DES COULEURS CONTRE LA MOROSITÉ

Crises, guerres et remous divers ont beau faire, il restera toujours de belles musiques pour tenir le coup, envers et contre tout. Notamment celles qui font voyager, inventent des micro-climats, suggèrent des promesses de dépaysement, toutes ces fameuses musiques dites «du monde». En France, cette année encore, elles ont su faire beaucoup parler d’elles et éclore en jolis bouquets. Bilan, volontairement partial.

Bilan world de l'année 2003

Crises, guerres et remous divers ont beau faire, il restera toujours de belles musiques pour tenir le coup, envers et contre tout. Notamment celles qui font voyager, inventent des micro-climats, suggèrent des promesses de dépaysement, toutes ces fameuses musiques dites «du monde». En France, cette année encore, elles ont su faire beaucoup parler d’elles et éclore en jolis bouquets. Bilan, volontairement partial.

La nouvelle est tombée le 28 octobre. Lors d'une conférence de presse organisée par le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), Hervé Rony, son directeur général, a présenté les chiffres concernant les neuf premiers mois de l'année en précisant qu'ils rejoignaient à la baisse «la tendance mondiale»: le marché du disque a chuté de 13,5 % depuis le mois de janvier. Responsables désignés : le téléchargement sur internet, le développement de la copie numérique, et le taux de 19,6 % de TVA, toujours appliqué au disque.

Malgré ce climat n’incitant guerre à l’euphorie, la world continue sa marche en avant. Sans aller jusqu’à chantonner «mais à par ça, tout va très bien», il faut se rendre à l’évidence, "Les Musiques du monde existent. Les chiffres le prouvent" écrit dans son dernier numéro Mondomix papier. Proposant des extraits de l’enquête réalisée par l’Observatoire de la Musique et GFK (données du troisième trimestre 2003), le mensuel gratuit dédié aux musiques du monde rappelle que le marché de la world (14,7 %) se situe entre celui du classique (16,8 %) et celui du jazz (10,2 %). Oui, les musiques du monde existent bel et bien. D’ailleurs, l’apparition de deux magazines qui leurs sont consacrés peut être lue comme un indicateur de leur bonne santé. Outre Mondomix papier, prolongement d’un site internet français très au fait de la question, le magazine World, dont beaucoup avaient déploré la disparition, a renaît de ses cendres, dans une parution bimestrielle et sous un concept élargi par rapport à l’ancienne version. La musique reste la ligne principale mais il y a aussi le cinéma, les livres, la cuisine et les voyages.

Quoi de neuf encore, côté world en France cette année ? Sans vouloir nécessairement tout recenser, en assumant choix subjectifs et inévitables oublis, on évacuera d’abord les mauvais souvenirs. Ainsi en est-il des disparitions. Par exemple, celle d’Edith Lefel (photo), une des enfants chéries de la communauté antillaise. Les fans la retrouveront à travers deux ouvrages qui lui sont consacrés, l’un paru aux éditions Créon Music, sous la plume d’Emelyne Medina Defays, avec la collaboration de Luigi Elongui, l’autre aux éditions Jasor, écrit par Marie-Line Ampigny.

Côté festivals, Musiques sur l’île à Nantes, a rendu l’âme et Les Nuits Atypiques de Langon ont rudement mordu la poussière. Elles espèrent relever le défi de 2004 en réduisant sensiblement la voilure et continuent de sortir de beaux albums sur leur label Daqui (Romano Drom, Vranisht, Djiguiya, Amestoy Trio, Samir Joubran). Du côté des maisons de disques, la mauvaise nouvelle est venue de chez Mélodie, pionnière dans l’émergence de la musique africaine en France (Touré Kunda, Salif Keïta, Cesaria Evora…), contrainte de s’associer à une autre société de distribution, M10, pour ne pas disparaître. Il y a les mauvaises nouvelles et puis aussi les mauvaises surprises. La mise en examen et l’incarcération en février pour aide en bande organisée au séjour irrégulier d’étrangers de Papa Wemba (photo) a fait l’effet d’un électrochoc. Le garnement, libéré sous caution en juin, est réapparu en octobre avec un nouvel album (Somo TropNext Music) et un concert au Zénith à Paris. Transformé. Comprendre habité par la grâce divine et (donc?) déserté par le talent. Remarque d’un spectateur congolais présent dans la salle, à propos des longs discours de Wemba ce soir là : "Pour entendre ça, on peut aller à l’église!".

Et les bonnes nouvelles alors? Elles sont là, et si nombreuses même que l’on se gardera de toutes les pointer pour éviter une énumération à la lecture trop fastidieuse. En vrac donc et sans ordre de préférence: la sortie d’une anthologie (double album) de la diva malienne Oumou Sangaré, avec, en guise de cerise, huit inédits (World Circuit – Night & Day), un nouvel album de Cesaria Evora (Voz d’Amor), la Voix du Cap-Vert, toujours produite par un label français (Lusafrica, créé par un franco-capverdien), la mise en couleurs flamenco de notre Piaf nationale (à l’occasion du 40ème anniversaire de sa disparition) par Anna Salazar, une des étoiles montantes du flamenco (Un Himno al Amor Universal Music), une jolie surprise swing avec le Kora Jazz Trio (Moussa Cissoko, Abdoulaye Diabaté, Djeli Moussa Diawara), parue chez Mélodie. A rapprocher de Sarala, le projet de Cheikh Tidiane Seck avec Hank Jones en 1995, qui ramenait le jazz dans l’Afrique mandingue et vice-versa. Cheikh Tidiane Seck, lui, a par ailleurs sorti cette année le premier album sous son nom (à cinquante ans, il était temps guerrier!), MandinGroove (Universal Music Jazz France).

L’Afrique fait feu de tous bois et toutes générations confondues. Les rappeurs sénégalais Daara J font mouche avec Boomrang (Wrasserecords / Night & Day), le zouglou continue d’entrer dans les foyers français grâce à Magic System (Un Gaou à Paris, Virgin), les anciens jouent des coudes pour qu’on ne les oublie pas (Kékélé et son superbe Congo Life, réalisé par François Bréant, chez Next Music), la jeune Rokia Traoré a réalisé un album d’une délicatesse extrême (Bowmboï,Indigo) dans lequel elle ouvre des pistes inédites (participation des cordes du Kronos Quartet). De Mauritanie, la surprise est venue de Malouma (Dunya, Marabi – Mélodie), l’une des voix les plus populaires du pays, une personnalité et une démarche musicale originale et frondeuse.

Côté Caraïbes, un nouvel album, pour Jocelyne Béroard (Madousinay) et Beethova Obas (photo) (Kè'm poze), les deux parus chez Créon Music. De belles réussites aussi du côté de l’esprit latino en vogue par ici (Sergent Garcia La Semila escondida, chez Labels) et de "los hombres latinos" ayant jeté l’ancre à Paris, comme le salsero colombien Yuri Buenaventura (Vagabundo et son essai - abouti - de pont lancé vers le tango/ Mercury) ou le Cubain Raul Paz (Mulata/Naïve, un enfilage de tubes parfaits).

L’année 2003 aura connu comme sa consoeur précédente et comme sa suivante connaîtra sans doute également quelques mariages arrangés avec plus ou moins de goûtet doigté : le superbe Sarac’h de Denez Prigent, l’un des chanteurs de Bretagne les plus passionnants, entouré ici d’invités très éclectiques (Mari Boine, Valentin Clastrier, Karen Matheson, Lisa Gerrard, Nabil Khalidi, Donal Lunny), la poursuite des aventures africaines de Fred Galliano (FKW016/Frikyiwa – Nocturne), la nouvelle production du bassiste-chanteur Richard Bona (Munia/ Universal Music Jazz France), la swingante fusion kabyle d’Iness Mezel (Lën/Nocturne), le projet electro-médiéval de Hugues de Courson, Lux Obscura (Virgin Classics).
Côté étoiles du raï, pas grand chose de neuf. Mami se contente de rassembler ses duos (avec seulement 4 inédits, Du Sud au Nord/ Virgin), quant à Faudel, à force d’entendre qu’il n’avait pas une voix pour le raï, il a fini par choisir la chanson française.

Si l’on veut enfin à tout prix parler «tendances», pour cette année 2003, on relèvera d’abord la gourmandise persistante pour les musiques tziganes, klezmer et d’Europe centrale (nombreuses parutions dont celle des groupes Taraf Borzo ou Klezmer Nova) et la riche effervescence de la scène dub française (Dubians, Junior Cony, High Tone…).