L'Héritage Ferré

Concerts, albums hommages, ouvrages, sites internet, que devient l'héritage Ferré ? Trois témoins nous éclairent sur la "passation" d'un tel legs : Serge Hureau, artiste et directeur du Hall de la chanson à Paris, Robert Belleret, journaliste et biographe, et Mathieu Ferré, qui depuis la mort de son père veille sur ce patrimoine à la fois familial et universel.

Ou la transmission d'une œuvre unique.

Concerts, albums hommages, ouvrages, sites internet, que devient l'héritage Ferré ? Trois témoins nous éclairent sur la "passation" d'un tel legs : Serge Hureau, artiste et directeur du Hall de la chanson à Paris, Robert Belleret, journaliste et biographe, et Mathieu Ferré, qui depuis la mort de son père veille sur ce patrimoine à la fois familial et universel.

Robert Belleret, un journaliste travaillant pour le quotidien Le Monde, a réalisé l'une des biographies les plus complètes jamais écrites sur Ferré. (Léo Ferré, une vie d'artiste, publié par Actes Sud en 1996).

Une idole, une inspiration :"Pour Souchon, Jonasz, Higelin, Bashung, même Goldman, Ferré est leur idole absolue comme Trenet pour Ferré. Je crois que c'est d'abord le texte qui les touche, sa manière d'écrire, son sens de la métaphore, des images, de savoir faire passer l'émotion avec des textes difficiles.

Une découverte : "Ferré n'a jamais été très programmé de son vivant sur les radios. Sauf Paris canaille, Jolie Môme, C'est extra, Avec le temps, … Il y est aussi pour quelque chose parce que sur la fin, ses chansons étaient très très longues. Mon souci, comme fan éperdu de Ferré, est qu'il ne tombe pas dans l'oubli, que les gens aient envie de découvrir plein de chansons prodigieuses. Donc chaque fois qu'un titre est repris, ça me réjouit même si je ne suis pas toujours emballé du résultat. Je comprends que les gens de 20 ans soient un peu désarçonnés par les musiques d'époque donc si entendant Bashung ou Lavilliers, ça leur donne envie d'y aller voir, tant mieux.

La postérité :"Il en avait un peu le souci parce qu'il a publié des recueils, il avait envie que ses textes existent déjà par le livre. Il était ravi que des gens reprennent ses chansons. Il ne faut pas oublier qu'il est devenu artiste de variété – même s'il n'aimait pas trop ça – par hasard parce que sa passion première c'était la musique. Comme il ne pouvait pas en vivre et qu'il ne voulait pas être un musicien du dimanche, il a trouvé comme biais de faire des textes et de les chanter lui-même avec une voix qui s'est rôdé à la fin des années 50. Et sa première idée avant de chanter, c'était d'être chanté par les autres. Il tirait les sonnettes de Piaf, Montand, Mouloudji ou les Frères Jacques. Montand a repris Paris Canaille, Piaf les Amants de Paris, pas la meilleure. Il était timide.

Son œuvre est son autobiographie :"Ça en fait un vrai poète et pas seulement un auteur de chanson, un parolier. Brel prenait un thème qu'il déclinait mais ne se mouillait pas. Ferré mettait sa vie dans ses chansons, son vécu, ses émotions. Il disait : "Avec le temps, c'est toute ma vie et je l'ai écrit en deux heures !" Mais avant ces deux heures, il y a eu toute une vie précisément.

Sa mise en musique des poètes :"Personne n'a ainsi trouvé d'instinct des mélodies pour servir un texte. Il l'a réussi avec Rutebeuf, avec Apollinaire, Rimbaud Verlaine, Aragon. Il a apporté énormément. Son idée était que la chanson est la poésie d'aujourd'hui. Grâce à lui, Aragon est encore un des poètes les plus populaires.

Son propre travail de transmission : "Il avait cette idée de faire quelque chose de ces merveilles qui dormaient. On est obligé de parler de don. Sa technique était de prendre un livre de Verlaine par exemple, de le mettre sur un piano et de chercher une mélodie. Il était d'une certaine manière "dicté". Il avait ce souci de servir de relais, de passeur pour les générations futures avec ceux qu'il admirait. D'une certaine manière, il pensait aussi à lui.

Le fils de Léo Ferré, Mathieu, né en 1970, a dirigé la maison d'édition "La mémoire et la Mer" depuis 1992, et continué à gérer l'héritage musical de son père.

Le travail :"C'est difficile à évaluer, je sème des graines et un jour, et ça pousse : on envoie des partitions, j'ai créé un petit label en 2000 pour la sortie de Metamec, on ressort des disques de Léo, des artistes que je produis ou que j'ai en licence. Il y a aussi l'activité éditoriale sur les textes de Léo. Je ne parle pas de la littérature annexe, des essais ou des biographies. Ce qui compte pour moi, c'est l'œuvre elle-même.

Les ouvrages sur Ferré :"Ça me fait marrer tous ces gens qui se sentent investis par une mission de faire découvrir Ferré par des livres pour des gens, comme ils disent, qui ne le connaissent pas. Et chez des gros éditeurs. Les livres "de" Ferré que je sors, on les trouve difficilement et les livres "sur" Ferré, on les trouve à la pelle. C'est une aberration. C'est vrai que sa vie est passionnante et ça peut servir à le comprendre. Il n'y a qu'une seule biographie valable, celle de Robert Belleret chez Actes Sud. Après, multiplier les resucées, les redites, je trouve ça inutile.

Les reprises de chansons :"Il n'a aucune autorisation à obtenir de qui que ce soit à partir du moment où les œuvres sont déposées et que l'artiste ne change ni les paroles, ni les orchestrations. Mais je trouve regrettable qu'on ne nous en informe pas. Je fais un travail sur Léo et j'aime bien savoir ce qu'on fait des œuvres. Mais ce n'est pas un réflexe chez beaucoup. Souvent, je vais donc acheter le disque en magasin…

La compilation Barclay :"Elle est intéressante parce que certains de ces artistes ont confessé qu'ils ne connaissaient pas si bien que ça Ferré et que ce projet leur avait permis de le découvrir. Il y a des choses très bien, d'autres moins réussies. De toute façon, pour moi, tout moyen pour découvrir Léo est bon. Donc si ça permet à une toute petite quantité de personnes de découvrir sa musique, sa poésie, sa révolte, ce sera une réussite.

Ferré et l'idée de transmission :"Je ne pense pas qu'il y était sensible. La postérité, ce n'était pas quelque chose qui le préoccupait. Il vivait au jour le jour. D'ailleurs, quand des interprètes ont repris ses chansons de son vivant, il disait dans des interviews qu'en définitive, il s'en foutait un peu.

Gestion de cet héritage :"Mon père et ma mère ont voulu faire cette structure d'édition musicale en 1992 et comme j'étais là, on m'a dit : "Ce sera toi !" Tout doucement, j'ai appris ce que ça voulait dire et ce qu'il fallait faire. Moi, je suis un fana de pêche à la ligne et mon rêve aurait été de créer un gîte rural appliqué à la pêche sportive dans un pays exotique. Les deux ne sont pas trop compatibles… Mais je suis passionné par ce que je fais aujourd'hui !"

Serge Hureau, l'un des membres du jury présent au premier "Prix Léo Ferré de la Meilleure Chanson" en 1998, a lui-même rendu hommage à Ferré en produisant un spectacle basé sur la poésie de Rimbaud et de Verlaine, que Ferré avait mis en chanson et interprété. Le 14 juillet, date du 10è anniversaire de la mort de Ferré, le Hall de la Chanson a lancé un site Internet qui a pour thème l'œuvre de Ferré.

Ferré, de multiples visages :"Léo Ferré est très renfermé dans une représentation caricaturale, l'anar, le poète… L'auteur du site a essayé de faire apparaître un Ferré aux multiples visages, le moins possible à travers l'anecdote. Il a essayé de partir de l'oeuvre plus que de la vedette. Pour nous c'est important de créer un site qui ne se porte pas spécialement vers les gens qui connaissent déjà l'artiste mais de les amener sur un autre chemin que ce qu'ils écoutent toujours.

Ferré, une vie :"Ce qui nous intéresse au Hall, ce n'est pas la nostalgie mais la transmission, c'est à dire comment parler de Léo Ferré à quelqu'un qui ne le connaît pas ? Sur le site Ferré, nous allons parler de 70 ans de vie assez mouvementée et d'un demi-siècle d'œuvres, en mettant en avant de grands thèmes : l'inspiration, la vie d'artiste, le côté "idole", l'artiste qui a généré beaucoup d'argent, la curiosité, la fin de sa vie. On met aussi en avant les paysages dans lesquels il a vécu et travaillé : son premier souffle à Monaco, ses rencontres, ses lectures, un travail sur sa découverte de Paris, sa fréquentation de Saint-Germain-des-Prés, puis la Bretagne, l'Italie… Cet homme a été très inspiré par les lieux. C'était très intéressant d'étudier cette rupture entre cette vie, mondaine dira t-on, autour des villes et cette espèce d'inspiration qui lui vient des paysages et de la connaissance des poètes.

Ferré, le passeur : "Il y a chez Ferré un goût du passage incroyable. Par exemple, Léo Ferré considérait que la personne qui chantait le mieux Avec le temps était Dalida. Ça paraît étonnant ! Mais que cet homme que l'on pourrait mettre en opposition avec le clinquant de Dalida puisse dire ça, c'est une manière de dire : "On peut s'approprier ce que je fais".