Chroniques Rap
L'actualité hip hop française fournit toujours de bonnes surprises. Pour preuve les albums de Rocca, ex de la Cliqua, du groupe Sniper et enfin du vétéran MC Jean Gab'1.
Rocca, Sniper et MC Jean Gab'1
L'actualité hip hop française fournit toujours de bonnes surprises. Pour preuve les albums de Rocca, ex de la Cliqua, du groupe Sniper et enfin du vétéran MC Jean Gab'1.
ROCCA / Amour Suprême (Barclay)
Comment vieillir dans un style musical marqué du sceau de la jeunesse, plus encore que ne le fut le rock? C’est le problème de Rocca, dont la frimousse, éternellement adolescente, masque pourtant une carrière à long terme, puisque ceci est son troisième album solo.
Avant, il y eut La Cliqua, son groupe, qui symbolisa la nouvelle école du rap parisien, après la génération des NTM, Solaar etc. Pour resituer son parcours, il livre en ouverture de cet album une version 2003 de Comme une sarbacane, l’hymne de La Cliqua.
Ensuite, il se raconte, et tente d’expliquer comment, après 10 ans au front, il éprouve toujours autant de passion pour cette musique, d’où l’emprunt au titre fameux de John Coltrane, Love Supreme. Les featurings sont rares et choisis : Big Red, le complice habituel, sur Laisse couler et Lino d’Arsenik, sur Jour de paie, où les deux MC’s montrent que leur génération commune reste inaltérable. Elevacion, son album précédent, sans doute trop ambitieux, n’a pas trouvé son public. Rocca en a pourtant gardé le souci de sons chantournés, d’architectures sonores riches, mais en recentrant la couleur sur le hip hop éternel, celui qui tape au foie tandis que les rimes prennent en otage l’auditeur.
Le Franco-Colombien n’oublie pas d’utiliser régulièrement la langue de Bogota, avec la présence de son groupe parallèle Tres Coronas, qu’il a monté avec des Colombiens de New York. Entre le formatage radio avec refrains R'n'B et le pur hardcore, Rocca a choisi sa voie: la fidélité indéfectible à ce hip hop éthique qui a changé sa vie.
SNIPER / Gravé dans la roche (Eastwest)
Sniper aurait dû rester un petit groupe de rap sympathique de plus, issu de la banlieue nord parisienne, sans image particulière, sans appartenance à l’un des "clans" qui contrôlent le rap français… Mais voilà, la radio Skyrock, qui fait la pluie et surtout le beau temps pour les rappeurs français qu’elle adoube, en a décidé autrement.
Un premier album, Du rire aux larmes, production indépendante, mise en licence dans une major, a trouvé plus de deux cent cinquante mille acheteurs! Sniper est alors devenu le miroir parisien de la Fonky Family, les hérauts de ce "rap de rue" qui est aujourd’hui la norme. Après ce coup d’essai et d’éclat, ils reviennent avec un Gravé dans la roche de la même eau et maintiennent leur emprise sur les ondes dédiées au genre. Sniper serait même resté ce groupe qui ne fait jamais parler de lui si, lors de l’été 2003, leur tournée n’avait été menacée par quelques groupuscules néo-fascistes qui en firent des ennemis désignés, pour leur défense teigneuse des enfants de l’immigration (un concert annulé en Alsace, comme au temps de Gainsbourg!).
Brut, urbain, désespéré parfois, avec quelques mélodies ragga pour accrocher l’auditeur, Sniper commente le quotidien de la jeunesse sans repères, et se fait, sans prétention aucune, le porte-parole de ceux à qui on la refuse. Leur discours est essentiellement dirigé vers la génération des 15-20 ans, qui dans Panam All Starz trouveront un hymne communautaire, puisque Sniper y a invité des représentants de chacun des départements de la grande couronne parisienne (Diam’s, 113, Zoxea etc.).
MC JEAN GAB’1 / Ma Vie (Dooeen Damage / Hostile)
Démarrer une carrière dans le rap à 36 ans suffirait à extirper MC Jean Gab’1 de la masse! Mais il a d’autres arguments, à commencer par un "destin" qui l’a conduit des foyers de la DASS (après que son père, à la suite d’un divorce houleux, a tué sa mère) à cinq ans de prison en Allemagne pour braquages, avec un passage par la légendaire bande des Requins Vicieux, qui dans les années 80 installèrent à Paris la "philosophie" dangereuses des gangs américains.
MC Jean Gab’1 avait donc des choses à dire, et pas seulement dans le créneau "heurts et malheurs de la rue", puisque après son single à scandale (J’t’emmerde, où il taille un costard XXL aux stars du rap hexagonal), le rappeur dévoile une facette plus profonde de sa personnalité, avec des chansons intimes et poignantes sur la mort (A nos chers disparus), les femmes de sa vie (Lettre à mes fleurs), sur son amour immodéré pour Paris, sans oublier des vues personnelles sur l’inanité de la religion (33 comme l’autre) ou des commentaires sociaux vengeurs.
À part ça, MC Jean Gab’1 rappe comme une soupière! Il le reconnaît d’ailleurs: dans une ère où le moindre adolescent prend le micro armé d’une technique sans faille, infusée dans l’imitation des modèles américains, lui se contente de raconter ses histoires. Mais sa langue fleurie, comme sortie d’un film de gangster en noir et blanc, avec celui dont il a emprunté le pseudonyme, son argot suranné mêlé à des expressions d’aujourd’hui, et sa foi dans ce qu’il fait emporte tous les sceptiques. On a affaire ici à un vrai personnage, qui dissout les clichés inhérents au genre, dès qu’il ouvre la bouche. La vie de cet artiste est à part, "Ma vie" est tout aussi à part dans l’histoire du rap français.