon. Joué sur un rythme double, ce morceau résonne comme le triste miroir d'une actualité récurrente. "Une impulse kusturicienne a traversé le studio", assure Daniel Hélin. On peut y trouver tous les ingrédients, "pour faire une bonne guerre"… Mais "La pire des pissotières" révèle, enserré dans ses couplets, un texte asséné sur un phrasé que n'aurait pas renié Léo Ferré… : "Ma patrie est une pute qui ne change pas ses draps !".

Nicolas Gros-Verheyde

Les Bulles (Tôt ou Tard/Warner)

DANIEL HELIN, LE SPECTACLE

La salle est chaleureuse, polyvalente et populaire comme l'artiste qui pendant sept semaines, y a posé ses valises belges. "Sept semaines ?!" vous étonnez-vous. Inconnu dans les bacs, Hélin est de ceux qui se font un nom sur scène, au contact du vivant, en pleine liberté de parole, de temps et de mouvement. Le décor de ce Hélin Belleville tour ressemble à un saloon parigot : petites tables, tentures rouges, mezzanine de bois sombre, minuscule scène sous un immense zèbre de carton en guise de destrier. Ancien cinéma (depuis 1939), ancien squat (dans les années 90), cette toute nouvelle salle de spectacle (depuis janvier 2002) est à taille humaine. C'est ce qui a certainement plu au saltimbanque Hélin, chantre de la complainte drôle et engagée.

 Comédien, clown, marionnettiste et musicien, Daniel Hélin se veut un artisan du spectacle, entre récital et one man show. Trois petites guitares usagées, une petite trompette, l'homme tient la scène deux heures et une vingtaine de titres, plutôt courts. Le politiquement incorrect domine nettement, du pet à la bite, en passant par les gendarmes et bien sûr l'incontournable guerre. Le facteur animalier est également privilégié : le Cochon, la Vache et la Limace ("sur une musique extrêmement lente") ont chacun leur minute de gloire. C'est réjouissant, comme le Testament jubilatoire déclamé en rimes. Parce que monsieur Hélin est un poète. La plupart de ses textes sont en rimes, parfois rime unique. La Limace par exemple se veut une déclinaison revendiquée de la rime "ace". Idem pour la chanson titre de son dernier album, les Bulles.

Poésie verbale et poésie des symboles : l'amour n'est pas absent, que ce soit à travers la Vache ou de Louise. L'artiste au visage rond, au sourire d'ours en peluche, est un tendre, parfois trash mais toujours séduisant. Parfois même émouvant quand il interprète Ma mère, écrit lors d'une fugue à 17 ans : mots violents pour dire un amour compliqué qui n'est pas sans évoquer celui que chante son compatriote flamand Arno dans les Yeux de ma mère.

Certes, les chutes de ses chansons sont souvent abruptes et incertaines. Mais le public en redemande. Et Hélin en rajoute parfois jusqu'au cabotinage. Sur la fin, après son "tube" Vive le Chiapas, à mort Dallas, il part et revient mille fois. Monte sur une chaise, chante une rengaine façon Caf-Conc, traverse la salle, improvise sur les mines ravies du public. Pour clore enfin sur une reprise de La la la de Jacques Brel. "Mais je vous demande de ne pas penser à Brel quand je la chante…" prévient-il. Le résultat est d'autant plus respectable que la voix d'Hélin est belle, capable d'envolées puissantes comme de murmures à la Boogaerts.

Passants poètes et mélomanes, amateurs de slam, cet art oratoire moderne, si vous passez par Belleville, faites une escale au Zèbre du quartier. Daniel Hélin, pour lequel la scène est "l'élément cathartique qui [lui] permet de faire une psy à l'oeil" y tient séance jusqu'au 26 avril.

Catherine Pouplain

Daniel Hélin, jusqu'au 26 avril 2003 au Zèbre de Belleville, 61 Boulevard de Belleville, Paris 11.