Valérie Lagrange, une vie fleuve
Son dernier album original datait de 1985. Dix-sept ans plus tard, Valérie Lagrange est de retour. L'actrice et chanteuse au parcours mythique et houleux comme le titre de son album, Fleuve Congo, sort onze chansons chargées tantôt de douleur, tantôt d'une grande sérénité. Pour l'émission la Bande Passante sur RFI, au micro d'Alain Pilot, elle raconte son incroyable parcours jusqu'à la naissance de ce disque.
Retour d'une artiste rare.
Son dernier album original datait de 1985. Dix-sept ans plus tard, Valérie Lagrange est de retour. L'actrice et chanteuse au parcours mythique et houleux comme le titre de son album, Fleuve Congo, sort onze chansons chargées tantôt de douleur, tantôt d'une grande sérénité. Pour l'émission la Bande Passante sur RFI, au micro d'Alain Pilot, elle raconte son incroyable parcours jusqu'à la naissance de ce disque.
RFI Musique : Après quatre albums chez Virgin entre 1980 et 1985, vous avez mis du temps à revenir sur le devant de la scène. Que s'est-il passé ?
Valérie Lagrange : En 86-87, Virgin a changé de personnel et je ne correspondais pas à ce que les nouveaux arrivants avaient envie de défendre. On m'a donc rendu mon contrat. Ça a été un choc. Mon compagnon, Ian [Jelfs] qui a composé tous les morceaux que j'avais chantés dans les années 80, avait des problèmes de drogue et d'alcool. Le fait d'avoir perdu ce contrat l'a encore plus déstabilisé et la chute a été vertigineuse. Il a fait une overdose en 1989, est resté plus d'un mois dans le coma et à son réveil, il avait gardé des séquelles. Il n'était plus autonome. Donc, je n'avais absolument pas le temps de faire quoique ce soit d'autre. Et le temps a passé, je me suis trouvée très isolée. Les amis, l'entourage se dispersent. C'est ça le plus douloureux.
Vous en avez voulu au monde la musique, aux maisons de disques quand cet accident est arrivé ?
Oui, bien sûr. J'avais une sorte de rage. Ça aurait pu se passer n'importe où mais ce milieu est très cruel.
Ceux qui vous ont donné envie de faire de la musique, Pierre Barouh et Francis Lai, étaient vos voisins dans le Paris du début des années 60.
J'habitais rue Notre Dame de Lorette, et Francis à Pigalle. On était tout le temps chez lui, on passait des après-midi à écouter des chansons. A cette époque, j'ai rencontré Claude Dejaques.
…entre autres, directeur artistique de Barbara.
Oui, de plein de gens. Il m'a fait enregistrer un E.P., un 45 tours de quatre titres avec des chansons de Pierre Barouh et de Francis Lai. Claude m'a alors présentée à Gainsbourg qui m'a écrit La Guérilla qu'on retrouve dans ce disque.
Vous avez tout lâché en 1968 ?
J'étais tellement persuadée que le monde allait changer, qu'on était à l'aube d'une nouvelle ère faite d'amour, de partage et d'humanité, que j'ai écrit chez Philips pour rompre mon contrat. Je suis partie et cette errance a duré dix ans de 68 à 78. Pendant ces années, je suis allée à Rome deux ans, en Nouvelle-Guinée faire ce film de Barbet Schroeder, la Vallée (1972, ndlr) où on a vécu chez les Papous. Ensuite, j'ai vécu un an en Inde puis dans une communauté du sud de la France avec Jacques Higelin, entre autres. Après pas mal d'aventures, je suis remontée sur Paris parce que je me suis rendue compte que tout ce que j'avais voulu vivre était utopique. Là, je me suis trouvée face à une réalité. On me prenait pour une pauvre hippie… Heureusement, j'avais rencontré Ian.
Il y a eu une expérience avec Jean-Louis Aubert ?
En 1975, j'ai rencontré Louis [Bertignac] et Jean-Louis [Aubert]. Téléphone n'existait pas du tout. On a fait un groupe à trois, Jean-Louis, Ian et moi. Ça avait un nom nunuche : Cool Rock (rires). On jouait dans une pizzeria, on était payés en pizza.
On vous reconnaissait parfois ?
Oui, quand je faisais la manche avec Ian. On jouait des morceaux des Stones, Dylan, Cohen, des Beatles, de tous les gens qu'on aimait. On a ainsi vécu très bien pendant huit mois, on a même économisé et fait une petite maquette qui a fait que Richard Branson de Virgin nous a signés.
Comment a démarré l'aventure du dernier disque ?
C'est Bertrand Coqueniau de EMI, un fan de toujours, qui m'a conseillé de travailler avec Benjamin Biolay, alors inconnu. Quand j'ai rencontré Benjamin, il est venu à la maison, il m'a demandé de lui sortir un tas de choses que je n'avais pas enregistrées et entre autres, La Guérilla de Gainsbourg. Il m'a dit : "Ça il faut le faire ! C'est Gainsbourg !"
Il en a ralenti le tempo.
Oui, il a changé un peu le tempo et a fait un arrangement à la "Los Lobos ", du rock mexicain.
Parmi tous les titres, il y a cette chanson d'amour pour votre compagnon, Mon amour pour toi.
Quand j'ai commencé à travailler avec Benjamin à l'été 2000, il me demandait de chanter différemment. Je chantais du rock’n’roll donc je projetais ma voix. Il voulait que ce soit plus retenu, plus chanté-parlé, je ne comprenais pas très bien au départ. Et je n'étais pas tellement contente. Puis, il est parti quatre mois travailler sur son premier album. Suite à son départ, à la mort de mon père l'année d'avant, au fait que je n'étais pas contente de moi, à la maladie de Ian, j'ai fait une dépression. Et dans ce gouffre, j'ai commencé à écrire cette chanson parce que la seule chose à laquelle je pouvais me raccrocher, c'était Ian. Après, j'ai vraiment sombré. Quelques mois plus tard, j'ai repris le studio avec Benjamin et j'ai terminé la chanson qui est vraiment sortie du fond du fond, c'est vraiment authentique, les mots étaient des bouées de sauvetage.
Le texte de Sensations est en revanche très serein ?
C'est un poème qu'Arthur Rimbaud avait écrit à 17 ans. C'est son poème le plus paisible. Pour donner cette sensation d'évasion, de plénitude, ce serait bien qu'il y ait du sitar et du tabla. J'ai vécu en Inde, j'adore cette musique. Un jour, Louis Bertignac m'a dit qu'un musicien et ami népalais venait chez lui dix jours. Donc on a fait ça dans son studio.
On retrouve aussi Jacques Higelin ...
Oui, je voulais qu'il chante en duo avec moi la Maison sous les glycines. Et quand je lui ai chanté, il m'a dit qu'il était dans une période plutôt destroy et que ce n'était pas pour lui. Mais il a proposé de venir faire un petit coup d'accordéon sur Bateau Ivre.
Sur cette chanson, la Maison sous les glycines, il y a un autre accordéoniste, le Malgache Régis Gizavo ?
J'écoute beaucoup Cesaria Evora et idéalement, je voulais que cette chanson soit faite avec ses musiciens. Ça s'est fait et ce sont eux qui ont convoqué ce musicien. Ils ont pris en main les arrangements, c'était un vrai bonheur. Ils avaient loué une petite maison à Montreuil et je suis venue répéter chez eux, en présence de Cesaria donc j'étais vraiment impressionnée parce que c'est mon idole. Dès qu'ils ont joué, c'était là. Cette chanson-là est mon meilleur souvenir de l'album.
Valérie Lagrange Fleuve Congo (Vogue/BMG) 2003