Pano'rap'ma estival
Un an après l’extraordinaire espoir porté par l’événement Urban Peace, le rap français s’enflamme pour la sédition et paraît fustiger de ses rimes assassines cette nation et ses institutions jugées pleinement responsables de tous les maux. Du collectif Mafia K’1 Fry aux insurgés de La Rumeur en passant par le 113, les mots frappent de taille et d’estoc responsables de tous poils, économiques comme politiques… En attendant IAM, sauveur providentiel du rap !
IAM, la Mafia K'1 Fry, le 113, la Rumeur et les autres
Un an après l’extraordinaire espoir porté par l’événement Urban Peace, le rap français s’enflamme pour la sédition et paraît fustiger de ses rimes assassines cette nation et ses institutions jugées pleinement responsables de tous les maux. Du collectif Mafia K’1 Fry aux insurgés de La Rumeur en passant par le 113, les mots frappent de taille et d’estoc responsables de tous poils, économiques comme politiques… En attendant IAM, sauveur providentiel du rap !
Si ces nouveaux acteurs de la scène hip hop font l’unanimité dans leurs quartiers, le flot de leurs mots a bien du mal à se fondre dans les courants majeurs qui drainent la culture populaire. Contrairement à leurs aînés qui avaient su se laisser porter jusqu’au succès massif, ces formations se sont très largement radicalisés dans leurs discours, cultivant à outrance l’esprit ghetto pour mieux asseoir leur crédibilité dans la surenchère. Un peu comme ce Bourgeois Gentilhomme qui faisait de la prose à son insu, les rappeurs revendiquent une forme d’alter-mondialisme sans le savoir!
Le rap radical porte aujourd’hui les revendications de cette jeunesse qui ne se reconnaît plus dans le sillon de La Marseillaise et qui le chante, parfois sur un mode ultra-violent, se justifiant de composer des œuvres de fiction comme le cinéma se doit de transcender la réalité. Info ou intox? Provoc ou cri du cœur? Voilà dix ans, le film de Mathieu Kassovitz, La haine prédisait une terrible explosion des cités. "Un lascar de buté, deux poulets sacrifiés" proclamaient Stomy, Passi et Gyneco début 95. Quelques années plus tard, les ex-ministres et toujours membres de leur Secte(ur) Ä(bdulaï) ont réussi au delà de toute attente leur glasnost rap, remballant le discours radical, politiquement incorrect pour lui substituer l’humour, la drague comme la légèreté du premier degré ramassant ainsi le jackpot des ventes.
Seuls les grands frères NTM et IAM s’en sortent intacts, préservant leur intégrité au prix d'une pugnacité futée. Après 5 ans d’absence, IAM affirme aujourd’hui qu’il existe en 2003. Le nouvel album Revoir un printemps sera publié le 16 Septembre.
Pendant ce temps-là, sur le terrain, un rap plus radical paraît. L’an passé, l’underground propulsait les teigneux surdoués de Lunatic. Cette fois, c’est la Rumeur qui allume la mèche de la sédition. Dés le premier titre le ton est donné, les rappeurs du 78 lancent "ne me demande pas de choisir entre la poudre et le plomb/Je suis ce feu qui déclare dans un champs de coton". En deux mots: Paris/Atlanta, même combat et autant en emporte le vent… Si le groupe existe depuis 7 ans, il a toujours farouchement arpenté les sentiers de l’underground; mais ils ont pourtant signé sur une multinationale, preuve que la révolution n’est pas à l’abri des paradoxes. Refusant généralement de communiquer avec les médias y compris spécialisés, ils se sont confiés au mag Radikal. "On est conscient que la télé est un terrain miné et que ça peut détruire en 5 minutes ce que l’on s’est efforcé de construire en dix ans (…) Nous, les rappeurs qui vont à la télé, on les invite à ne pas y aller. A se forger une conscience politique, à savoir que les personnes en face sont foncièrement hostiles à leur musique et ont pour volonté d’enfoncer leur culture dans une caricature. Nous, on considère que la télé c’est un terrain ennemi. On a une approche politique. On ne va pas dans le maquis avec une brosse à dent". Incontestablement la Rumeur a le sens de la formule.
Ainsi parmi leurs nombreuses invectives que compte leur quatre titres d’inédits on trouve Nous sommes les premiers sur…: "combien de mecs se défroquent pour passer sur Skyrock". le ton est donné et la Rumeur frappe du poing jusqu’au K.O. total. Et tout le monde en prend pour son grade, du journaliste "vendu" de la presse spé "bercée d’utopies" aux rappeurs, DJs producteurs zélés "regardant le ciel s’assombrir au dessus de leurs têtes de traîtres". Quand à l’album, il est de cette même veine de fiel. La Rumeur attise le ressentiment.
Basés dans le 94, sur l’axe Orly-Choisy-Vitry, le collectif de la Mafia K-1 Fry ne fait pas non plus dans la tendresse. Unis autour d’une Afrique utopique ce collectif de stars du rap exhibe ses racines: le 113 (Rim K a des origines algériennes, AP guadeloupéennes et Mokobé maliennes), Rohff (comorienne), Manu Key (guadeloupéenne) et quelques autres Congolais, Ivoiriens, Guinéens d’origine sous l’ombre tutélaire du grand frère Kery James (Haïtien d’origine), pour faire passer sa vision d’une culture urbaine vivante mais aussi pugnace, un rap brut, parfois hardcore mais qui ne frappe jamais en dessous de la ceinture. Sorti au printemps dernier, leur album au titre calembour mi-amer La cerise sur le ghettodraine toujours autant d’énergie pure et ténébreuse.
Mais la Mafia n’a t’elle pas un sens des responsabilités dans ses textes: "Nous on estime qu’en aucun cas avec nos morceaux on va envoyer des jeunes au casse pipe. On est trop conscient qu’ils peuvent s’imprégner de nos paroles". Et preuve d’un certain pragmatisme:"Comme d’autres Africains dans le rap français on aurait pu rapper en boubou avec un air sérieux. Mais on a toujours été nous mêmes: des Africains en France qui pensent beaucoup au bled. On aurait pu aussi se limiter à parler des problèmes en Afrique, mais ce n’est pas notre choix". Avec son style hyper réaliste et un rap à l’efficace simplicité, avec son argot perso aux formules qui claquent comme des buble gums, Mafia K-1 Fry incarne cette "génération sacrifiée" qui se heurte inlassablement aux infranchissables murs des cités. Heureusement, la lumière brille toujours au fond du tunnel: "On essaie toujours de donner une note d’espoir".
Electrons libres, consacrés par une Victoire de la musique, les trois héros du 113 publient de leur côté une nouvelle version de leur second album 113 fout la merde musclé par sept titres inédits dont un duo à l’efficace fusion rap raï avec le vétéran Cheb Mami. Et si la maréchaussée n’est pas absente des préoccupations du 113, c’est plus pour jouer aux gendarmes et aux voleurs dans la tradition d’Audiard, sans animosité gratuite. Comme sur ce titre Trafic qui file comme un triller métissé par le ragga fumant de l’ex-Raggasonic, Daddy Mory. "Le dernier message qu’on a donner avec ce disqueexplique le 113,c’est qu’on sent qu’on est dans l’urgence et qu’il se passe des choses pas bien autour de nous au niveau des banlieusards et des jeunes". Ne chantent-ils pas avec l’ex-Lunatic, Booba, qui fait ici une rare et remarquable apparition que "la banlieue c’est dangereux!".
Ce n’est pas Sniper qui contestera cette mise en garde. Leur second CD carbure aussi à cette urgence urbaine percutant la cible des hits parades. 200.000 exemplaires deGravé dans la roche vendus à ce jour. Sans jamais jouer les moralisateurs, le quatuor de la banlieue nord multiplie les alarmes et avec une pointe ragga démontre pour les gamins qui suivent que "y’a pas de mérite à avoir fait du placard".
Enfin, ce pano"rap"ma ne saurait être complet sans Rocca, le Colombien parisien aux rimes plus affûtées que l’acier du poignard. Sans jamais se laisser distancer, il sait toujours rester mesuré: "C’est clair que le rap évolue dans un milieu dur et qu’il y a parfois des répercussions directes dans ta vie, contrairement à la chanson traditionnelle ou au cinéma. Il faut faire attention à tout ce qu’on dit".
Quand à la tendresse, elle occupe à elle seule une autre branche de cette négritude nouvelle vague avec le RNB. Pour preuve la popularité actuelle de la belle Diam’s et le retour attendu pour septembre du lover grooveur Matt, mais c’est une autre histoire….
La Rumeur L’ombre sur la mesure + 4 titres inédits (Capitol) 2003
Mafia K-1 Fry La cerise sur le ghetto (Small / Sony) 2003
113 Dans l’urgence (Small / Sony) 2003
IAM Revoir un printemps (Hostile) A paraître