Le succès de Bénabar

Bénabar avec Les Risques du Métier marche sur la voie du succès puisqu'il fait partie des meilleures ventes d'albums en France.  Dégraissée des réflexes plon-plon, sa musique fait la part belle aux arrangements soignés et guitares ondulantes. Plus dense, plus riche, plus exigeant dans son écriture, la force tranquille fait son retour. Entretien.

Sans risque

Bénabar avec Les Risques du Métier marche sur la voie du succès puisqu'il fait partie des meilleures ventes d'albums en France.  Dégraissée des réflexes plon-plon, sa musique fait la part belle aux arrangements soignés et guitares ondulantes. Plus dense, plus riche, plus exigeant dans son écriture, la force tranquille fait son retour. Entretien.

Vous avez de nouveau enregistré avec Alain Clouzeau et travaillé avec votre groupe de scène. Y a t'il une écurie Bénabar ?
C’est effectivement la même équipe. Après avoir fait beaucoup de concerts l’année dernière, nous avons fait le choix de profiter de la redescente de cette tournée et ainsi rester sur la même dynamique. C’est une des raisons pour lesquelles l’album s’est fait très vite. Entre la fin des dates et le début de mise en place des morceaux, seuls deux mois de battement se sont écoulés. J’ai travaillé ensuite avec l’arrangeur puis nous avons attaqué l’enregistrement.

Avec cette équipe, la composition des morceaux, de la musique, est-elle un travail commun ?
J’ai tout composé sur cet album. C’était déjà le cas sur le précédent, excepté le morceau composé par Denis, l’accordéoniste. Mais je m’occupe essentiellement de la musique, des accords et parfois des thèmes. Ensuite l’arrangeur reprend l’ensemble, par exemple toutes les orchestrations, et retravaille de son côté avec la complicité des autres musiciens. Faire sonner l’ensemble est un authentique travail d’équipe.

Après le succès de Bénabar, quels risques avez-vous voulu éviter sur celui-ci ?
Le risque de l’album super-produit, super cher, prendre Manu Katché à la batterie, réclamer des photos de Mondino quand elles sont faites par mon pote, enregistrer les cordes à Londres quand un petit studio familial en Belgique nous suffit... Bref, se poser de problèmes qui n’en sont pas.

Les Risques du Métier  reste très proche de l’univers de votre album précédent. Peut-on y voir une respiration, une transition après le succès de Bénabar ?
C’est vrai, il est essentiellement question d’ajouts minimes, les cordes par exemple. Mais c’est une continuité que nous assumons complètement. Tout en ayant conservé notre marge d’évolution. Les rythmiques ont été beaucoup travaillées, l’ensemble quitte le côté alternatif chanson française, la pompe… Toute l’ambiance lourde et pesante du premier nécessitait plus de finesse et d’ouverture.

L’album est moins mélancolique aussi...
Ça dépend, d’autres me disent le contraire. J’étais surtout très inquiet avant de le faire. A la lecture des chansons j’avais vraiment peur qu’il soit triste, voir sinistre. Mais il l’est finalement moins que je ne le pensais, j’en suis assez content.

On dirait que votre volonté est d'avancer à votre rythme...
J’évolue, mais je ne me reconnais pas vraiment dans l’esprit "il faut absolument tout changer". Faire de l’original coûte que coûte ne m’intéresse pas. Le vrai souci que j’avais sur cet album était de ne pas refaire le même. Ce n’est pourtant que le troisième (le deuxième sous le nom Bénabar, ndlr), mais tu peux vite te répéter, rentrer dans une systématique, se poser des questions tordues... Je pense avoir contourné l’écueil.

Comment ?
En me remettant en question, sans être trop indulgent vis-à-vis de moi, faire les chansons comme je le sentais, les assumer, tout en gardant certaines distances avec les gens qui donnent leur avis dessus… J’ai ainsi souvent changé les paroles, viré des couplets entiers. Conserver cette exigence est un souci permanent. D’où l’importance de travailler avec la même équipe, des gens qui te connaissent, capables de te dire " désolé, ta chanson, elle est vraiment toute pourrie. "

Si votre musique s’est étoffée, les arrangements restent très discrets. C’est un réel souci de conserver spontanéité et authenticité ?
Oui, c’est un vrai choix de conserver un son assez brut, même s'il n’est pas enregistré live. Peu d’effets mais beaucoup d’acoustique, les sonorités des instruments sont respectées, afin d’éviter tout écrasement. Pour les cordes par exemple, on a pris un trio et pas les descentes de cordes.

C’est un choix politique ou s’est-il imposé comme une continuité au succès de votre tournée ?
Oui, c’était plus ça. A trop vouloir produire l’album, c’est finalement le réalisateur qui en fait le son. Pourtant si tu choisis tel musicien, c’est pour sa patte, sa sensibilité, que tu n’as pas envie de voir disparaître. L’objectif était peut-être un peu vaniteux, parce qu’avoir une identité sonore, ça ressemble au Graal de la musique. Je pense que si l’on n’y est pas complètement parvenu, l’album est quand même loin du son écrasé et du formatage radio.

Beaucoup de vos personnages sont féminins. Bénabar : chanteur à femmes ?
J’ai eu un moment cette sale impression : "putain, je suis en train de faire un album de chanteur de charme alternatif". Mais j’assume. Et puis le choix s’est fait sur la qualité des chansons. Certaines ne parlaient pas de filles, mais n’étaient pas assez bonnes pour les garder.

Vous vous êtes récemment engagé contre le conflit en Irak auprès du collectif "Ensemble Contre la Guerre", pourquoi la politique reste-t-elle un domaine que vous n’abordez pas dans les chansons ?
Attention, j’ai seulement signé la lettre, pour laquelle je me suis d’ailleurs un peu fait forcer la main par Mali de Tryo…Bien sûr, j’étais contre la guerre, mais la manière dont ça se faisait ne me convenait pas. Dénoncer George Bush comme un fumier sans dire que Saddam en est un énorme, je trouve ça bizarre. Ce côté "engagé" de la chanson, c’est un problème que je n’ai pas encore résolu. Je suis pourtant personnellement très politisé, mais il est facile pour un chanteur de basculer dans la démagogie. Aller jouer au Zénith pour dire : "Vous voyez, moi je n’aime pas la guerre"... c’est plutôt limité.

La presse parle beaucoup de cette scène française émergente ; vous reconnaissez-vous aux côtés d’artistes comme Alexis HK, Vincent Delerm, Thomas Fersen...?
J’aime bien ce qu’ils font, même si je connais très peu Alexis HK... mais je ne m’en sens pas vraiment proche. J’ai plus de points communs avec des gens comme Sanseverino, notamment dans le parcours, le côté "petits bars". Ce sont des gens que je respecte. En même temps, je ne reconnais pas ce côté "nouvelle chanson française" rabâchée par les journalistes. Indirectement j’en profite, donc ça me va.

Quels sont les risques du métier ?
Nombreux. Faire un mauvais album, un disque qui ne marche pas, qui marche pour les mauvaises raisons, se trahir soi-même, me casser la santé en tournée à faire la fête… Que ça devienne un métier aussi, alors que le but du jeu reste de faire des chansons et toucher les gens. Puis d’un seul coup, cela devient quelque chose de très installé. Ça ne m’inquiète pas en soi, mais il y a un risque. Celui par exemple d’aller chez le coiffeur avant de monter sur scène plutôt que de répéter ton morceau. Les risques du métier, c’est la somme de toutes ces choses qui gravitent autour de la musique.

Bénabar Les risques du métier (Zomba) 2003
Tournée à partir du 20 septembre.