Edition spéciale à Lafayette
Comme chaque année à cette période, s’ouvre une nouvelle édition du Festival International de Louisiane. Malgré les relations franco-américaines quelque peu tendues en cette période de post-guerre irakienne, certains artistes français se sont aventurés à Lafayette. La Rue Kétanou faisait partie de ceux-là. Rencontre.
Festival International de Louisiane – 17ème
Comme chaque année à cette période, s’ouvre une nouvelle édition du Festival International de Louisiane. Malgré les relations franco-américaines quelque peu tendues en cette période de post-guerre irakienne, certains artistes français se sont aventurés à Lafayette. La Rue Kétanou faisait partie de ceux-là. Rencontre.
A Lafayette, en plein pays cajun, situé à quelques miles de la Nouvelle Orléans, le Festival International de Louisiane s’est ouvert le 23 avril, dans un contexte international un peu particulier.
Depuis plusieurs semaines que dure la crise irakienne et les bouleversements géopolitiques et diplomatiques que cela implique, on était en droit de se demander si musique francophone et sentiment patriotique américain feraient bon ménage.
A la lecture de certains journaux, mais aussi devant les déclarations de politiciens louisianais, cela paraissait difficile (cf. Le Point 18 avril 2003). Sachant que cet état du sud des Etats-Unis est l’état où l’on rencontre le plus de francophiles et le seul où l’on trouve des francophones, il restait à définir si le spectacle vivant, présenté comme chaque année à Lafayette, pourrait subir les conséquences des prises de positions d’un côté et de l’autre de l’Atlantique.
Quelques artistes ont affirmé radicalement leurs convictions. Youssou N’dour a annulé sa tournée américaine en signe de protestation. Ceux qui marchent debout, fanfare chouchou des festivaliers de Lafayette depuis plusieurs années, s’est abstenue de venir. Kassav qui était l’invité des festivals de Houston, Lafayette et la Nouvelle Orléans a préféré ne pas s’aventurer au pays de G.W. Bush.
Lisa Stafford, directrice du Festival explique: "On a demandé aux musiciens de Kassav de mettre de côté la politique. Le festival est surtout un évènement musical et culturel qui favorise la réunion des gens. Les sentiments de Kassav étaient un peu forts et ils ont décidé de ne pas venir. Pour nous, en fin de compte, c’est la seule répercussion notable. Mais c’était quand même le groupe phare du samedi soir et il devaient aussi clôturer le festival, dimanche. A leur place, on a programmé la chanteuse haïtienne Emeline Michel et Los Lobosde Los Angeles".
La direction du festival ne semble donc pas avoir fait cas des évènements internationaux et s’est fait un point d’honneur d'accueillir les artistes de tous horizons de la même manière pour les éditions précédentes. Certains ont sans doute et malheureusement, cédé à un petit vent de paranoïa.
Depuis 7 ans, Ligui Chauveau de Marabi productions est le chaînon francais entre le festival et les artistes de l’Hexagone. En collaboration avec Lisa Stafford, il travaille en amont pour présenter chaque année à Lafayette des groupes français et francophones, opération menée avec le soutien de quelques opérateurs français comme la Sacem.
Au fur et à mesure, la collaboration s’est étendue au festivals de Houston et de la Nouvelle Orléans. "On a profité des bonnes relations entre ces différents festivals et leurs programmateurs pour permettre aux artistes d’avoir une ouverture sur le sud-est des Etats-Unis. Ce genre d’échanges a donné des résultats déterminants pour certains artistes français qui ont fait leur premier concert aux Etats-Unis, au festival de Lafayette. Des groupes pour lesquels c’était flagrant, ce sont Paris Combo ou Sergent Garcia. L’idée, c’est d’enclencher un processus. La situation internationale a compliqué les choses. De la part des artistes, pas de la part des festivals. L’accueil des gens ic,i est toujours aussi chaleureux, c’est comme d’habitude. On n’a pas constater de sentiments anti-français. Ils arrivent à faire la part des choses. C’est bien sûr un contexte particulier. Mais on le subit plutôt qu’autre chose. C’est l’intérêt de tous, pour les festivals comme pour nous, de maintenir ces échanges."
Dans la ville de Lafayette, sur certaines vitrines de magasins, comme à l’accoutumée, on peut voir inscrit : "Ici on parle français". Cela n’empêche pas non plus de croiser quelques véhicules sur lesquels on arbore fièrement la bannière étoilée. Mais le festival est avant tout un moment et un lieu de fête. Des familles entières sont de sortie avec enfants et glacières, des couples viennent danser le zydeco, tellement apprécié ici. Des jeunes gens installent des tables de mixage sous les magnolias et improvisent des dancefloors.
De quoi rassurer s’il le fallait les groupes français et francophones qui sont quand même venus, et qui eux n’ont pas pris en compte les vicissitudes de la politique internationale. Bratsch et son enthousiasme tsigane, le Belge Marka, les Réunionnais de Salem Tradition ainsi que le trio de la Rue Kétanou n’ont pas boudé leur plaisir de jouer dans un grand festival comme celui-ci. Comme d’habitude, le festival s’est terminé sur une jam session impressionnante le dimanche 27 puisqu’elle a rassemblé l’ensemble des musiciens participants à ce festival au Grant Street Dance Hall, le plus célèbre club local. Ambiance saloon, bière et danse. LA RUE KETA-EUX
Le trio parisien La Rue Kétanou s’approprie à une vitesse déroutante, l’espace physique d’une scène comme celui de notre imaginaire. Difficile de résister à cette avalanche d’énergie et de générosité artistique que Florent, Mourad et Olivier peuvent déverser le temps d’un concert, où se mêlent allègrement musique, poésie, théâtre et humour. Les festivaliers de Lafayette ont d’ailleurs pu par deux fois, profiter de cela et participer à la fête.
Protégés de Tryo, La Rue Kétanou, auteur l’année dernière d’un album intitulé Y’a des cigales dans la fourmilière (Yelen), revient d’une tournée en mars au Québec. "C’était tellement bien, ça nous a donné envie d’y retourner avec LRK et d’autres projets qu’on a déjà mis en route dont Mon côté Punk avec par exemple, Dikes ou Karim le guitariste de Padam. C’était un accueil superbe. L’intérêt pour nous de ce genre de chose, c’est de voyager. La musique, c’est le meilleur titre de transport au monde." déclare Olivier Leite, chanteur, guitariste et batteur du groupe mais surtout tchatcheur invétéré.
Pour leur venue à Lafayette, pas d’état d’âme donc. De toute façon, la Rue Kétanou, nom que les Louisianais ont ici quelques difficultés à prononcer, n’est pas du genre à se laisser impressionner. Mourad Musset, chanteur et guitariste poursuit : "Notre disque se nomme Il y a des cigales dans la fourmilière ! Ici, c’est notre fourmilière! De toute façon, on a été invité. On n’a pas décliné l’invitation, bien sûr. Et on va jouer. Le but, c’est pas de reculer mais d’y aller! la seule chose qui m’ait fait peur, c’est que je n’aime pas l’avion!"
Sensibles à l’accueil réservé aux artistes à Lafayette, les membres de La Rue Kétanou ont su apprécier le brassage des cultures si chère à leurs yeux. Olivier: "Depuis que nous sommes arrivés et rien qu’au cœur de l’organisation du festival et à l’hôtel, on a déjà rencontrés plein de gens. Des Nigérians (Lagbadja), des Réunionnais (Salem Tradition), des Canadiens (Dobacaracol). Il y a un grand plaisir à se rencontrer et à se raconter nos chemins."
Mourad a fait le fier en annonçant à certains leur passage à l’Olympia le 27 mai. "Je leur ai dit que c’était comme le Carnegie Hall à New York !" De quoi impressionner en effet, mais les trois lascars ont été à leur tour un peu inquiets, quand un des musiciens cajun David Greely, par ailleurs violoniste de Steve Riley, les a invité à participer à une rencontre musicale le samedi 26 à la Cité des Arts. Un peu plus tôt, devant le concert de Bratsch et la virtuosité de l’accordéoniste François Castielo, on a vu le regard attentif, voire admiratif, de Florent Vintrigner, troisième homme de la Rue Kétanou. Si le groupe a impressionné le public, il s’est aussi laissé impressionner.
Avait-il rêver de l’Amérique ? La Rue Kétanou chantait dans Rap’n roll (le dernier album) : "Des chansons qui se rap’n’rollent/ça alors qui aurait pu croire/qu’avec un chapeau rempli d’espoir/tu te retrouves jusqu’en Amérique/en troubadours des places publiques/Danse par dessus toutes les frontières/l’espace scénique grand comme la terre".
Avides de découvertes humaines et artistiques, Olivier, Florent et Mourad jouent, parlent, chantent l’amour, la détresse, la tendresse, les rencontres bonnes ou mauvaises. Ils rappent (n‘roll), valsent, dansent, bondissent.
Quelques mots d’anglais, d’arabe, d’espagnol ou de portugais viennent fleurir la langue française. Pas de répit pour les trois hommes qui ici à Lafayette ont chanté très haut et très fort mais avec justesse et pertinence : "C’est pas nous qui sommes à la rue, c’est la rue qu’est à nous".