L'arbre à palabres de Rykiel
Under the Tree, le nouvel opus de Jean-Philippe Rykiel est dans les bacs. L’homme de la technologie spontanée, celui des synthés, signe là son plus bel hommage au son westaf*. Un album tout en finesse, sur lequel il rappelle surtout ses amitiés profondes avec le continent noir.
Petites conversations entre amis
Under the Tree, le nouvel opus de Jean-Philippe Rykiel est dans les bacs. L’homme de la technologie spontanée, celui des synthés, signe là son plus bel hommage au son westaf*. Un album tout en finesse, sur lequel il rappelle surtout ses amitiés profondes avec le continent noir.
Under the tree fait penser à une suite musicale sous l’arbre à palabres… avec toutes ces conversations que vous tissez avec des amis musiciens. Je pense au Gambien Yacouba Cissoko à la kora, au Malien Saki Kouyate à la guitare acoustique, à la divine Mama Kouyate au chant, je pense aussi au Kurde Nasser Ibrahim et à son tambur.
C’est un arbre à palabres imaginaire et rêvé. En fait, je connais plus l’Afrique urbaine que l’Afrique des villages. L’arbre à palabres, je ne l’ai donc jamais vu, je ne l’ai jamais touché et j’en ai simplement entendu parler dans des contes, dans des histoires. J’espère qu’il y a des endroits où il existe encore. Mais cet album, c’est un peu mon arbre à palabres imaginaire.
On a l’impression que vous avez voulu condenser un état d’esprit, qui vous a amené à collaborer avec des tas d’artistes, venus du monde entier. Une démarche qui consiste à tendre la main à allez vers l’autre pour mieux s’enrichir…
C’est sûr que c’est une chose importante pour moi de tendre la main. Le contact est une chose importante. C’est pour ça que j’aime l’Afrique, parce que c’est un continent où le contact est encore possible et où l’individualisme et la société de consommation n’ont pas encore complètement détruit les relations humaines. Comme c’est le cas chez nous en Occident.
Si on devait vous définir, que diriez-vous ?
Je ne sais pas quoi dire… Je suis français. Je suis aveugle. Je suis juif, non-pratiquant. Je fais 1m72 pour 69 kilos. Vous voulez savoir quoi exactement ? [Rires !] Est-ce qu’on peut vraiment savoir qui on est d’ailleurs… Non ! Je suis plein de choses à la fois. Je me fabrique au fur et à mesure. Et je ne suis pas le même qu’il y a deux secondes… Non ! Je crois que c’est vraiment très difficile de répondre à ce genre de questions.
Votre démarche musicale ?
Je dirais que je fais de la musique électronique sensible, comparé à ceux qui font de la techno et qui samplent les autres pour les arranger à leur sauce après. Je n’ai jamais samplé personne et je ne le ferais jamais. Je n’utilise pas les autres musiciens comme des instruments ou comme des bruits exotiques. Je joue avec des gens… Et je ne conçois pas la musique que je fais avec d’autres autrement que comme un dialogue. J’utilise les machines de la manière la moins mécanique possible. Je pense en particulier à tout ce qui est programmation, etc. que j’utilise quelques fois, mais pas très souvent, parce que je n’aime pas la rigidité rythmique que les machines nous imposent. Ce que j’aime dans la musique d’Afrique, la vraie, c’est justement la souplesse du tempo… si vous écoutez du sabar, du dum dum ba, des musiques traditionnelles, vous verrez que le tempo n’arrête pas de changer. Et donc quand j’entends la musique qu’on appelle actuellement electro, techno, etc. ça m’emmerde parce que c’est au même tempo du début à la fin. Ce sont des boucles et tout ça ne fait pas partie du tout de mon univers musical.
Alors vous parlez de technologie spontanée…
Effectivement ! C’est ce qu’il y a écrit dans ma biographie. Mais c’est vrai… c’est une bonne formule.
Que peut-on vous souhaiter de bien pour cet album ?
D’en vendre plein. Non pas pour gagner beaucoup de fric mais plutôt pour que ma musique soit entendue et partagée. J’y crois, à ce disque. Je le réécoute toujours avec plaisir et j’espère que ce sentiment sera partagé par beaucoup de gens. Ce qui n’est pas évident, puisqu’il ne s’agit pas d’une musique facile à vendre... d’abord parce que je ne chante pas. Il n’y a que Mama Kouyate qui chante sur un morceau. Ce n’est pas non plus une musique qui serait facile à médiatiser. Il y a très peu de radios, encore moins de télévisions, qui pourront la diffuser. Elle est quand même pas mal hors norme… C’est, certes, une musique métisse mais ce n’est pas de la world music telle que les médias la comprennent et la propagent. Ceci dit, c’est une musique que beaucoup de gens trouvent agréable. Je crois que c’est l’adjectif qui revient le plus souvent…. Evidemment, ceux qui ne l’aiment pas, ne me le disent pas en face. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de musiques actuellement qui pratiquent ce que j’appelle l’esthétique de la laideur, c’est-à-dire qu’il y a des sons saturés, des voix agressives, des rythmiques hyper en avant, hyper rentre-dedans… Ce n’est pas ce que j’aime entendre. Et si j’aime entendre autre chose, il y a peut-être d’autres gens aussi qui aiment entendre autre chose.
*Westaf pour ouest-africain
Under the tree de J.-P. Rykiel (Taktic Music/Last Call/ Wagram)