Juliette Gréco

Juliette Gréco. Ce seul nom mythique a inspiré les plus inventifs auteurs et musiciens. Alors qu'elle sort Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez…, en partie écrit par des plumes, pour elle, inédites (Biolay, Miossec, Manset, Mengo), il est bien de revenir sur ceux, nombreux, qu'elle a chanté depuis 50 ans, de Prévert à Brassens, de Sartre à Gainsbourg.

Nouvel album, nouveaux auteurs.

Juliette Gréco. Ce seul nom mythique a inspiré les plus inventifs auteurs et musiciens. Alors qu'elle sort Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez…, en partie écrit par des plumes, pour elle, inédites (Biolay, Miossec, Manset, Mengo), il est bien de revenir sur ceux, nombreux, qu'elle a chanté depuis 50 ans, de Prévert à Brassens, de Sartre à Gainsbourg.

Elle le dit elle-même : "Ma carrière ne s'est construite que sur des rencontres et Dieu sait qu'elles ont été belles, miraculeuses et exceptionnellement riches". Pour cette voix grave et coquine, pour cette femme qui réfute le terme d'icône, des hommes, essentiellement, ont tressé une oeuvre qui forme un recueil inépuisable de merveilles. Catalogue subjectif :


Jean-Paul Sartre : le philosophe et homme de lettres, autre figure de Saint-Germain-des-Prés de l'après-guerre, a joué un rôle clé en poussant Gréco à chanter les poètes. C'est ainsi qu'elle démarra en créant un de ses titres clé : Si tu t'imagines de Raymond Queneau (musique Joseph Kosma) en 1949. Gréco chantera aussi les mots de Sartre dans La Rue des Blancs-manteaux.


Jacques Prévert : Ils se rencontrent à Saint-Paul de Vence. Le poète lui écrit un de ses hymnes en 1951, Je suis comme je suis (musique Joseph Kosma). Ses interprétations des Feuilles mortes ou des Enfants qui s'aiment demeurent parmi les plus belles du répertoire. Gréco sera une messagère majeure pour les textes de Prévert et participera à le faire connaître du grand public.


Charles Aznavour : Elle est une des premières à le chanter alors qu'il est encore débutant et peu connu, bien que découvert par Piaf en 46. Elle enregistre Il y avait (musique de Pierre Roche) en 1951 mais le plus célèbre est Je hais les dimanches (51). Le succès de ce titre lui vaut d'être une des premières artistes du nouveau label Philips.


Léo Ferré : Ils se croisent dans le Paris de l'après-guerre, elle le chante dans les années 50 sur les scènes des cabarets, enregistre La rue en 55, L'amour en 56 mais c'est en 1961 que Juliette Gréco choisit un titre de Ferré qui reste un monument de son répertoire : Jolie môme. Si elle a toujours dit ne pas se sentir concernée par le thème de la chanson, elle en a toujours fait une interprétation fort sensuelle, à 30 comme à 70 ans.


Jacques Brel : Encore inconnu, il se présente à Gréco vers 1955. C'est une forte relation amicale que développent les deux artistes. Brel dira d'elle : "C'est un mec !". Elle choisit d'emblée le titre Ça va le Diable qu'elle créé dès 1955 à l'Olympia. Puis suivront de magnifiques interprétations de Vieille (1964), la Chanson des vieux amants (1967) ou surtout J'arrive, qu'elle chante en scène à partir de 1970. Ils ont en commun d'avoir collaboré maintes fois avec le pianiste Gérard Jouannest (aujourd'hui époux de Gréco) et l'arrangeur François Rauber (arrangeur de la chanteuse depuis 64 jusqu'à ce dernier CD). Jusqu'à la mort de Brel en 77, Juliette Gréco est présente à ses côtés. Elle donne dans les années 80 des concerts entièrement consacrés au Bruxellois.


Serge Gainsbourg : Très timide, Gainsbourg est subjuguée par "l'arrogance", dira t'il, de Gréco lors de leur rencontre à la fin des années 50. Elle sort en 1959 un EP 4 titres, Juliette Gréco chante Serge Gainsbourg (Il était une oie, les Amours perdues, l'Amour à la papa, la jambe de bois Friedland) qui participe à lancer son auteur. Puis Accordéon en 1962, Strip-tease en 1963. Mais c'est la Javanaise la même année, écrit spécialement pour elle, qui devient vite un titre phare de leur répertoire respectif. Et du patrimoine musical français.


Georges Brassens : Admiratrice du chanteur de Sète, elle interprète Chanson pour l'Auvergnat sur scène dès les années 50. En 1961, Brassens lui offre Le Temps passé avant même qu'il ne l'enregistre. Ils se retrouvent en 1966 à l'affiche du T.N.P. (Théâtre National Populaire) où, galant, il fait mettre le nom de Gréco en haut de l'affiche alors qu'elle n'est qu'en première partie. Elle enregistre la Marche nuptiale en 1968.


Guy Béart : Vers 1954, Guy Béart commence à chanter ses textes dans les cabarets parisiens. C'est là que son talent d'auteur est repéré par Patachou, Zizi Jeanmaire et Juliette Gréco, laquelle reprend en particulier Chandernagor (1957). Il faut attendre 1960 pour que le chanteur offre à Gréco Il n'y a plus d'après qui demeure l'hymne des nostalgiques de Saint-Germain-des-Prés.


2003, Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez… : ce tout dernier album est dans la totale continuité de cette impressionnante liste d'auteurs compositeurs. Les onze artistes qui le signent ont tous des noms connus et reconnus. Certains sont dans le cercle affectif de la chanteuse depuis longtemps : Serge Gainsbourg (Un peu moins que tout à l'heure, que Gréco avait déjà enregistré en 1971), Jean-Claude Carrière (auteur de l'album Un jour d'été et quelques nuits en 98), Aragon (la Rose et le réséda mis en musique par Bernard Lavilliers) et bien sûr son époux, Gérard Jouannest.

Mais l'intérêt de ce disque en est clairement le casting inattendu. A commencer par Gérard Manset, le plus clandestin des chanteurs français, qui a ici écrit le titre dont une phrase donne son nom au CD, Je jouais sur un banc. Petit bijou sur l'imaginaire enfantin dans lequel Gréco dit se reconnaître totalement. Puis Art Mengo qui signe la musique de Pour vous aimer, écrit par deux écrivains, Marie Nimier et Jean Rouaud (prix Goncourt 1990). Le Brestois Christophe Miossec signe trois textes sobres et subtils composés par Gérard Jouannest, et interprétés, en souriant, par une Juliette séduite. D'où un merveilleux mariage entre deux époques, deux êtres dont le point commun est une certaine folie : "J'aurais aimé avoir un fils comme cela" dit-elle de lui (le Monde, 4 nov.03). Enfin, Benjamin Biolay que Gréco a voulu rencontrer dès 2001, en ayant simplement entendu ce qu'il avait fait pour Salvador. La rencontre fut une réussite. Il signe cinq titres dont trois avec Jouannest, en particulier le très beau l'Amour flou à l'intro orientale. Gréco parle de lui avec amour et le surnomme "petit Biolay".

Enfin, sur scène, en février prochain, Juliette interprétera aussi des titres de Mano Solo et de Bénabar telle une artiste libre qui nous prouve que, bien que symbole malgré elle d’un passé révolu, ses yeux et oreilles sont plus que jamais ouverts au présent.

Clairement, ce disque marque un coup de jeune dans le parcours de Gréco, une jeune femme de 76 ans, séduite et curieuse, rebelle et ardente comme une enfant un peu vamp. Avec un plaisir du jeu non dissimulé, elle chante merveilleusement, sa voix est parfaite. Par elle et ses auteurs, la chanson française demeure bien vivante.

Juliette Gréco tourne en Allemagne en novembre (Munich le 14, Dortmund le 15, Stuttgart le 16, Berlin le 26 et Dortmund le 27). Elle sera à l'Olympia (Paris) du 27 au 29 février 2004.

Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez… (Polydor/Universal)

Catherine  Pouplain-Pédron