DEZORIENTAL, LES ENFANTS DU DÉSORDRE

Le premier album de ces Stéphanois avaient déboussolé les amateurs de chaâbi, de raï, de trip hop, de oud ou d'accordéon en bricolant un carrefour musical éclectique. Terra Incognita, le deuxième opus de ces protégés de Lavilliers, s'oriente vers un territoire plus tricolore mais toujours contestataire, avec aventure et dépaysement.

Terra Incognita.

Le premier album de ces Stéphanois avaient déboussolé les amateurs de chaâbi, de raï, de trip hop, de oud ou d'accordéon en bricolant un carrefour musical éclectique. Terra Incognita, le deuxième opus de ces protégés de Lavilliers, s'oriente vers un territoire plus tricolore mais toujours contestataire, avec aventure et dépaysement.

Quand certains chantent contre la globalisation, pour des causes humanitaires ou avec les intermittents du spectacle, les Dezoriental se frottent tout contre un autre continent de revendications, une terre inconnue : la femme. Nouvelle source d'inspiration pour cette formation masculine née en 1999, les femmes sont louées dans chaque chanson de cet album. De la femme Noire (Négresse) à celle de Kaboul en passant par Vesoul, celles "qui ne meurent pas" ou Aung San Suu Kyi, l'opposante Birmane, toutes ont droit de cité.

Peut-être pour séduire l'oreille des Belles, cet album semble un peu plus sage et plus acoustique que celui sorti en 2001. "Je suis d'un quartier jungle où les jeunes loups jouent les toréadors avec des voitures qui passent" y chantait Abdel Waheb Sefsaf en guise de présentation. Même si leur musique flirte avec le 30e parallèle, puisqu'elle suit le trajet de ce méridien et passe "par le Moyen-Orient, l'Inde, le Pakistan et même la Chine", les compères se sont bien rencontrés en Europe, à Saint-Etienne. Dezoriental est né à l'occasion d'un concert en plein air dans la ville et s'est structuré autour de trois personnages : Aloua Idir, guitariste et joueur de oud, Jean-Luc Frappa accordéoniste et Abdel Waheb Sefsaf, voix et joueur de derbouka. Puis, au gré des rencontres, sont venus s'accorder un tubiste, un percussionniste, un batteur et quelques invités plus ou moins permanents dont Bernard Lavilliers, également originaire de Saint-Etienne, qui leur a donné un premier coup de pouce en leur faisant arranger un duo entre lui et Faudel.

Puis, George Baux, a pris les Dezoriental sous son aile et les a amenés à Toulouse pour enregistrer et se frotter au terreau musical local (Femmouze T, Fabulous Troubadour, Zebda et KDD) qui viendront jeter une oreille ou une note. Difficilement classable, le groupe flirte entre chanson française à texte, avec des accents Bashungien ou des ambiances voyages nostalgiques cousines de celles de Lavilliers, chaâbi pour son humour contestataire et son arabité, envolées tsiganes, et même reggae pour ses rythmiques chaloupées. Dezoriental est pourtant signé par Dreyfus Jazz, un label réputé pour son catalogue jazz (Petrucciani, Lockwood). Rencontre avec Abdel Waheb Sefsaf, voix et auteur des jeux de mots et textes de ce groupe déroutant.

RFI Musique : Vous avez rencontré Aloua Idir et Jean-Luc Frappa grâce au théâtre. Quelle part de théâtralité subsiste dans le groupe ?
Abdel Waheb Sefsaf :
Nous faisions partie de la Compagnie Anonyme. Donc notre entente musicale est née autour de pièces. Aujourd'hui, nos performances scéniques doivent forcément garder un petit souvenir de cette époque. Nos concerts restent engagés et différents des albums. Je n'avais eu qu'une expérience d'acteur donc au départ, j'ai beaucoup complexé sur mon jeu, je ne voulais pas être un comédien qui chante. Cela demande un travail sur soi. J'ai dû peu à peu me défaire du trop grand respect que je pouvais avoir du texte, en tant que comédien et non interprète.

Est-ce que ce travail vous a permis de chanter différemment et plus en français sur ce nouvel album ?
Oui. Je n'avais jamais joué de pièces en kabyle, donc le premier album était une mise au point pour moi. J'ai beaucoup composé en kabyle, c'était une expérience artistique. Aujourd'hui, je fais le chemin inverse puisque j'ai aussi des choses à dire en Français.

Malgré un engagement contre le colonialisme, vos textes y chantent surtout les femmes ?
Elles représentent le symbole de l'humanité, c'est ce que représente la pochette de l'album : une photo de la terre, la terre nourricière, vue de haut par le photographe Yann Arthus-Bertrand. Nous avons voulu rendre hommage à ces femmes qui se battent mais dont le combat, comme celui d'Aung San Suu Kyi, n'est pas reconnu.

Vous reprenez Vesoul de Jacques Brel. Pourquoi ce titre comme hommage aux femmes ?
Brel a toujours fait partie de nos inspirations, aux côtés de Ferré, Lavilliers, Aït Menguellet ou Idir. Nous ne lui rendons pas hommage pour l'anniversaire de sa mort (25 ans le 9 octobre 2003, ndlr), mais parce qu'il a toujours été présent pour nous. Plus que Ne me quitte pas, ce titre rend hommage au quotidien, peut être le plus bel engagement des femmes.

Terra Incognita (Dreyfus)