Roots de Guyane
Le nouveau son du reggae viendrait-il de Guyane ? Une compilation regroupant quinze artistes est sortie le 8 juillet dernier. Sept d’entre eux sont actuellement en métropole pour une tournée des festivals d’été*. Rencontre avec Michaël Christophe, initiateur du projet.
Le reggae à la sauce amazonienne
Le nouveau son du reggae viendrait-il de Guyane ? Une compilation regroupant quinze artistes est sortie le 8 juillet dernier. Sept d’entre eux sont actuellement en métropole pour une tournée des festivals d’été*. Rencontre avec Michaël Christophe, initiateur du projet.
RFI: Pourquoi une compilation Roots de Guyane ?
Michaël Christophe : En Guyane vivent les Noirs Marrons – les Bushe Nengue - , descendants d'esclaves rebelles tout droits venus d'Afrique et protégés par l'Amazonie depuis trois siècles. Ils ont ainsi préservé leur mode de vie, leur culture, leur tradition. Il est logique qu'aujourd'hui, avec toutes leurs racines, ils se reconnaissent et se retrouvent complètement dans la démarche revendicative du reggae. Roots de Guyane c'est pour dire qu'il existe encore aujourd'hui des valeurs enracinées dans l'Histoire et que cette terre reste un creuset de créations inexplorées, voire boudées. Cette compilation, c'est pour rappeler que la Guyane est bien vivante, et qu'elle n'est pas que cette image négative qu'on veut bien lui donner aujourd'hui.
Le reggae, c’est le son du fleuve Maroni ?
Les musiques et danses traditionnelles importées d'Afrique ont évolué, mais font partie intégrante du mode de vie, comme en témoignentdes rythmiques aussi variéesque l'aléké, l'awassa, l'apinti, le kawina... Mais le reggae reste le média universel, le langage que les jeunes utilisent pour communiquer avec l'extérieur. C'est le son du Maroni où vivent les Bushe Nengue, tout comme c'est le son des Amérindiens, des Créoles, des Haïtiens et de toutes les communautés qui vivent en Guyane et ailleurs ! Disons que le Maroni ressemble beaucoup à "l'Eden" qui est décrit dans les paroles et les contes rasta.
La Guyane est-elle plutôt rap, reggae ou zouk ?
La Guyane est tout ça en même temps parce que nous vivons dans une société multiculturelle où toutes les inspirations trouvent leur place. S’il faut préciser, je dirais que la Guyane est reggae au travers de toutes ses ethnies, qu'elle est zouk au travers des populations créoles et qu'elle est rap au travers de toute sa jeunesse qui réfute l'étiquetage ethnique.
Cette tournée transporte-t-elle l’idée du festival Transamazonienne en métropole ?
Exactement, ce festival est un événement qui a lieu tous les deux ans. C'est l'occasion derassembler toutes les ethnies de Guyane dans l'ancien bagne de Cayenne et d'apprécier toute cette richesse. Aujourd'hui, les gens escaladent les murs du bagne de l'extérieur vers l'intérieur! Petit à petit, et à force de concerts et d'événements, ce qui était le témoignage d'un passé honteux devient une vitrine, pleine de fierté. L'année où le festival n'a pas lieu, on transporte tout hors de nos frontières. C'est le principe : parler de la Guyane pour permettre au public de localiser nos origines et de découvrir une image, une histoire qu'ils ne connaissent pas, ou si mal ! Bref, une année on invite et l'autre on s'invite !
Une telle tournée avec tant d’artistes se monte t-elle facilement ?
Pas vraiment. Ici, à la différence de la Réunion, les collectivités territoriales commencent seulement à prendre conscience du véritable enjeu du développement culturel. Mais dans l'Ouest Guyanais, nous avons la chance d'avoir un maire, et aujourd'hui Secrétaire d'Etat au Tourisme, Léon Bertrand, qui est musicien. Il soutient beaucoup et comprendl'action culturelle : il parle même d'un "pari culturel". La restructuration de l'ancien bagne en pôle culturel, c'est son idée. Et tout le monde croit en ce concept ici. Je parle du public. N'oublions pas que 70% des populations dans l'Ouest de la Guyane pratique la danse et la musique comme une mode de vie : c'est donc logique d'exploiter ce phénomène, ce savoir faire local, comme base de développement.
Chris Combette est le seul artiste guyanais connu de ce CD. Est-il "roots" ou "Caraïbes" ?
On a beaucoup voyagé avec Chris. C'est un artiste très ouvert et attentif au monde d'aujourd'hui. Sa démarche est pleine de métissage, à l'image de sa propre vie. Chris est définitivement "roots" et profondément "caribéen". "Roots" parce qu'il a choisi la Guyane comme "maison", pour les gens qui vivent ici et pour la qualité de vie qu'on peut y trouver. Et "Caraïbes" parce qu'il estpétri et inspiré des cultures de Guyane, comme de celles des Antilles. Chris est ce qu'on appelle, faussement d'ailleurs, un Créole. Mais l'Histoire des Noirs Marrons, c'est aussi la sienne. Dans notre démarche de promouvoir la Guyane sous d'autres lumières que celles du réacteur de la fusée et des reflets des grosses pépites d'or, Chris est un peu comme notre ambassadeur. Mais depuis l'année dernière, des groupes du fleuve sont partis à l'assaut de la vieille Europe (en France, Hongrie, Finlande) et de l'Afrique. Cette année, c'est encore toute la Guyane qui s'exporte vers la France, l'Italie et la Hongrie.
Quinze groupes sur votre compilation, c'est beaucoup. Vous pouvez nous parler des plus intéressants ?
Quinze groupes et beaucoup d'autres attendent déjà la prochaine compilation… Pour cet album, à la différence de la compilation Transamazoniennes qui se veut représentative de l'ensemble de la scène locale, on a choisi de faire un zoom sur la richesse de la musique reggae qu'on peut entendre ici. Dans l'Est, vers la capitale, il y a des groupes pionniers commeBlack Woodqui jouent encore. Ces groupes ont commencé à jouer du reggae dès les années 80. Dans l'Ouest, c'est venu plus tard. Mais aujourd'hui, les groupes de reggae de l'Ouest affichent une authenticité effarante. Un son brut et roots. Des groupes comme Energy Crew avec ses chanteurs aux voix si différentes mais si complémentaires. Il y a aussi Be Happy, avec sa voix rauque et puissante, et puis Back Shot avec sa voix cristalline et androgyne . Vous découvrirez aussi King Moe, Genèse, des chanteurs très talentueux. Pas le "copié-collé" ou "fabriqué" qu'on entend maintenant...
Roots de Guyane (Multitrack/Virgin)