Alain Chamfort

Le Dorian Gray de la pop à la française est enfin de retour. Son précédent album Personne n’est parfait était sorti le jour de la naissance de sa fille Tess. Six ans plus tard, miss Chamfort junior souffle ses bougies pour le 11ème opus de son papa : Le Plaisir.

Plaisir partagé

Le Dorian Gray de la pop à la française est enfin de retour. Son précédent album Personne n’est parfait était sorti le jour de la naissance de sa fille Tess. Six ans plus tard, miss Chamfort junior souffle ses bougies pour le 11ème opus de son papa : Le Plaisir.

RFI Musique : Onze albums en trente ans : Le plaisir, c’est aussi prendre son temps ?
Alain Chamfort :
Oui bien sûr, je le recommande à tous d’ailleurs. Le plaisir, c’est de connaître son rythme. Moi j’ai besoin de maturité, de mûrir les choses, à tous les niveaux d’ailleurs. Claude François disait que quand on fait de la scène, il faut avoir deux moments forts, la première et la dernière chanson! Je ne suis pas quelqu’un qui sait saisir l’instant et le tirer à son avantage. J’ai besoin de pouvoir trouver mes marques et d’ installer mon tempo intérieur.

C’est le côté zen de cet album ?
(Rires) Je ne sais pas s’il est zen, mais il est juste en tout cas. Juste avec ce que je suis et ce que j’ai envie de défendre dans la chanson. De la manière dont j’ai envie de le faire. Mais je crois que chaque album m’a donné l’impression d’avoir cette même liberté, cette même exigence - c’est un grand mot - disons ce même besoin de me trouver à ma place dedans, de le faire avec intégrité. Peut-être que celui-ci arrive à un autre moment,à un moment meilleur où il y a plus de disponibilité dans la tête des gens pour l’écouter, trouver une petite attention à mon égard.

Justement vous n’êtes pas toujours très tendre avec vous-même. On ce souvient de Ce vieil Alain sur l’album précédent. Et sur celui-ci l’ex embarque tous les disques branchés ne laissant que les Chamfort !
Je pense que c’est mieux de rire de soi que d’essayer de faire de l’humour sur le dos des autres, c’est la première chose. Je trouve aussi que cela fait du bien d’avoir un peu d’autodérision, c’est salutaire, cela relativise un peu les évènements qui arrivent ou qui n’arrivent pas d’ailleurs. Car moi je fais les choses avec beaucoup d’envie, avec beaucoup de coeur et beaucoup d’investissement émotionnel. Mais je garde toujours très présent que cela ne reste que de la chanson, même si je ne considère pas la chanson comme un art mineur, comme disait Gainsbourg… Elle a son importance, doit être considérée avec respect, mais malgré tout je sais que j’ai mes propres limites, que ma voix reste fragile, que j’ai ce tempérament-là, donc je ne peux pas me prendre au sérieux, sinon c’est la fin de tout. Et je conseillerais d’ailleurs à beaucoup de mes collègues de faire un peu la même chose.

L’album ne pouvait commencer autrement qu’avec Le grand retour ?
C’était aussi une espèce d’entrée en force, avec une part de risque: se dire «et si jamais ce retour n’a pas lieu?». On se donne aussi les bâtons pour se faire battre. Mais d’un autre côté, une fois de plus, les gens sentent qu’on s’amuse avec cela.

Lorsque vous dites «on», il s’agit de Jacques Duvall votre parolier. L’osmose est telle que l’on a parfois la sensation que vous communiquez par télépathie.
Presque, je ne sais pas; on ne peut pas essayer de l’expliquer, je pense que c’est une rencontre incroyable qui s’est passée entre nous.

Il y a près de 25 ans, n’est-ce pas ?
Il m’a été présenté par Lio à l’époque. Il avait écrit pour elle Banana Split et Amoureux solitaire ses premiers succès. Il m’a approché avec un peu de méfiance au début, me regardant un peu du coin de l’œil. Et puis finalement le temps a travaillé pour nous. Il a appris à me connaître, moi aussi.

Deux Alain s’affrontent dans l’album, le nostalgique/mélancolique et le ludique/sarcastique voire carrément drôle comme avec Les spécialistes, délicat et tendre, très années 60, Motown.
Toutes les influences musicales que j’ai reçues transparaissent dans mon travail. J’aime bien procéder de cette manière-là pour faire revivre des choses que j’ai aimées au hasard de mes âges et de mes coup de coeur. Ce disque est aussi un peu, comme cela, un survol musical de tout ce que j’ai aimé

Comme Sinatra ?
Il m’a toujours impressionné par sa maîtrise, incarnant à mes yeux l’idéal du crooner. C’était vraiment cette projection idéalisée du chanteur glamour, sulfureux, bad boy, avec une facilité vocale de swing, de jouer avec la musique, d’être si à l’aise et en même temps de transmettre des sentiments.

Les amies d’Emilie, en dehors du jeu des allitérations, rappelle un peu Sapho et Sophie.
Il avait aussi Lucette et Lucie avec Gainsbourg. On tourne toujours un peu autour des mêmes choses. C’est un parti pris d’évoquer la chanson un peu sexy ou les relations amoureuses, les peines de coeur, on est toujours dans cette évolution-là. Et la volonté surtout de ne jamais chercher à évoquer la chanson sociale, c’est un parti pris aussi.

L’album en effets ne milite pas du côté social ?
Pourtant c’est une tendance actuelle. Des gens comme Vincent Delerm où Benabar sont un peu dans cette observation sociologique. Nous on reste dans l’évocation amoureuse essentiellement.

Le dernier mot, c’est Fuyons !
Ce que j’aime bien, c’est «Seuls les poltrons sont bien portants». On revendique une certaine lâcheté que peu de gens osent avouer. Je trouve que c’est plus sain une fois de plus d’essayer être honnête avec ces aspects qui ne sont pas forcément les plus reluisants. Le rôle aujourd’hui d’un chanteur qui essaie de passer pour un rédempteur ou quelqu’un de concerné par toutes les causes du monde, me semble assez suspect. Être plus à l’écoute de ses petits travers et les avouer me permet plus de complicité, d’être en communion avec les gens qui essaient de ne pas se mentir.

Ce Plaisir un peu égoïste devient ainsi le nôtre ?
C’est toujours un peu ainsi que j’ai envisagé de faire les choses, de les faire d’abord par rapport à moi. Je ne me suis jamais trop soucié du public à qui je m’adressais, cela me paraît être trop compliqué; et aussi une démarche un peu mercantile, car je ne considère pas le public comme des clients ni comme des consommateurs, mais comme des gens qui sont proches de moi, à la limite. Alors je pense avant tout à ressentir un plaisir personnel en me disant il n’y a pas de raison que ce plaisir-là ne se partage pas.

Le Plaisir (Delabel/EMI)