M
Toujours aussi festif, le nouvel album de Mathieu Chédid offre une vision plus introspective de l'homme qui se cache derrière le personnage de M. Résultat : un son plus brut et direct qui secouera vos "esgourdes". Une polychromie de notes qui vont du Caire à Londres, d'Oum Kalthoum aux Beatles. Un délice. Rencontre.
Qui de nous deux ?
Toujours aussi festif, le nouvel album de Mathieu Chédid offre une vision plus introspective de l'homme qui se cache derrière le personnage de M. Résultat : un son plus brut et direct qui secouera vos "esgourdes". Une polychromie de notes qui vont du Caire à Londres, d'Oum Kalthoum aux Beatles. Un délice. Rencontre.
RFI musique : Une nouvelle fois votre grand-mère vous a écrit un texte Je me démasque. Est-ce que cette chanson et cet album correspondent à une césure par rapport aux précédents disques ?
M : Chaque album est l’ambiance du moment. Là, ce sont les mots de ma grand-mère. C’est elle qui un jour m’a glissé dans le creux de l’oreille : "Je crois qu’il va falloir que tu te détaches, un jour de ton personnage. J’ai une chanson qui te le permet…" Elle avait tout un concept : "Ça te permet de faire tes concerts en M et puis de sortir en Matthieu. Ce serait une manière pour les gens de faire la transition". Je me suis rendu compte que cette question de la double identité m’a un peu travaillé : "Est-ce que je garde le personnage ou pas ?" Pour moi, ce n’est pas une question fondamentale. Cela ne change pas l’écriture de mes chansons. Mais c’était l’apparence. Et c’est vrai que par rapport à cet album-là, qui me dévoile un peu plus, qui est plus assumé, plus intime, la question pouvait se poser.
En fait c'est trop tôt. Je n’avais pas du tout envie d’arrêter là, je n’avais pas le sentiment d’avoir abouti à quelque chose avec ce personnage. Je pense surtout aux concerts. Je crois que cet album me démasque d’une autre manière, c'est-à-dire dans les textes, dans l’humeur des chansons. Je me suis rendu compte qu’il y avait une intimité en plus, une façon de moins se cacher derrière les choses
Pensez vous que ce personnage que vous vous êtes fabriqué au départ pour masquer une part de timidité, vous l'abandonnerez un jour ?
On m’a toujours dit de ne pas m'enfermer pas dans mon personnage. C’est une vraie question parce que plus je fais des disques en tant que M, plus il a une histoire et plus il prend de l’importance. S'en détacher devient difficile.
Pour moi, M est ma crise d’adolescence et le moment où je vais le lâcher sera un moment où je lâcherai une partie de ma vie. Je n'y suis pas prêt. Même par rapport au public ! Les gens ne comprendraient pas que je passe à autre chose tout de suite.
Je crois que j'ai passé un cap parce que j'ai l'impression de ne plus être dans cette ambiance du nostalgique de l'enfance. Je crois que j'ai envie de ne pas perdre mon temps. Et la chanson c'est un moyen de ne pas perdre de temps : les fantasmes que tu n'oses pas accomplir dans la vie, tu te les autorises sur scène. Tout est sur le fil du dérisoire.
Le chanteur Marcel Kanche a écrit pour vous deux chansons. Comment vous êtes-vous connu ?
C'est grâce à un voyage organisé par les éditions Universal Music qu'on s'est rencontrés. Le principe était d'organiser des rencontres improbables avec des rappeurs, des chanteurs maliens : Amadou et Mariam, Marcel Kanche, Dolly, Faudel… On était au studio de Peter Gabriel en Angleterre et chaque jour, on faisait une chanson avec un autre collègue. Avec Marcel, on s'est vachement marré et depuis, on ne s'est jamais vraiment perdus de vue.
C'est drôle parce que c'est un personnage assez "ours". Rien n'était vraiment prémédité entre nous deux. Je suis très heureux parce que c'est l'occasion pour moi de parler d'un homme qui n'est pas très connu, qui a l'âge de mon père et un talent fou. Un mec éthique. Il vit dans un monde parallèle un peu souterrain et en même temps il est super ouvert. On était contents de travailler ensemble. Il y a une vraie amitié, une spontanéité qui me plaît. En même temps, si je n'avais pris aucun de ses textes, il s'en foutait ! Pour lui, ce n'est pas grave. Ce qui l'intéresse, c'est qu'on ait fait cette rencontre…
Votre père, Louis, lorsqu'on lui parlait à vos débuts du rapport grand-mère/père/fils répondait "On est trop proche pour être les meilleurs juges. On s'aime trop pour cela". Etes vous affranchis, maintenant les uns des autres ?
Je pense qu'ils ont moins de crainte par rapport à cela. Mais on a vachement de pudeur les uns vis-à-vis des autres. On est dans l'amour, dans le respect de l'autre. On arrondit les angles, on dit les choses tout en encourageant l'autre. En étant dans le milieu artistique, on sait quelle est la part de force et d'énergie qu'il faut avoir pour aller jusqu'au bout des choses.
Pour rester dans le registre familial, allez vous faire un voyage sur les traces de vos origines libano-égyptiennes ?
Pour l'instant, mes origines sont de l'ordre du fantasme. Des réminiscences floues qui me suivent. Moi-même, je m'en trouve un peu éloigné parce que je n'ai pas fait cette démarche de m'informer là-dessus. Mais j'ai cette envie de retour aux sources et qui va se concrétiser sur la prochaine tournée puisque, pour la première fois, je vais jouer au Liban, en Egypte et dans d'autres pays.
Ce qui est drôle ou troublant, c'est qu'avec les rares personnes que je croise ici en France comme le Libanais Ibrahim Maalouf, trompettiste et neveu de l'écrivain Amin Maalouf, ça passe immédiatement. Il y a un truc qui nous dépasse. Je suis sûr que si je vais là-bas, je vais prendre une claque. Comprendre des choses. Lorsque j'ai joué avec Lili Boniche, il y avait un peu de cela. Ma mère qui est normande, adore ce chanteur pied-noir algérien et je me suis dit que cela lui ferait plaisir. Ce mec a une voix tellement particulière !
Brigitte Fontaine, Lili Boniche, Marcel Kanche, il y a beaucoup d'anciens dans vos fréquentations musicales…
J'ai appris cela avec ma grand-mère. L'âge a très peu d'importance et ce qui m'intéresse, c'est de rencontrer des gens qui ont une histoire ou qui ont une personnalité. C'est mon côté Robin des Bois, le passionné de musique qui parle. Je suis amoureux de la musique et des vrais artistes. C'est le cas pour Brigitte. La complexité de son personnage, la richesse de son écriture me fascine… Si elle n'est pas une artiste, qui est artiste ?!?
M Qui de nous deux ? (Delabel/Virgin) 2003