La BO imaginaire des Troublemakers

Ce Stereo Pictures Vol.2 est un exercice de style : composer la musique d'un film qui n'existe pas. Le réseau de distribution cinématographique MK2 a confié cette tâche aux Troublemakers qui ont choisi de dédier ce travail à la musique noire américaine. On vous convie dans les bas fonds de quartiers poisseux, ambiance 70's et blaxploitation… Le rideau s’écarte, mangez prudemment vos pop-corn, la projection commence.

Stereo Pictures Vol. 02, le disque dont vous êtes le héros.

Ce Stereo Pictures Vol.2 est un exercice de style : composer la musique d'un film qui n'existe pas. Le réseau de distribution cinématographique MK2 a confié cette tâche aux Troublemakers qui ont choisi de dédier ce travail à la musique noire américaine. On vous convie dans les bas fonds de quartiers poisseux, ambiance 70's et blaxploitation… Le rideau s’écarte, mangez prudemment vos pop-corn, la projection commence.

"Je suis noir, je ne sais pas chanter, pas danser [...] je suis trop petit pour être une superstar du foot et trop moche pour faire de la politique...". Craquements, la basse qui gronde. Une flûte gémit sous fond de violons. Nous entrons dans la nouvelle production des trois bidouilleurs funk-électro marseillais, Fred Berthet, Arnaud Taillefer et Lionel Corsini. Et c’est une vieille connaissance qui nous accueille avec ces paroles : Antonio Fargas, le mythique Huggy les bons tuyaux, l’indic très chic de Starsky & Hutch. Extrait du non moins légendaire film Foxy Brown, ce générique annonce la couleur.

Nous sommes à Harlem ou dans n’importe quel ghetto des Etats-Unis, à la charnière des années 60 et 70. La ségrégation raciale est abolie mais les moeurs persistent. Les Noirs américains restent encore à l’écart du rêve blanc des premiers immigrants. Hollywood et ses quotas les cantonnent aux valeureux seconds rôles façon "M’ame Scarlett" de Autant en emporte le vent. Une trentaine de films, rarement des chefs-d'œuvre, vont changer la donne. C’est la blaxploitation.

Héros ou salauds, les Blacks accèdent à la lumière, ils sont au centre de l’action, la population de référence. Des caïds, cols pelle à tarte, chemises aveuglantes et forts en gueule. Certainement pas de bons exemples pour les valeurs familiales, mais loin d’être pire que John Wayne et ses collègues cow-boys. "Se plonger dans cette ambiance, c’est la continuité de notre travail, aussi bien du point de vue politique qu’artistique" lance Arnaud Taillefer, depuis toujours fasciné par cette époque.

Pour la petite histoire, le trio formé en 1999, devait s’appeler les Trouble Men, du nom d’une bande originale de film (déjà!) signée Marvin Gaye au début des années 70. Problème : le nom est déjà pris, le men se mue en makers. Mais la passion pour ces temps d’ébullition reste intacte. Bobby Womack, Curtis Mayfield et tant d’autres. L’âge d’or d’une certaine soul américaine. Un espace de création et de revendication. "C’est une musique d’esclave, de révolution. J’en retiens la chaleur, l’engagement, la poésie." Travelling arrière, flashback!

A l’écoute des images

En 2001, Nathanäel Karmitz, fondateur du label MK2 Music lance une nouvelle collection. Jusque là, sa société se contentait de distribuer les bandes originales des films commercialisés par MK2, le groupe paternel. En association avec Jean-Yves Leloup, il propose Stéréo Pictures, un DJ-mix alliant musique, voix, dialogues, bruits et atmosphère. Une bande son cinématographique où la volonté est de "créer un mix plus volontiers narratif que simplement rythmique". Un beau pari... sur le papier. Le premier épisode est confié aux deux membres de Radiomentale, une émission de création sonore diffusée sur FG en France, Couleur 3 en Suisse et même jusqu’au Japon grâce à Radio Shibuya Fm. Peu de promotion et tirage confidentiel.

A la même époque, nos trois "fauteurs de trouble" sortent un petit bijou de construction sonore, leur premier album Doubts & Convictions sur le label américain Guidance. Extraits de films, boucles funky et nappes synthétiques se fécondent. Musique et cinéma se nourrissent. Avec déjà en ligne de mire, l’imaginaire plus que l’usure des chaussures.

Entre deux verres, dans une soirée, Nathanaël rencontrera DJ Oil. "Il connaissait notre travail, on rentrait dans la ligne éditoriale." Le projet est engagé. Un thème se dégage pour ce deuxième volume : la ségrégation. Mais sans jouer au défonceur de portes ouvertes, c’est ce qu’affirme Arnaud : "En politique, les discours deviennent assez vite bateau. Dire qu’on est contre le racisme, ça revient à lancer des galets dans la mer. Nous, on a toujours été très sensible à cette esthétique dans le combat des Noirs. Et de toute la musique qui en a découlé, le blues, la soul, le hip-hop..." Et sous vos yeux ébaubis, madame, monsieur, le tour de force : même sans rien comprendre aux extraits de discours ou au concept, les Troublemakers réussissent leur coup. Nous entraînent dans leur univers.

Une atmosphère finement réfléchie. De la soul à l’électro, les transitions entre les morceaux sont imperceptibles. Cris, bruitages, effets, les séquences s’enchaînent, fluides. Le My people...hold on, sobrement déchirant, d’Eddie Kendricks suivi d’une course poursuite mené piano battant. La chaleur lascive de Nina Simone dans Seen-line woman ; un dernier détour de détente à la plage, et enfin, défier sa destinée sur les boucles tordues du Jonzun Crew. La force de cette compilation, c’est de ne pas en être une. L’histoire est cadrée mais le scénario libre. Au creux de la couette ou lors d’une virée en ville, chaque écoute est une nouvelle aventure, une fuite ou un combat.

Retour vers le futur

Mais ce Stereo Picture Vol2 aussi captivant soit-il ne reste qu’un défouloir en attendant le prochain "vrai" album des Troublemakers. "On ne voulait pas de confusion. Notre nom n’est écrit qu’au dos de l’album et en tout petit!, précise Arnaud. Cette expérience nous a permis de nous affranchir de nos influences les plus fortes.Un bon brouillon pour nos prochaines compositions." Un avenir pourtant rien moins qu’assuré pour les Marseillais. "Nous avons pas mal de morceaux en chantier mais on attend notre changement de maison de disques, on n’a plus de contrat pour le moment."

Guidance, leur ancien label leur a apporté une belle notoriété mais peu de moyens. En plus, malgré la magie Internet, les communications Outre-atlantique ne sont pas toujours aisées. Mais pas de panique, les Troublemakers ont plus d’un lapin dans leur chapeau. Ils sont actuellement en négociation avec Blue Note, le mythique label jazz fondé à New York en 1939. Bon d’accord, la firme a perdu de sa splendeur mais elle remonte la pente depuis la fin des années 90. D’autant, qu’il est loin le temps où Fred Berthet donnait des cours de sampling à deux jeunes marseillais anonymes, avant de les convier pour composer à six mains.

Le trio maitrise maintenant ses "instruments" et les envies grandissent. "Nous nous orientons vers le jazz, enfin avec humilité. On recherche plus de musicalité, beaucoup moins de sample, on bosse des mélodies au piano. J’ai écrit des textes en anglais pour de vraies chansons. On va également travailler avec un arrangeur ou encore avec Andy Bey, un vieux chanteur de jazz." Si tout se passe bien, (négociations, collaborations, enregistrements, etc.), la sortie devrait intervenir en janvier 2004.

Stereo Pictures Vol2. (MK2/Warner music france)