LA VIE APRÈS LE ZOUK
Jean-Michel Rotin et Thierry Cham, artistes originaires de la Guadeloupe, viennent de signer deux nouveaux albums. Le premier éclate le genre, sous label indépendant, avec Nation (Section Zouk). Quant au second, il entame une nouvelle carrière avec Autrement chez Polydor (Universal).
Les nouveaux albums de Jean-Michel Rotin et Thierry Cham
Jean-Michel Rotin et Thierry Cham, artistes originaires de la Guadeloupe, viennent de signer deux nouveaux albums. Le premier éclate le genre, sous label indépendant, avec Nation (Section Zouk). Quant au second, il entame une nouvelle carrière avec Autrement chez Polydor (Universal).
En musique, créer consiste à prendre des risques et à surprendre ses contemporains. Jean-Michel Rotin, étoile consacrée du zouk love, jeune crooner guadeloupéen, sur qui on a beaucoup misé, depuis le succès phénoménal du fameux Lè ou lov, est de ceux qui tiennent ce pari haut la main.
Commencée à la fin des années 80, aux côtés du groupe Energy, mise en veilleuse pendant plus de six ans pour raisons "personnelles" et "familiales", sa carrière n’a jamais pris le mauvais pli du tube facile/commercial. Certes, il a pu donner cette impression à ses débuts, en restituant au genre ses influences, funk, blues ou soul et ce, d’une manière très affirmée. Mais cette démarche, qui amenait certains fans à le considérer comme un clone tropical de Michael Jackson, sans qu’il ne s’en défende radicalement, ne correspondait nullement à une volonté de s’enfermer dans quelques étiquettes réductrices.
Au contraire, Jean-Michel Rotin surnage dans la pluralité caribéenne et réinvente le zouk sans cesse, en puisant à toutes les sources. Ainsi se représente Nation, son tout dernier opus, dont le brassage fini nous promène dans la soul, le blues ou le funk, avec ici ou là des nappes électro, des clins d’œil au swing cubain ou encore des affinités pop "à la française" bien senties.
Des influences qui se bousculent, se confondent et aboutissent à un son résolument zouk, bien qu’éclaté en apparence. "Je continue ma quête, dit Rotin. Je garde les pieds sur terre dans [mon] univers. Il y a certains endroits où j’ose plus, où je me permets certaines choses. Disons que c’est un album zouk avec la tête dans les étoiles". Rotin qui compose sans se soucier d’être "sur un trottoir de gauche ou de droite" est formel. Cette musique ne sort pas des tripes pour coller à un quelconque marché. Et tant pis si ses morceaux paraissent "moins dansants" à certains. Les mélomanes les plus avertis apprécieront. "Le zouk, conclut-il, a plusieurs couleurs. Pour moi, c’est un caméléon qui a le droit de vivre sur différents toits".
Un album sincère sur lequel Rotin ne triche pas, même une seule fois. Un album qui s’inscrit complètement dans un éclatement mesuré du genre. Thierry Cham, qui vient de signer l’album Autrement dans une major, après avoir sorti ses deux derniers opus chez le même producteur que Rotin, lui donnerait sans doute raison sur ce plan.
Lui qu’on attendait au tournant, après nous avoir concocté des zouk assumés à 100%, façon Océan, l’un de ces meilleurs tubes à ce jour, vire de bord pour s’inscrire dans un "nouveau monde": celui de la variété française. A croire que l’audace en musique est une notion de plus en plus partagée par les jeunes talents guadeloupéens.
Boosté au tout début des années 90 par ses potes de Kassav, entre autres, Thierry Cham a signé plus de quatre albums, dont Ultime confession sorti en 1994, albums que les amateurs du genre se sont empressés de sur-noter à chaque fois. "Le public a soif, clamait-il à l’époque. Il faut lui donner à boire". Traduction non-littérale mais conforme: rien ne se refuse à des affamés de zouk-love.
Elu dans la catégorie "Meilleur album Caraïbes" aux Africa Music Award du 2 décembre 1995, Cham pouvait s’asseoir, du moins pour un moment, sur ses lauriers. Mais ne voilà-t-il pas qu’il nous fait le coup du lapin. Plutôt que de chercher à complexifier l’exercice zouk, un peu à l’instar de Rotin sur ses albums, Thierry Cham change carrément de swing. Seuls deux titres saluent son public d’hier sur le nouvel opus. Le reste de l’album, qui en contient treize, plus un remix, s’invite sur la scène variété pop, façon Star Academy.
Déroutant mais sincère, l’artiste rêve de toucher un public plus large et sans doute moins marqué par les origines afro. Le monde du zouk souffre trop de l’ostracisme des médias français pour espérer générer plus de biz. Est-ce pour cette raison qu’il tente -comme on dit- le grand chelem? Pas seulement. Il y aussi le plaisir de se renouveler en tant qu’artiste.
Océan, son morceau-phare, remixé pour l’occasion, sonne forcément moins "roots" que dans sa première version sur l’album Simplement. Nul doute que les fans de zouk "pur et dur" feront un peu la fine bouche. Ses influences pop et r’n’b devraient néanmoins servir à briser toute attitude de méfiance chez son ancien public, d’autant plus que Cham (prononcez Kam) souhaite bien devenir le "lover" le plus talentueux de la jeune scène Nu Soul française". Tout un programme qui colle bien au titre de ce dernier opus: à savoir la vie, Autrement!