Comédiens au micro
Cette année, plusieurs comédiens débarquent dans la chansonfrançaise : Gérard Darmon, Jeanne Balibar, Elie Semoun sortent des albums, après Julie Delpy au printemps. Revue de détail.
Parenthèse ou révélation?
Cette année, plusieurs comédiens débarquent dans la chansonfrançaise : Gérard Darmon, Jeanne Balibar, Elie Semoun sortent des albums, après Julie Delpy au printemps. Revue de détail.
Cela fait belle lurette que les comédiens fréquentent la chanson, à la fois par consanguinité des arts et par goût de l’aventure. Parfois, c’est une aventure absurde, comme les tentatives de Mathilda May, il y a quelques années. Mais, parfois, des noces miraculeuses entrent dans l’éternelle légende de la chanson française, comme Le Tourbillon et quelques autres chansons de Bassiak-Rezvani chantées par Jeanne Moreau au début des années 60. D’autres resteront comme un instant sublime connu d’une conspiration d’amoureux, comme Laure Marsac reprenant La Ballade en novembre d’Anne Vanderlove à la fin des années 90 (en duo avec Hervé Zerrouk, sur la compilation Comme un seul homme). Parfois aussi, ce sont des rencontres qui, ouvertement, s’annoncent exceptionnelles, comme Isabelle Huppert enregistrant Madame Deshoulières (quelques années, d’ailleurs, après que Jeanne Moreau se fut refusée aux sublimes chansons de Dolorès).
Ces derniers temps, quelque chose semble attirer les comédiens vers la chanson : Emmanuelle Béart et Sandrine Kiberlain en guest stars sur l’album Entre deux de Patrick Bruel, Clotilde Courau chantant Les Amants d’un jour sur l’hommage à Edith Piaf à paraître dans quelques jours chez Capitol… Au printemps dernier, l’actrice Julie Delpy avec sorti un album qu’elle disait porter en elle depuis longtemps. Peut-être conséquence directe de son installation aux Etats-Unis depuis des années, elle a choisi d’enregistrer en anglais, ce qui finit par banaliser son disque dans le flot des productions pop-rock anglo-saxonnes. Mais c’était l’équation de départ, sans doute : la plus américaine des actrices françaises dans un disque américain.
Gérard Darmon : le séducteur cabossé. De même, Gérard Darmon joue la cohérence évidente entre son image de séducteur las et l’évocation chantée de toutes les manières de cabosser un destin de mec. Entre amour sobrement malheureux, adultère serein et autoportrait en quinquagénaire mal rasé, il pose une voix élégamment voilée sur des compositions qui lorgnent tantôt vers des plaisirs électriques façon Dire Straits, tantôt vers une sage soul européenne. La confiance de Columbia-Sony, son label, est telle que deux soirées à l’Olympia ont déjà été retenues pour son passage à la scène, les 12 et 13 février 2004. Mais il est vrai qu’une lourde machine promotionnelle s’est mise en marche, aucune antenne n’échappant à l’interview de Darmon, personnage pittoresque et "gueule" aimée des cinéphiles français.
Jeanne Balibar : l’aventure chic. Même souci de cohérence, mais dans une tout autre aire culturelle, pour l’élégante Jeanne Balibar. Avec son album Paramour, elle prolonge un carnet d’adresses à l’incontestable classe (Raoul Ruiz, Olivier Assayas, Jeanne Labrune, Bruno Podalydès, Arnaud Desplechin, Michael Winterbottom, Mathieu Amalric au cinéma, Olivier Py, Julie Brochen, Antonio Tabucchi au théâtre), avec un album chez Dernière Bande, le label de Rodolphe Burger et Kat Onoma. Comment ne pas céder au plaisir du name dropping avec des textes offerts par Pierre Alferi, une reprise du légendaire Johnny Guitar de Peggy Lee, un duo avec Maggie Cheung, un sample de Jean-Luc Godard, un mixage réalisé par Ian Caple, la patte de Rodolphe Burger sur tout l’album : Paramour est assurément un objet idéalement chic.
Mais outre la large et paradoxale palette sonore de Burger et Caple (comment faire vaste avec très peu, comment faire foisonner à l’envi de très sobres objets musicaux), la richesse de cet album tient vraiment à Jeanne Balibar elle-même, à sa voix mâte, un peu dolente, sereinement gourmande, calmement méditative. Très loin de toute tentation d’excès, il y a chez elle une manière très sobre de faire luire de nouvelles richesses dans le sobre idiome du blues-rock.
Elie Semoun : le contre-emploi. La palme de la démarche surprenante et courageuse revient à Elie Semoun. Le comique chéri des télévisions a choisi le strict contre-emploi pour son album Chansons : uniquement des bossa nova mélancoliques, comme un Brésil éternellement doux et malheureux en amour. Mélodies classiquement tropicales (David Koven, Emmanuel Donzella, Salvadore Poe), invitées convenablement choisies (Liza Ekdahl et Axelle Red pour deux duos) : il n’y a guère de risque musical majeur, et d’autant moins que les textes sont très astucieusement sentimentaux. Avec son timbre mince, appliqué et finalement agréable, Elie Semoun parvient à faire passer des émotions assez subtiles et crédibles. Au printemps dernier, lorsqu’il chantait quelques titres en première partie des concerts de Laurent Voulzy à l’Olympia, on devinait déjà quel sera son problème quand il portera Chansons à la scène : sans grimaces, sans voix aiguë, sans effets franchement drôles, il désarçonnait un public qui, manifestement, s’attendait à rire. Et lorsqu’il toussait pour s’éclaircir la gorge entre deux chansons, il déclenchait une vague de rire forcé qui tranchait franchement avec l’atmosphère de ses chansons. Bénéficiant comme Gérard Darmon d’une imposante promotion, Elie Semoun pourra peut-être dissiper les quiproquos. Mais aucune date de concert n’est encore annoncée officiellement.
Julie Delpy, Julie Delpy, 1 CD Pias.
Gérard Darmon, Au milieu de la nuit, 1 CD Columbia-Sony.
Jeanne Balibar, Paramour, 1 CD Dernière Bande, distribué par Wagram (à paraître le 13 octobre).
Elie Semoun, Chansons, 1 CD BMG.