Super Rail Band
Formation historique toujours flamboyante, le Super Rail Band de Bamako est de retour avec un nouvel album, Kongo Sigui.
Pionniers bon pied bon oeil
Formation historique toujours flamboyante, le Super Rail Band de Bamako est de retour avec un nouvel album, Kongo Sigui.
Créé en 1970 par la Régie des chemins de fer du Mali, précurseur de la musique moderne malienne, très populaire pendant une décennie, le Super Rail Band de Bamako avait failli disparaître dans les années 1980. Il est finalement revenu mettre des couleurs mandingues dans nos paysages. A l'occasion de la sortie du nouvel album et d'une tournée européenne, rencontre avec Djelimady Tounkara, époustouflant guitariste et Bamba Dembélé, percussioniste-manager.
Il y a-t-il des reprises sur cet album ?
Non, ce ne sont que des nouvelles chansons. Chacun dans le groupe participe aux textes, fait le sien au gré de son inspiration. Parfois on peut prendre un petit bout d'une chanson du terroir et après on greffe son idée dessus. C'est comme ça que l'on a conçu par exemple Sada Diallo un titre chanté en hommage à un grand commerçant aujourd'hui décédé qui a beaucoup aidé le Rail Band. C'était un mécène en fait. Djelimady Tounkara a pris un bout de mélodie qui existait déjà et l'a complètement retravaillée pour composer et écrire ce titre à la mémoire de Sada Diallo.
On trouve encore des mécènes aujourd'hui ?
Ah ça, pas vraiment ! Il n'y a pas d'argent, et même ceux qui en ont un peu, ils sont prudents, ne veulent pas dilapider leurs biens n'importe comment car la conjoncture est difficile et l'avenir incertain.
Vos chansons expriment souvent le souci de transmettre un message.
Effectivement. Par exemple, Mogo Gnayé Kodola. Ce titre signifie, "quoi que tu fasses, c'est inutile de te cacher, un jour ou l'autre tu seras démasqué". Cela s'adresse aux gens malhonnêtes, aux tricheurs. On pense notamment à une gangrène rongeant l'Afrique : les chefs d'état qui essaient de détourner notre argent pour le mettre sur des comptes en Suisse ou ailleurs. Ils pensent que l'on ne les voit pas, mais on est au courant de tout. Souvent, après un coup d'état, toutes leurs manigances sont révélées, la vérité apparaît au grand jour. En fait, ce que l'on veut dire dans cette chanson concerne tout le monde, des responsables politiques à l'homme de la rue.
Qu'est-ce qui vous pousse à chanter des valeurs morales, à dénoncer les attitudes allant à l'encontre de celles-ci ?
L'artiste doit avoir un peu le rôle d'un prêcheur. Quand on voit des choses pas très bien qui se passent dans la société, c'est notre devoir d'en parler, de donner aux gens la conscience des vraies valeurs. Nous avons un rôle éducatif.
Un autre mal rampant qui ronge l'Afrique est la piraterie, que vous évoquez dans Pirates.
Là, c'est encore un problème majeur dans nos sociétés. Malgré tous les efforts qui ont été entrepris, ce n'est pas encore suffisant. Rien n'a vraiment changé. On a beau faire des descentes dans les marchés, brûler les cassettes saisies devant les caméras de la télévision, ça continue. Il serait nécessaire qu'il y ait une action concertée de tous les gouvernements de la sous-région.
N'avez-vous pas l'impression en écrivant une chanson comme Pirates que vous prêchez un peu dans le désert ?
Même si ça fait des années que tous, on s'insurge contre cela, que l'on compose des chansons pour dénoncer ce mal, il faut continuer à en parler néanmoins. On ne sait jamais, peut-être qu'un jour un coup de tonnerre va y mettre fin. Et puis, si l'on arrête de dénoncer la piraterie, cela équivaut à l'envisager comme quelque chose de concevable, d'admis une fois pour toutes.
Comme dans Sigui, la chanson-titre de l'album qu'avait enregistré Djelimady Tounkara pour le label Indigo, est-ce encore Soundiata Keita, fondateur de l'Empire mandingue, qui est évoqué dans Kongo Sigui ?
Il n'est pas nommément cité, mais c'est bien de lui dont il s'agit. Cette chanson loue la générosité dont il savait faire preuve. Le but étant de rappeler à nos responsables politiques et économiques de prendre exemple sur lui, de partager.
Quel est votre point de vue sur le mouvement militant pour l'annulation de la dette de l'Afrique ?
Ce serait merveilleux si l'on arrivait enfin à cette décision. Les choses n'ont que trop tardé. Il serait bon que chacun se souvienne combien l'Afrique a été exploitée. Il y a eu l'esclavage d'abord, bien sûr. Mais aussi la colonisation, qui nous a appris que nos ancêtres étaient les Gaulois, qu'il ne fallait plus porter de cotonnades mais des pantalons et des souliers. Les Occidentaux sont venus nous "orienter" sur leur style de vie, leurs schémas d'éducation, ils nous ont incité à nier notre identité. La meilleure façon de coloniser quelqu'un, c'est de lui apprendre ta langue d'abord. Alors on a appris le français, l'anglais. Les campagnes à la télévision, à la radio ont eu pour incidence de persuader certains des nôtres que le fait de ne pas parler français ou anglais, c'est ne pas être émancipé. Toutes nos richesses ont été épuisées, drainées vers l'Occident. On nous a sucés jusqu'à l'os, puis on nous a jetés à la mer sans gilet de sauvetage, en nous disant "débrouillez-vous maintenant pour rejoindre l'autre rive". Ce n'est pas possible. Pour toutes ces raisons, l'annulation de la dette serait tout à fait légitime et normale.
Un homme de théâtre, de cinéma et de radio. Ce monsieur a oeuvré pour faire rayonner la culture malienne. Quand des hommes de cette trempe disparaissent, nous artistes, ne pouvons que leur rendre hommage pour inciter les autres à faire autant sinon mieux qu'eux.
Que représente le chasseur dans la société malienne ?
C'est celui qui connaît le gibier, le langage des oiseaux, les plantes médicinales. Avant l'arrivée de la médecine occidentale et jusqu'à aujourd'hui encore, il a un rôle essentiel pour guérir les gens de leurs maladies. On ne doit pas l'oublier. C'est pour cela que l'on a mis une chanson de chasseurs dans notre album, Sory.
Des messages d'espoir sur ce disque ?
Bien sûr. Dion Mansa par exemple. Dans la vie de tous les jours, il ne faut pas désespérer. Tant que tu n'es pas mort, tu peux tout espérer. C'est dommage qu'il y ait des gens tellement à bout que parfois ils se suicident, comme on le voit en Occident. Chez nous, le suicide n'est pas fréquent. Les gens ne sont jamais isolés. Quand quelqu'un flanche un peu, il y a toujours du monde pour le rattraper. Les familles sont très larges. Un Malien ne cessera jamais de se trouver des parents, jusqu'à sa mort. La co-épouse de ta soeur par exemple, et bien ses enfants seront tes parents. Tous les frères, toutes les sœurs de ta femme, tous leurs enfants, ce sont tes parents. Tu ne peux pas les renvoyer quand ils arrivent chez toi. La société est tissée comme ça. Ici les gens se retrouvent seuls dans leur chambre. Le moindre souci qui leur arrive, il faut aller tout de suite voir le psy, etc. Un psychanalyste n'a pas sa raison d'exister au Mali. Personne n'irait le voir.
Super Rail Band Kongo Sigui (Indigo/Harmonia Mundi) 2003