Cher et tendre Salvador
Après le triomphe de Chambre avec vue en 2000 (2 millions de copies), Ma chère et tendre, le nouvel album de Henri Salvador, prouve, si besoin est, la vitalité artistique de ce jeune homme de 86 ans, auteur compositeur ici de la quasi totalité des titres. Ballades jazzy, bossas feutrées, voix veloutée, les ingrédients sont identiques mais la recette toujours succulente. Rencontre avec celui qui se définit comme "le Mathusalem de la chanson".
"Je fais ce que j’ai toujours rêvé de faire."
Après le triomphe de Chambre avec vue en 2000 (2 millions de copies), Ma chère et tendre, le nouvel album de Henri Salvador, prouve, si besoin est, la vitalité artistique de ce jeune homme de 86 ans, auteur compositeur ici de la quasi totalité des titres. Ballades jazzy, bossas feutrées, voix veloutée, les ingrédients sont identiques mais la recette toujours succulente. Rencontre avec celui qui se définit comme "le Mathusalem de la chanson".
Quelle a été votre source de motivation pour cet album ?
Je l’avais promis à mon producteur qui m’avait demandé d’en faire un autre! Je ne pouvais pas lui refuser parce qu’il a été vraiment généreux avec le premier disque : on allait au casse-gueule quand il m’a dit : "Faites le disque de vos rêves !". Je lui ai dit qu’on allait droit dans le mur, mais il m’a dit : « On prend le risque! ». Et ça a marché!
Vous parlez d’une nouvelle chanson française, aux textes plus soignés…
Et plus jazzifiée! (rires) Moi, ça fait longtemps que je rêvais de faire le crooner. Je crois qu’en fin de compte, ce qui a fait du bien à la musique en France, ce sont les festivals de jazz. Les jeunes y sont allés et ça a éduqué leurs oreilles au point de vue accords et mélodies. Mon disque Chambre avec vue est arrivé juste au bon moment. Maintenant, ça a ouvert une porte formidable à la belle mélodie française. On a eu un crooner en France, Jean Sablon, mais c’était trop tôt! Il a du finir sa carrière en Amérique et en Amérique du sud. Mais c’était vraiment un type en avance sur son époque.
Vous étiez là en embuscade ?
C’est à dire que c’était déjà mon rêve de faire ça. Pour moi, les deux meilleurs, c’était Nat King Cole et Franck Sinatra. Ces deux-là n’ont jamais été égalé. Il y a eu des dérivés, évidemment, mais de cette classe-là… Sinatra, que j’écoute énormément, est un professionnel comme j’en ai rarement entendu. La diction - il prononçait même les «s» des mots au pluriels -, la voix… et puis il avait les meilleurs compositeurs et les meilleurs orchestres. Il a eu un pot terrible!
Le point de rencontre entre Sinatra et vous, c’est votre façon d’utiliser le micro au même titre que les instruments de musique ?
C’est Nat King Cole, que j’ai connu, qui disait qu’il avait une voix de velours. J’ai travaillé le micro dans ce sens-là, très longtemps pour m’en rapprocher. Plus on se rapproche de ces gens-là, plus on va à la perfection, même si cette dernière n’existe pas. Mais je m’en suis rapproché le plus possible, et je crois que…il est pas mal mon disque ! On verra si ça va plaire au public, mais pour ma part je prend mon pied en l’écoutant ! (rire)
Qui plus est vous avez une implication importante sur ce disque: vous avez écrit la majoritédes musiques…
Oui. C’était aussi une petite vengeance: avec Chambre avec vue, j’ai voulu donner la chance à des jeunes, comme par hasard j’ai fait un gros succès et ils se sont octroyé ce succès. Moi, ça m’a vexé. J’ai été les chercher, certains ont même signé des contrats ailleurs grâce à mon succès… Ce qui m’a déplu, c’est cette inélégance de leur part, cette manière de s’approprier ce succès. Ils ont parlé de résurrection de Salvador mais moi j’ai toujours existé. Je n’avais pas fait de disque depuis cinq ans. Quand je pense que Voulzy, par exemple, en a mis neuf pour faire son disque… Résurrection, faut pas charrier ! Ça m’a fait mal aux chevilles ! (rire)
On peut se demander quand vous trouvez le temps d’écrire: vous avez enchaîné cet album, une tournée, un album live…
Tout le temps! Ça chante, j’ai un petit oiseau qui chante dans ma tête et j’ai un studio à la maison, alors quand j’ai un moment, je vais vite au piano et je mets sur magnétophone des départs ou des mélodies que je trouve. Quand j’ai besoin de faire un disque, je n’ai qu’à écouter et j’ai le matériel !
Vous avez pourtant une image de dilettante…
C’est moi qui me suis donné cette réputation…C’est d’ailleurs la vérité, je ne suis pas un travailleur. Mais ce métier, c’est un plaisir, pas un travail. Quand je me mets au piano, c’est un plaisir, quand je vais sur scène, je vais m’amuser avec le public. Ce ne sont que des moments agréables !
Vous devriez donner des conférences à la Star Academy où on ne jure que par la valeur travail !…
Je vais vous dire: je suis un professionnel alors quand vous parlez de Star Academy… Faut pas m’en parler! C’est un concours d’amateurs. Que ça existe, je comprends très bien, mais si les gens avaient compris le système…Ce qui se passe, c’est que le métier du disque va très mal. Les ventes baissent, il y a le piratage, donc ils ont trouvé cette combine chez Universal pour essayer de vendre des disques. On fait un truc avec la télé, on en parle, on fait des photos partout… On ne peut pas créer un artiste en trois mois, ça n’existe pas ça. Le talent, c’est une chose innée, si on ne l’a pas, ce n’est même pas la peine d’insister.
Vous avez l’habitude de dire que vous avez eu plusieurs carrières: chanteur pour enfant, amuseur, etc. Aujourd’hui, c’est du bonus ?
Je suis satisfait, parce que c’est une jolie fin pour moi. Pour un chanteur. Je finis en beauté quoi! Je fais ce que j’ai toujours rêvé de faire et je suis bien content.
Pour moi, c’est l’avant garde de la chanson française ! Elle a des trouvailles, par exemple dans la chanson Ma chère et tendre, elle a des association de mots qu’on a jamais entendues. «Le sac et la cendre», «mon coeur envisagé». C’est une littérature moderne et très élégante. En plus, elle est distinguée et bien élevée. Elle a beaucoup d’atouts ! (rire)
Si je peux encore refaire un très bel album… Je crois que ça chante encore assez bien. Ça serait formidable qu’à 90 balais, j’en sorte encore un beau ! (rire)
Henri Salvador Ma chère et tendre (Source/ Virgin) 2003