Gotan Project au Nice jazz festival

Le plus vieux festival de jazz de France a lieu cette année encore, du 22 au 29 juillet, jamais vraiment menacé par le conflit des intermittents. Dans ses arènes y résonnent autant de rythmes soul, reggae, latino, blues mêlés à un jazz plus que jamais électronique. Gotan Project, le trio qui mixe musique argentine et synthés était de la fête.

Tango dans la pinède.

Le plus vieux festival de jazz de France a lieu cette année encore, du 22 au 29 juillet, jamais vraiment menacé par le conflit des intermittents. Dans ses arènes y résonnent autant de rythmes soul, reggae, latino, blues mêlés à un jazz plus que jamais électronique. Gotan Project, le trio qui mixe musique argentine et synthés était de la fête.

En dépit des annulations en cascade des plus grands festivals de l'Hexagone, Nice se déroule dans de très bonnes conditions et ce, grâce notamment à la compréhension de sa directrice Viviane Sicnasi, dont les efforts pour dégoupiller à temps les tensions et offrir des espaces de discussions aux intermittents en difficulté l'ont fait réussir là où beaucoup de directeurs de festivals ont échoué. Les spectateurs ont alors d'autant plus apprécié de redécouvrir, entre autres, Gotan project dont le grand Carlos Gardel aurait sans doute aimé voir et entendre les expérimentations qui font que tangos et milongas centenaires s’entremêlent aux dubs électroniques d'aujourd'hui.

L'ombre de la légende argentine planait doucement dès les premiers accords, sur la scène des Jardins, où Gotan Project dut attendre la nuit tombée pour que les installations vidéo aient l'effet escompté derrière un immense écran transparent, en ombres chinoises. "Queremos paz" (Nous voulons la paix) ouvre le concert tel que dans l'album la Revancha del Tango, leur premier opus. La guitare de l'exilé argentin Eduardo Makaroff, le bandonéon de Nini Flores cohabitent divinement avec les machines de Philippe Cohen Solal et les synthés de Christophe H. Müller. Elégants dans leurs costumes cintrés, les membres de Gotan (tango, en verlan), présentent un show bien huilé où le visuel est au moins aussi important que le sonore. Le trio, basé à Paris, est né en 1999 sous s'impulsion du Français Philippe Cohen Solal, de l'Argentin Eduardo Makaroff, très vite rejoints par le Suisse Christophe H. Müller. Ils sortent leur premier maxi sorti en 2000 sur le propre label électro de Philippe Cohen Solal, Ya Basta. Depuis, le trio s'est agrandi. Et même s'il reste le noyau dur de Gotan Project, ils sont maintenant sept sur scène dont le compositeur Gustavo Beytelmann au piano, Edi Tomassi aux percussions, tous deux argentins, la violoniste Line Kruse (une danoise mariée à un argentin), ainsi que la chanteuse espagnole Cristina Vilallonga.

Dans la pinède, quelques couples entament une danse. Sur l'écran, gros plan sur des couples de jambes qui s'entrelacent dans une danse parfaitement maîtrisée avant que la toile blanche ne laisse place aux musiciens. Une prestation largement influencée par le septième art grâce à des images d'archives de l'Argentine mêlées à celles du trio. S'enchaînent une adaptation de Frank Zappa, une autre de Gato Barbieri pour le film Le dernier Tango à Paris ainsi que Vuelvo al Sur de Piazzolla, le thème du film Tangos, l'exil de Gardel du cinéaste argentin Fernando Solanas, des créations aussi bien sûr dans lesquelles transparaît, bien vivace, la terrible crise économique que traverse l'Argentine avec El capitalismo foraneo (Le capitalisme étranger) et la voix mixée de Che Guevara !

A Nice comme à l'étranger, le tango retrouve ainsi une nouvelle jeunesse, dépoussiéré des images des années sombres de l'Argentine. Gotan Project, qui arrive d'une tournée américaine, mesure à travers le monde l'impact de leurs expérimentations musicales et pas seulement sur les populations hispaniques. Même si à Miami comme à Los Angeles, la communauté argentine, très jeune et avide de nouvelles sensations, était chaque fois plus présente. Très vite été adopté par l'Italie et le Portugal (premier pays européen où l'album est devenu Disque d'or), Gotan Project n'est reconnu qu'un peu plus tard par la France. Mais c'est surtout Gil Peterson, l'un des principaux DJ's de la scène anglaise qui les découvre et les diffuse continuellement sur les ondes de Radio One UK.

Aujourd'hui, l'album est distribué dans le monde entier avec une petite exception pour le Brésil... et l'Argentine.

Trois questions à Gotan Project :

Gotan Project est-il un groupe expérimentateur et précurseur ?
Ce n'est pas à nous de dire si nous sommes précurseurs, mais expérimentateurs certainement. Après notre projet Boyz from Brasil, on a eu envie d'explorer des contrées plus vierges. Mais même si nous aimions Astor Piazzolla, nous étions assez ignorants concernant le tango et on ne savait pas ce que tout cela allait donner. On était surtout attirés par le côté percussif de la musique folklorique argentine et pas seulement par le tango. Grâce à ce que nous faisons, nous pensons avoir aussi ramené le tango à ses racines africaines.

Des univers très éloignés que ceux de la musique électronique et du tango ?
Très éloignés évidemment car si la musique électronique est récente, le tango est une musique qui a beaucoup vécu. Ce sont 130 années d'histoire de musique. C'est une musique savante à la façon des orchestres classiques car tout est très écrit. Bien sûr, le tango évoque aussi la danse de salon, avec des pas compliqués. Le bandonéon est également un instrument très difficile à jouer. Donc, il a fallu amener tout cela vers l'ordinateur. Et ce qui nous fascine, c'est que tant au Caire qu'à St Petersbourg, à Moscou ou en Israël, nous avons trouvé des gens fanatiques de cette danse, donc on peut dire que le tango est fédérateur. Finalement, ce qui fait la force de Gotan Project, c'est le tango.

L'aspect visuel compte pour beaucoup dans vos concerts ?
On a souvent été déçu par les prestations des DJ's. Donc nous avons instauré un processus de "strip-tease" où le groupe se dévoile peu à peu... Nous collaborons avec une vidéaste et nous présentons une histoire visuelle de l'Argentine, un peu à la manière d'une installation vidéo d'une galerie d'art contemporaine...

Pascale Hamon

La Revancha del tango (Barclay / Universal)
Gotan Project est en tournée internationale jusqu'en novembre : Italie, Angleterre, Portugal, Finlande, Russie, Brésil et Amérique du Nord tout le mois d'octobre.