Les Nubians
One step forward, le nouvel album des Nubians marque le retour aux affaires des soeurs Faussard. Si la sortie française de leur premier disque Princesses nubiennes en 1999, s'est faite dans un relatif anonymat, le cd de ce duo a finalement connu une toute autre destinée outre-atlantique. Avec plus de 400.000 exemplaires vendus au pays de D'Angelo et Erikah Badu, les Nubians se sont forgées une crédibilité indiscutable. Aujourd'hui, One step forward tutoie avec bonheur tous les styles et se présente comme un parcours musical aussi riche qu’accompli.
One step forward
One step forward, le nouvel album des Nubians marque le retour aux affaires des soeurs Faussard. Si la sortie française de leur premier disque Princesses nubiennes en 1999, s'est faite dans un relatif anonymat, le cd de ce duo a finalement connu une toute autre destinée outre-atlantique. Avec plus de 400.000 exemplaires vendus au pays de D'Angelo et Erikah Badu, les Nubians se sont forgées une crédibilité indiscutable. Aujourd'hui, One step forward tutoie avec bonheur tous les styles et se présente comme un parcours musical aussi riche qu’accompli.
Pourquoi avoir inscrit les chansons de One step forward dans un certain ordre (à chaque morceau correspond une heure de la journée), dictant l’écoute comme à l'époque du 33 t ?
Hélène : C'était important car nous sommes aussi des conteuses, des griottes. On aime raconter des histoires. Quand on a commencé l'enregistrement de l'album, le concept de track-listing n'était pas encore défini. On avait les thèmes majeurs de l'album, puis, petit à petit tout a pris un sens : ça devenait le soundtrack, la musique d'une journée ou d'un voyage avec les Nubians. L'idée du soleil et de la lune devenait donc évidente. Chaque titre prenait ainsi sa place. On pouvait même associer une heure de la journée à un titre précis. Le titre la Guerre par exemple représente le zénith, le moment où le soleil tape sur la tête, et fait faire n'importe quoi. Plus le soleil décline, plus les chansons deviennent acoustiques, senties, intimes. Elles évoquent la prière, la méditation, l'amour. On est très contente de cet aspect-là parce qu'effectivement, il rajoute une forme de narration à l'album. Ceci dit, au départ, on avait prévu un double album, avec un disque soleil et un disque lune, mais le service commercial nous a dit que ce n’était pas possible... On a donc synthétisé le tout sur un seul CD.
Célia : L'argument principal, c'était que le disque allait revenir cher ! Et comme on trouve que les disques sont déjà suffisamment chers, on a enlevé quelques titres pour que l'album sorte à un prix "normal" que l'on trouve déjà trop cher !
Hélène : On demande juste à l'Etat français de baisser la TVA à 5,5% sur le disque, et aux maisons de disques de baisser un peu leur marge…
Cet album ouvre grand les yeux sur vos racines africaines. Avez-vous à cœur de le porter sur les scènes africaines ?
Hélène : Bien sûr qu'on a envie de porter cet album sur le Continent. D'ailleurs il y est déjà. Il paraît qu'au Cameroun ça joue en boucle à la radio. Encore une fois notre message est universel mais c'est vrai qu'on a le souci de s'adresser à notre communauté avec un soin particulier. Dans les faits, la communauté africaine dans le monde est un peu dénigrée, et ce depuis très longtemps. Rendre la fierté au peuple africain, ça fait aussi partie de nos missions. L’idée, c’est que "si tu ne sais pas d'où tu viens, tu ne sais pas où tu vas". Il s’agit d'aller vers l'autre. En se connaissant soi-même, on est plus en mesure d'accepter, d'appréhender les autres cultures. C’est le sens d’un texte comme Immortel Cheikh Anta Diop. C'est drôle de voir qu'il y a des Africains francophones qui ne savent pas qui est Cheikh Anta Diop*, qui ne connaissent pas l'apport de son travail pour l'humanité.
Célia : Il a quand même découvert le carbone 14, le système de datation. C'est une découverte pour l'humanité !
Hélène : Se balader dans la diaspora, c'est donc pour nous un véritable plaisir. On souhaite aussi montrer au monde que le peuple noir est un. Même s'il a développé des styles de musique très différents dans les endroits où il a atterrit, il reste un seul peuple. C'est d'ailleurs pour ça qu'on s'appelle les Nubians. C'est une manière de parler du peuple noir sans avoir à dire afro-américain, afro-caribéen, ghanéen etc. On parle d'un seul peuple qui se retrouve et qui retrouve ses racines pour mieux se projeter dans le futur.
Contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, la musique noire en France a une définition assez floue...
Hélène : Comment veux-tu faire quand, alors que la scène underground nourrit le r'n'b et la soul depuis plus de quinze ans, les icônes r'n'b française s’appellent Ophélie Winter et Jalanne ? Les noirs qui font cette musique ne sont pas mis en avant. C'est pour ça qu'il y a un combat à faire, en tous cas sur les minorités. C'est quand même étrange qu'un groupe comme Kassav', qui existe depuis vingt ans, n'ait jamais reçu de lettre de noblesse ! Tant qu'on aura un discours tel que celui de notre Président Chirac qui dit "la dérive identitaire ne sera pas tolérée, le communautarisme va à l'encontre des lois de la République", et qui le lendemain va remettre la légion d'honneur à Khaled en disant "merci pour votre apport dans la musique française par le raï"…Mais ce qui a fait que Khaled a pu développer le raï, c'est le communautarisme, et pas autre chose ! S'il n'y avait pas eu toute la communauté arabe pour le soutenir, il ne serait rien. On veut tout et son contraire. C'est difficile de bouger dans tout ça !
Ceci dit, les chanteurs de r'n'b noirs existent, et ont eux aussi une petite tendance au formatage…
Hélène : C'est vrai, mais il y en a aussi beaucoup qui sortent des cases. Des artistes comme Tété, Sandy Cossett…
Célia : K-Reen a quand même inventé son style, et chante sans prendre un accent anglais ou quoique ce soit -elle n'a pas eu son heure de gloire, même si elle a ouvert la porte à tout le reste. Princess Erika a fait son chemin…Mais c'est vrai qu'il y a un problème avec les étiquettes. Nous avons eu ce souci avec le premier album. Ce n’était pas assez world, pas assez chanson française, soul ou hip hop…
Hélène : Et puis on nous avait collé une étiquette "Black Panther", alors que nous sommes métisses !
Célia : Après on a voulu nous faire comprendre qu'il fallait choisir un côté ou l'autre, mais personnellement, je ne me retrouve ni dans la world ni dans le r'n'b pur, car ce n'est pas mon identité. Chanson française non plus, même si on est sensible au fait qu'une chanson puisse exister par elle même, guitare voix. Mais le milieu de la chanson nous voit comme un groupe de rap ! Enfin, pour les radios "rap", on est trop adulte… J'ai 24 ans et je pense qu'il y a des aspirations plus hautes, et qu’il existe un autre langage que quelques onomatopées redondantes et quelques "négro", "t'as vu" à tout bout de phrases… Le rap français ne peut se résumer qu'à ça ! On a tendance à proposer une image des jeunes issus de l'immigration qui ne nous correspond pas totalement. Il faut donner la possibilité à d'autres identités d'exister. La beauté d'un tableau réside dans sa pluralité.
Au regard des scores relativement modestes de votre premier album en France, avez-vous l'impression qu'il était trop avant-gardiste ?
Hélène : Oui, mais quand on a fait notre album, on était fatigué de ce qu'on entendait à la radio. On en avait marre des formats. A l'époque, en 98, les artistes noirs faisaient soit de la world, soit du rap. La seule qui était au milieu, c'était Teri Moïse. Ça nous fatiguait, on avait envie de faire autre chose ! Quand l'album est sorti, effectivement les médias avaient du mal à l’étiqueter. Avec One step forward on ne s'est pas dit "on va faire un titre hip hop, un titre r'n'b etc.". On fait notre musique, et c'est tout ! Par rapport au nombre de ventes, il faut savoir qu'en France en 98, c'était les balbutiements de la soul. Des artistes comme Erikah Badu ou D'Angelo vendaient le même nombre de disques que nous. Ça veut dire que les connaisseurs de soul se limitaient à ce nombre-là. Aujourd'hui, heureusement, ça s'est étendu, et on espère vendre un peu plus de 60.000 disques en France !
*écrivain et homme politique sénégalais
Les Nubians One step Forward (Virgin 2003)