Daran Pêcheur

Après deux revers discographiques, on croyait Daran perdu cordes et âmes pour la musique. L’album de la résurrection s’appelle Pêcheur de pierres mais pourrait tout aussi bien s’appeler Pêcheur de perles. Rarement adéquation entre musiques et paroles fut aussi jouissive dans le répertoire du chanteur. Rencontre.

La résurrection

Après deux revers discographiques, on croyait Daran perdu cordes et âmes pour la musique. L’album de la résurrection s’appelle Pêcheur de pierres mais pourrait tout aussi bien s’appeler Pêcheur de perles. Rarement adéquation entre musiques et paroles fut aussi jouissive dans le répertoire du chanteur. Rencontre.

Cela s’ouvre sur un ironique Pop Music où le chanteur taille des croupières au business actuel de la musique, quand le seul passage d’une parfaite inconnue dans une émission télé garantit la vente de milliers d’albums le lendemain. Mais au-delà de cet épiphénomène de mode, les thèmes abordés par Daran sont d’une remarquable pertinence. Le mal-être, la perte de foi, la transformation chirurgicale, l’introspection et le spleen banlieusard… tout y passe sans qu’on y trépasse. La résurrection, on vous dit !

"Vous n’avez pas l’impression de vous être fait arnaquer ?", c’est assez singulier comme entrée en matière pour un disque !
C’est évidemment ironique et c’est exprès qu’on a mis Pop Music en tête de l’album. Je trouvais effectivement amusant qu’un mec entende sur sa chaîne en premier morceau cette question. Cela dit, cette chanson démarre comme la réflexion de beaucoup de musiciens qui pourraient être aigris par le succès de la Star Ac’ ou de Pop Star. Mais ce que je trouvais intéressant dans ce texte, c’est qu’il bascule et j’avoue moi aussi que je suis comme tous les autres : j’aimerais aussi avoir cette notoriété, cette exposition. Cela souligne la question du manque affectif qui pousse chacun à monter sur scène pour combler ce manque.

Au-delà de ce manque, vous dénoncez une pratique de plus en plus courante : faire de nouveaux succès avec de vieilles recettes ?
Je pensais surtout au revival des sonorités dans l’industrie du disque. On est passé par celui des années 70 avec Hendrix, Led Zep. Puis les années 80 new wave. Je pensais surtout aux gamins qui ont aujourd’hui les pattes d’éph’ que j’avais, moi, quand j’étais au lycée, c’est marrant. Sommes-nous, à ce point, à court de nouvelles sensations ? Il y a tout de même des raisons d’être optimiste. On parle beaucoup en ce moment du retour de la chanson à texte avec des artistes comme Benabar ou Vincent Delerm. On ne l’a jamais vraiment perdu. Il y a une tradition de la chanson à texte dans ce pays. On est un pays où les enfants ne chantent pas toujours très juste dans les classes musicales. Il n’y a pas de tradition de chants dans les pubs, comme en Angleterre. Mais en revanche, la France est une terre d’auteur. Ici, on ne plaisante pas beaucoup avec le sens du texte. C’est un des rares pays où un chanteur peut faire une énorme carrière sans avoir un fifrelin de voix. Des Renaud, des Souchon envoient un truc énorme… Ici le texte pèse lourd !


Où vous situez-vous dans cette alternative ?
Pour moi, une chanson est la parfaite imbrication du fond et de la forme. C’est pour cela que le terme de chanson à texte me fait un peu chier parce que c’est souvent le texte au détriment de la musique. Comme je n’aime pas non plus la musique vide de sens, ça ne m’intéresse pas non plus ! Ou alors, on fait Chemical Brothers… Mais pour moi une chanson, c’est Avec le temps de Léo Ferré. Sens, fond, forme, arrangement, interprétation, un truc parfait ! Cela fait quinze ans que je voulais la reprendre cette chanson. Mais jusqu’à maintenant, je n’osais pas. Ma volonté, c’était juste de l’interpréter, sans rien en retirer, ni rien y ajouter. Juste le respect pour ce que je considère comme l’une des plus belles chansons du répertoire. La partie de guitare que je joue, c’est la partie de piano de Léo Ferré à la note près.

A vous écouter, la musique est une sacrée alchimie, faite de simplicité, de complexité, de doutes et de certitudes.
Et encore, je ne me mets plus la pression. Je n’ai la pression de rien même pas celle du succès. Donc, c’est vous dire si je suis tranquille. Et cette liberté se ressent sur l’ensemble de mes albums, je crois. Lorsque je réécoute mes précédents albums, je n’ai pas de regrets. Je me dis qu’à l'époque des prises, j’étais au taquet… Depuis quelques années, je ne voulais plus faire d’albums. Avec deux albums qui sont allés dans le mur, je voulais arrêter. Je me suis dit : c’est bon ! On va faire autre chose… J’ai alors envisagé d'écrire pour d’autres, d’être moins autiste. Je n’avais jamais envisagé de le faire auparavant. Mais bon, comme je sais composer quand même, je me dirigeais vers ce genre d’alternative. Et puis ma maison de disques tenait à ce que je fasse un nouvel album et celui-ci était quasiment prêt au fond d’un tiroir. J’ai changé d’orientation, j’essaie de travailler comme un petit artisan. C’est-à-dire avant tout, d’être super content du résultat pour moi. Après, le reste, c’est un peu du bonus… Avant, j’étais très écorché. J’avais l’impression de jouer ma vie à chaque fois. Maintenant, je m’en fous un peu. Je ne suis plus pressé.


Vous vous êtes trouvé un remarquable parolier : Pierre-Yves Lebert. Comment l’avez-vous rencontré ?
C’est un très vieux pote. Il y a dix ou quinze ans, je lui avais filé un coup de main musical alors qu’il voulait faire ce métier. Et puis il est passé à autre chose : scénario, écriture de dramatique pour France Culture et, secrètement, il a toujours continué à écrire des chansons. Il aimait ce format-là. Un jour, je suis tombé sur une pile de ses textes et j’ai eu un coup de foudre ! Cela a même été le facteur déclenchant de ce nouvel album. C’est la première fois où je n’ai rien écrit. J’ai pris cette pile de textes et j’ai enfilé les perles, tranquillement. La première révélation a été Rêver de rien, la psychanalyse de Dieu. Enfin, on ne sait pas très bien si c’est Dieu ou un homme qui se prend pour Dieu. Ses textes étaient tellement nickel que c’est la première fois que je pars de textes pour écrire les musiques. Jusqu’à maintenant, j’avais toujours fait l’inverse. Je me suis totalement retrouvé dans ces textes comme s'ils étaient faits par moi. C’est un génie.

L’autre parolier qui figure sur cet album, c’est Miossec…
Christophe est arrivé assez tard sur le projet. A un moment on me disait : "L’album est quand même super sombre". Et encore, je n’avais pas fait la reprise de Ferré… On commençait à déconner en disant qu’on pouvait donner la corde pour se pendre à la fin de l’écoute de l’album (rires). Donc, j’ai demandé à Miossec de me faire, paradoxalement, une chanson "up" ce qui était un challenge personnel pour lui. Cela a donné L’amour et l’air. Je la trouve très réussie. D’une manière générale, je ne trouve pas que cet album soit sombre. Les textes évitent l’enlisement. A chaque fois qu’un thème plombe l’ambiance, il y a toujours une pirouette qui relativise les choses. On se promène entre lucidité et rêve. Faute de quoi, le tout lucide, on se suicide….

Daran Pêcheur de perles (East West) 2003