Camel Zekri au festival Africolor
Outre le fait qu'il témoigne avec un engagement militant du foisonnement musical des pays du Sud et en particulier de l’Afrique, le festival Africolor propose de vraies créations. Pour sa 15ème édition déployée (jusqu’au 21 décembre) dans tout le département de la Seine-Saint-Denis, musiciens et chanteurs vont donner du sens au mot "rencontre" en évitant tout opportunisme et exotisme de pacotille. Notamment à travers Warda, une création impliquant la participation du Diwan de Biskra et des chanteuses algérienne et mauritanienne Hasna El Becharia et Malouma. Rencontre avec Camel Zekri, guitariste, joueur de oud et compositeur à l’origine de ce moment de partage.
Sa création Warda avec le Diwan de Biskra, Hasna El Becharia et Malouma
Outre le fait qu'il témoigne avec un engagement militant du foisonnement musical des pays du Sud et en particulier de l’Afrique, le festival Africolor propose de vraies créations. Pour sa 15ème édition déployée (jusqu’au 21 décembre) dans tout le département de la Seine-Saint-Denis, musiciens et chanteurs vont donner du sens au mot "rencontre" en évitant tout opportunisme et exotisme de pacotille. Notamment à travers Warda, une création impliquant la participation du Diwan de Biskra et des chanteuses algérienne et mauritanienne Hasna El Becharia et Malouma. Rencontre avec Camel Zekri, guitariste, joueur de oud et compositeur à l’origine de ce moment de partage.
RFI : Comment présenter le Diwan de Biskra à quelqu’un qui ignore tout de lui?
Camel Zekri : C’est un ensemble de musiciens et chanteurs qui chantent et jouent le diwan. Situé au pied du massif de l’Aurès, important centre de culture des dattes, porte du désert, Biskra, comme Béchar et tout le sud algérien est la terre du diwan. Cérémonial pratiqué par les gnaoua de la région, qui appartiennent à la confrérie noire de Sidi Merzoug (rattachée à l’ensemble des confréries se reconnaissant en Sidi Bilal), le diwan, au fil des années et des mélanges de populations nomades arabes, berbères et noires sédentarisées dans cette zone, est devenu très métissé, le creuset d’une rencontre fraternelle entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche. Des mots arabes se sont infiltrés dans les chants interprétés en hejmi (mélange d’haoussa, songhaï et foulani), la darbouka a rejoint les tambours d’Afrique noire. Je descends moi-même d’une famille appartenant à la confrérie de Sidi Merzoug et c’est à Biskra, où j’ai suivi l’enseignement du maâlem Hamma Moussa, disparu en 1996, que je me suis initié au diwan,
Vous êtes originaire de Biskra?
Non, je suis né à Paris, en 1962. J’ai découvert Biskra, terre de mes ascendants, pendant les étés de mon adolescence. Porte du désert, c’est une ville du Sud, calme et assoupie, éblouissante de lumière. Lorsqu’on arrive du nord, il faut d’abord traverser un canyon pour déboucher ensuite dans la partie rocailleuse du Sahara, apercevoir les premières oasis et leurs palmiers jaillissant dans l’azur. C’est à Biskra, que pour la première fois, j’ai entendu de la musique, vu de la danse, senti un grand nombre d’encens, écouté des chants, découvert des costumes et surtout ressenti de fortes émotions dans le tourbillon vibratoire qu’est le diwan (mot arabe signifiant assemblée).J’ai fait enregistrer un album au Diwan de Biskra (pour Ocora/Radio France, en 1993) qui est venu la première fois en France, trois ans plus tard, à l’Institut du Monde Arabe, à Paris.
Quel sens a le titre donné à ce projet, dans lequel le Diwan de Biskra rencontre Hasna el Becharia et Malouma, deux chanteuses dont vous avez réalisé les albums?
"Warda" signifie "rose" en arabe. A travers ce nom-là, s’exprime une certaine idée de féminité (en résonance avec la participation de deux femmes) et de fragilité. Le diwan, tel qu’il se pratique à Biskra et ailleurs en Algérie, se joue dans les maisons. Donc le public, ce sont des femmes, mais qui ne participent pas aux chants. Hasna, que j’ai rencontrée en France, a quitté l’Algérie pour pouvoir jouer son art et le diwan, qu’elle n’avait pas le droit de jouer à Béchar d’où elle est originaire. Elle se révèle être une grande détentrice de cette tradition. Elle est fille du maître qui a créé le Diwan de Béchar. Les femmes de la confrérie ont un rôle (arifa) pendant la cérémonie. Elles servent de médiateur entre le génie et la personne possédée. Elles sont donc très présentes dans le diwan, en connaissent les chants, même si elles ne les chantent pas. Hasna, étant musicienne (guitariste, percussionniste, chanteuse), a immédiatement incorporé et digéré ces chants. De plus, elle jouait en cachette de son père, le guembri.
Et votre rencontre avec Malouma?
Malouma, cela fait un an que je travaille avec elle. Je suis allé la voir en Mauritanie, où j’avais été appelé pour réaliser son album par Christian Mousset, directeur du festival Musiques Métisses d’Angoulême et producteur de cet album (DunyaMarabi). C’est une belle personne et une forte personnalité, très attachante. Là-bas, j’ai découvert que pendant dix ans elle a été bannie, n’a pas pu travailler, on lui avait retiré son passeport. Elle vient d’être enfin reconnue, on lui a permis de retravailler. En fait, ce sont deux femmes "engagées", engagées dans la vie, et cela se ressent bien sûr dans l’engagement musical. Donc tout cela c’est fragile, puisque c’est de l’humain. Comme est fragile le diwan, aussi. Il y a eu un moment où ne pouvait plus le faire, jusqu’à ce qu’en 1996 l’Institut du Monde Arabe à Paris nous invite. Ce qui a apporté une sorte de reconnaissance extérieure de ce patrimoine musical et a amené une prise de conscience sur le plan local. Le regard des autres leur a fait admettre qu’il y avait là un véritable patrimoine à sauvegarder. Ces éléments de fragilité, en les réunissant, ça nous rend plus forts. On est aussi d’une sorte de même aire géographique, donc on a des reconnaissances, qui sont très évidentes avec Hasna, plus éloignées avec Malouma, mais bon, les liens sont là. C’est aussi les occasions qui nous permettent de retrouver ces points de reconnaissance.
Comment s’organisent les choses dans cette "réunion de famille" sur scène?
Dans Warda, il y a des chants du diwan, d’autres du répertoire de Hasna que nous jouons avec tout le groupe, puis vient un duo guitare et cornemuse "chekoua" (cornemuse de Biskra, à six trous), entre moi et Bachir Temtaoui, le maâlem du Diwan de Biskra. Ensuite arrive Malouma avec qui on travaille d’abord en duo, sur des compositions qu’elle a pensées spécialement pour ce projet, avant de poursuivre avec tout le groupe.
Warda, le 12 à Montreuil (Centre Dramatique National), le 13 à Clichy-sous-Bois (Espace 93), le 20 à Saint-Denis (Théâtre Gérard Philipe).