Un gaou à Paris
L'aventure des Ivoiriens de Magic System continue. Après l'énorme succès du titre Premier Gaou, Virgin France ressort ces jours-ci l'album Un Gaou à Paris, deux ans après sa première parution sous le nom de Poisson d'avril. Asalfo, le mentor du groupe, nous avait alors accordé un entretien.
L'ascension continue
L'aventure des Ivoiriens de Magic System continue. Après l'énorme succès du titre Premier Gaou, Virgin France ressort ces jours-ci l'album Un Gaou à Paris, deux ans après sa première parution sous le nom de Poisson d'avril. Asalfo, le mentor du groupe, nous avait alors accordé un entretien.
Y'a-t-il une recette qui explique votre succès?
Non. Il n'y a pas de recette particulière. Ce sont quatre jeunes qui ont cru en ce qu'ils faisaient. Il faut dire qu'avant le succès de Premier Gaou, il y a eu un album qui n'a pas marché. On ne s'est pas découragé. On était persévérant parce qu'il n'y avait plus d'issue. On avait tout abandonné y compris les études, pour s'adonner à cette musique. Il fallait qu'on se batte pour prouver aux parents que notre avenir était là. On avait comme une revanche à prendre sur nous-mêmes.
De la rue à la grande scène, votre trajectoire n'a pas été simple à tracer ?
Il n'y a rien à expliquer. Ça se vit. Mais quand je reviens un peu en arrière, je vois qu'on a quand même souffert. Vous savez. la jungle musicale en Côte d'Ivoire, à Abidjan surtout, est difficile à pénétrer. Quand tu fais un premier album qui ne marche pas, il n'y a aucun producteur qui veut travailler avec toi par la suite. Et quand vous dites "la rue", moi je trouve que le mot lui-même est faible, parce que nous vivons dans les quartiers les plus pauvres d'Abidjan. Nous étions quatre jeunes gens qui avaient des problèmes même pour se nourrir. A un moment, on ne pouvait plus aller voir les parents pour dire "aidez-nous financièrement à faire ça ou ça". On était laissé à nous-même. On jouait dans des funérailles et dans des baptêmes à raison de 15000 FCFA (23 Euros) par soirée. Là, il fallait chanter de minuit à sept heures du matin pour avoir cette somme. Et quand tu l'avais, il fallait la partager en huit ou en neuf [personnes]. Ce sont des moments difficiles. C'est dur de raconter cette vie-là. Souvent, on marchait des kilomètres. On pouvait faire cinquante à soixante kilomètres à pied pour aller voir un producteur, ou une quelconque personne susceptible de nous soutenir financièrement, ne serait-ce que pour aboutir à une première maquette.
Premier Gaou a même été enregistré dans un bureau. C'est à crédit qu'on a enregistré cet album. On a vécu une vraie galère. Et peut-être que le bon Dieu a entendu nos pleurs et qu'il a essayé de nous aider à sa manière. Il faut dire aussi que ça nous a permis de nous préparer psychologiquement par rapport à ce que nous vivons maintenant. Je pense par exemple qu'au dessus de l'argent, il y a la fraternité aujourd'hui qui nous lie, parce qu'on a vécu cette galère-là ensemble. Donc l'argent ne représente rien par rapport à cette solidarité qu'on veut préserver dans le groupe.
Autrement dit, cette expérience vous permet d'avoir la tête sur les épaules. Ce que beaucoup d'artistes ne savent pas faire, dès que le succès leur ouvre ses portes.
Dans la vie, tomber n'est pas grave. Mais il faut savoir se relever quand on est en bas. C'est là le problème. Nous, on n'oublie pas qu'on a souffert dans notre passé. On fera toujours un pas en arrière pour aider ceux qui ont besoin de notre soutien, surtout la famille. Vous remarquerez aujourd'hui qu'au Magic System, tout le monde vit dans le même coin, dans le même quartier pauvre où on était avant. C'est parce qu'on ne veut pas être coupé de la réalité. C'est là aussi que se vivent les problèmes que l'on explique dans nos chansons. On a besoin d'être toujours là. Mais il ne faudra pas faire marche arrière dans le travail du groupe. Au niveau où nous sommes arrivés aujourd'hui, si on régresse, ça ne sera pas beau à voir. C'est pour ça qu'on a besoin du soutien de tout le monde pour être toujours à ce niveau et pour représenter valablement la culture africaine en général et ivoirienne en particulier.
Vous êtes devenus une sorte de modèle pour toute cette jeunesse qui porte les couleurs du zouglou dans les rues d'Abidjan ?
Zougloutiquement parlant, c'est vrai que les autres nous ont pris pour miroir. Quand on parle du zouglou, on voit tout de suite Magic System. Et nous, notre objectif est d'encourager ceux qui défendent cette musique et qui sont derrière, pour qu'ils persévèrent et gardent espoir. Mais pour ça, il faut qu'on tienne en haut. S'ils nous voient régresser, ça va les décourager. Aucun groupe zouglou n'a eu dix ans de règne. Aucun. Même cinq ans de règne paraissent impossibles. Les groupes font un ou deux albums, peut-être un troisième, mi-figue, mi-raisin, et se noient. Ils disparaissent. Nous, on veut montrer au monde entier que le zouglou peut rester pendant longtemps à l'affiche. On tente une expérience. On va tout faire pour que cette musique devienne internationale.
Il fut un temps où l'on a voulu comparer le zouglou au rap. Mais au-delà, comment comprendre cette musique ?
Le rap aux Etats-Unis, c'est une musique des ghettos, qui décrit les maux de la société. Et le zouglou en Côte d'Ivoire, c'est un peu la même chose. Mais le zouglou n'est pas le rap. En Côte d'Ivoire, les rappeurs, ils s'habillent chers. Ils vivent dans le luxe. Et le zouglouphile, au moment où il boit sa petite bière, le rappeur, lui, est peut-être en train d'ouvrir le champagne ou de rouler dans des grosses cylindrées. Ce n'est pas la même chose. On ne peut pas vivre dans une villa climatisée et vivre les réalités du peuple. C'est un peu notre vision de la chose. Le zouglou est une philosophie. Un zouglouman est celui-là qui, au-delà de ses aspirations musicales, veille d'abord à l'évolution de son mouvement. Le vrai zouglouphile, c'est celui qui s'inspire des problèmes du peuple et qui dit haut ce que les autres pensent bas. Malheureusement, nous ne sommes pas en télé, on ne peut pas le montrer. Mais le zouglou, ce sont des gestes, des bras tendus vers le ciel pour demander au Seigneur de nous aider. Souvent, le bras est sur le ventre pour dire qu'on a faim, que le gouvernement doit penser à nous. Le zouglouhile, c'est aussi celui qui contribue à l'épanouissement de la jeunesse de son pays. C'est celui, comme on dit, qui peut porter un jean pendant une semaine sans se gêner, qui vit modestement et humblement. Il sait garder la tête sur les épaules et s'adapte à tous les milieux dans lesquels tu le lances.
Ce deuxième album se présente sous quelle tendance ?
On a voulu faire évoluer le zouglou, sans toutefois le dénaturer. Il faut garder la base qui fait son authenticité. Quand vous écoutez l'album, vous entendez toujours la percussion. S'il n'y a pas la percussion et la cloche dans un morceau, c'est que la base est ratée. Chez nous, c'est comme ça. On a donc gardé cette base, en essayant d'améliorer, en ajoutant des violons, de l'harmonica, de l'accordéon, de la guitare et du clavier. Ce n'est plus le zouglou de la programmation comme avant. On a voulu faire un zouglou "live". Dieu merci, les gens commencent à nous appeler pour nous féliciter. C'est la raison pour laquelle on a créé l'Orchestre des Supers Gaou, avec qui on tourne. C'est pour montrer l'exemple. Il faut penser de plus en plus au live, laisser le côté programmation. On a fait appel à de bons professionnels pour ça. On voulait montrer que si on nous en donnait les moyens, on pouvait, au-delà des textes, faire avancer le son. Ce disque représente un tournant dans la carrière du groupe. Après un succès comme celui de Premier Gaou, il fallait qu'on revienne avec un album solide. Cela nous a pris un an.
Globalement. que raconte cet album ?
On a gardé la même ligne que pour le premier album. Ce sont les problèmes de société. On parle d'une veuve qui doit se prostituer pour nourrir ses enfants. Dans Poisson d'avril, un homme fait une farce à sa femme, qui cherchait un argument pour le quitter. Ça parle aussi des médisances. Il y a beaucoup de choses qui se sont racontées sur Magic System et Brenda Fassie à Abidjan. C'est pour ça qu'on a chanté en duo contre les ragots sur Popos dipo. On a fait Gagnoa chez Houphouet pour montrer la malhonnêteté de certaines personnes pendant les campagnes électorales. On parle d'amour, de persévérance, de solidarité et d'unité. On chante aussi contre le piratage.
Et vous racontez la vie compliquée d'un gaou à Paris ?
Oui. C'est une manière d'exhorter nos frères qui sont restés en Afrique à arrêter de rêver de la France. On leur dit que la meilleure manière d'être à l'aise, c'est de rester chez soi. Nous, étant petit, notre rêve, c'était de venir à Paris. On est venu et on a vu la réalité. Mais en aucun moment, cette ville ne nous a donné l'envie d'y rester. A Paris, tu peux faire trois ou quatre semaines, sans que quelqu'un ne te dise bonjour. Tout le monde est stressé. C'est vrai que matériellement, les gens sont "devant nous". Mais je pense qu'on est plus à l'aise dans notre peau quand ont est au pays que lorsqu'on est à Paris. Quand je vois des frères en train de se tuer pour venir se mettre dans la merde là-bas, je leur dis dans la chanson que mon rêve, c'était d'aller à Paris. Mais je ne savais pas ce qui m'attendait. Je quitte Abidjan à 34°, j'arrive à Paris, on me dit c'est 2°. Changement de climat déjà. Je leur dit : quand on quitte chez nous avec beaucoup d'argent, arrivé à Paris, ça devient petit. Pour avoir leurs papiers, on souffre et arrivé chez eux on souffre encore. Et ça fait la souffrance dans souffrance.
Donc mieux vaut rester chez soi. C'est un message que j'ai lancé. Et j'ai chanté ça de plein coeur, parce que c'est ce que je ressent. Tout le monde voulait Poisson d'Avril comme morceau de promotion de l'album, moi j'ai choisi Un Gaou à Paris. Et je pense que c'est en train d'accabler tout le monde !
Magic System Un gaou à Paris (Virgin France) 2003