SUSTRAC, LE CHANTEUR VOYAGEUR

Fidèle à la bossa, Didier Sustrac revient avec Matière Première, nouvel opus tout en suave délicatesse. Pour cet album personnel, il est allé à l’essentiel en épurant écriture et propos musical. En prime, un duo punchy avec Nougaro. Entretien.

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Fidèle à la bossa, Didier Sustrac revient avec Matière Première, nouvel opus tout en suave délicatesse. Pour cet album personnel, il est allé à l’essentiel en épurant écriture et propos musical. En prime, un duo punchy avec Nougaro. Entretien.

Dix ans après le succès de Tout seul, vous avez ressenti le besoin de travailler par vous-même ?
Tout seul a été le succès immédiat d’un premier album où j’étais très naïf vis-à-vis du métier, de ce que représentait une carrière. J’ai été projeté sur le devant de la scène et après, j’ai été assez flemmard. C’est vrai qu’avec la maturité, j’ai plus envie de prendre les choses en main, plus d’ambition artistique qu’auparavant.

Ce quatrième album est un album home-made ?
C’est un album réalisé dans mon home studio avec Lionel Gaget avec qui je joue depuis dix ans. On s’est retrouvés pour cet album dans des conditions particulières puisque j’avais envie de faire quelque chose qui me ressemblait, c’est-à-dire sans tricher, avec les moyens du bord comme un artisan du tiers-monde.

Et toujours cette influence de la musique brésilienne qui est la "marque de fabrique" Didier Sustrac ?
Je suis tombé petit dans le bain et maintenant, c’est mon expression. Elle s’élargit, parce que je ne suis pas que Brésilien, je suis Français. Quand je joue de la guitare, je deviens un bossa-noveur. Ma musique est proche d’un Caetano Veloso ou d’un Joao Gilberto, mais dans l’écriture elle va plus vers Nougaro, Vassiliu ou Salvador.

Justement, vous avez enregistré Cogne, un duo avec Claude Nougaro. C’était un rêve ?
C’était un rêve que je ne m’avouais pas. Quand je suis allé chercher Claude Nougaro pour lui proposer ce duo, je n’y croyais pas une seconde. Je me suis dit qu’un auteur comme lui n’avait pas besoin de se mêler à un novice comme moi. Et puis la magie de la chanson a opéré, elle a convaincu Claude qui a été ravi de faire ce duo, et tout s’est déroulé le plus simplement du monde, comme entre musiciens qui ont envie de travailler ensemble, d’une manière très cool, très humble.

Ce morceau évoque l’univers de la boxe. C’est un titre "punchy" ?
C’est un peu ce qui m’a incité à aller chercher Nougaro parce que c’était un peu ses mots : je parle de boxe, de la violence chez les enfants. C’est un thème qui le touche et je crois que l’écriture musicale lui a plu, entre le jazz et la bossa. Il s’est reconnu dans ces mots et lui savait déjà que nos deux voix se marieraient bien. C’est passé comme une lettre à la poste.

L’album s’appelle Matière Première. Que signifie un tel titre ?
C’est quelque chose que l’on a cherché, qui est essentiel et est en même temps brut et malléable. Cette Matière Première, c’est moi, c’est la manière dont je me façonne petit à petit en tant qu’artiste. On ne se construit pas en un disque, c’est une carrière qui fait que l’on devient artiste à part entière.

Le voyage est important pour l’écriture de vos textes ?
Le voyage permet de sortir de ses habitudes et de son quotidien pour se réveiller, se donner des électrochocs. Et moi, j’en ai besoin pour écrire. Après, il y a des lieux qui aident à la flemme, et comme je suis assez flemmard, j’ai tendance à aller plus vers le soleil que la glace, le froid ou l’horreur. C’est pourquoi je vais souvent vers des destinations agréables qui me donnent l’occasion de sortir de mon quotidien, pour réfléchir autrement, voir les choses différemment, prendre du recul sur ma vie.

Pourtant, ces voyages ne vous donnent pas d’ouvertures musicales ? Vous êtes tout entier dédié à la bossa...
C’est vrai, mais elles me donnent une autre réalité musicale. Quand je vais au "bal poussière" à Mangily, près de Tulear, au fin fond de Madagascar, et que je vois des types jouer avec une basse, une guitare ou une batterie qu’on ne sortirait même pas d’une poubelle chez nous, il y a une énergie qui prête à inspiration pour un son, plus tard, sur une production. Je ne renierai pas ma technique de guitare, mais elle se modifie avec ce que je vois chez les gens.

Comment les Brésiliens vous perçoivent-ils, vous qui avez déjà eu l’occasion de faire trois tournées là-bas ?
Comme quelqu’un de très exotique parce qu’ils retrouvent leur culture musicale à travers mes chansons et que c’est chanté en français. Cela les fait marrer. J’ai toujours eu beaucoup de succès là-bas : c’est comme si la chanson Rive Gauche était chantée en brésilien, cela serait curieux, exotique.

Didier Sustrac Matière Première (M10) 2003