FESTIVAL NUITS MÉTIS

Pour son dixième anniversaire, le festival des Nuits Métis a soigné à la fois le décor et la chaleur humaine, en organisant avec l’association El Hillal La Saoura, quatre jours de rencontres musicales au pied des premières dunes du Grand erg occidental, en Algérie, dans cette belle oasis de Béni-Abbès. Marc Ambrogiani, directeur de ce festival, créé à Marseille, y a vécu en 83 et a gardé ici quelques amis. Ambiance.

A la croisée des Afriques dans les dunes du Sahara

Pour son dixième anniversaire, le festival des Nuits Métis a soigné à la fois le décor et la chaleur humaine, en organisant avec l’association El Hillal La Saoura, quatre jours de rencontres musicales au pied des premières dunes du Grand erg occidental, en Algérie, dans cette belle oasis de Béni-Abbès. Marc Ambrogiani, directeur de ce festival, créé à Marseille, y a vécu en 83 et a gardé ici quelques amis. Ambiance.

A 250 km au sud de Béchar, la palmeraie de Béni-Abbès, en forme de scorpion, se découpe au creux des dunes de sable ocre rouge. Rien à dire, le site est grandiose et les ciels nocturnes sont de ceux où l’on s’oublie. Après dix ans d’isolement dû aux conditions chaotiques de la politique algérienne, visiteurs et habitants se découvrent ou se retrouvent avec joie au gré des rencontres. Ce festival draine toutes sortes d’autres activités: l’association Animateurs Sans Frontières, a organisé un chantier pour restaurer la maison, près du vieux ksar, qui deviendra un local de répétition. Les jeunes Marseillais et les musiciens d’El Maya, un groupe de Béni-Abbès, se retrouvent donc tous les jours pour déblayer la terre, fabriquer des briques et construire des murs. En parallèle, Robex, de Radio-Grenouille à Marseille, anime un stage de radio débouchant sur une émission en public. Les concerts sont gratuits et rassemblent autant les touristes venus d’Oran ou de Toulouse que la population de Béni-Abbès.

Musicalement parlant, la rencontre est aussi le maître mot: l’Afrique de l’ouest, l’Algérie et Marseille se croisent au rythme de deux spectacles par soir, l’un dans un lieu ouvert sur le ciel, le second dans la crèche pour enfants reconvertie le temps des vacances en salle de concert intimiste et chaleureuse. Les 29 et le 30 décembre, c’est dans l’amphithéâtre à ciel ouvert, à l’entrée de la ville, que se déroulent les spectacles. Le Cabaret Nomade ouvre la première soirée, mais c’est vraiment le 30 que l’on découvre le Cabaret en grande forme, quand le Guinéen Tounkara, Monsieur Loyal et raconteur d’histoire, entame celle qui guide les musiques du Cabaret Nomade. Le spectacle est un voyage musical depuis l’Ouest africain jusqu’à Marseille, aller et retour, en passant par l’Espagne et l’Italie. Avec eux, c’est une machine à explorer le monde qui se met en marche. Et quand en deuxième partie, le groupe de jeunes musiciens de Béni-Abbès, El Maya, monte sur scène, leur succès est acquis. El Maya, c’est le maya, c’est à dire la musique traditionnelle de la région, souvent religieuse. Les rythmes des bendirs, carcabus, derboukas et autres claquements de mains sont envoûtants, et on frôle la transe quand le public se met lui aussi à claquer des mains et à danser en équilibre sur les gradins bondés.

Le 30 décembre, l’amphithéâtre accueille également El Maoussim, un groupe folklorique de Béni-Abbès, dont la prestation est ponctuée par les coups de fusils traditionnels. Concert étonnant, où le public prend le pouvoir sur la scène pour imposer son répertoire. Le soir du 31 décembre 2003, la musique rejoint le lieu grandiose de la dune sur laquelle les spectateurs peuvent s’installer en surplomb. Les jeux de lumières transforment le sable rouge en tableau impressionniste et des feux d’artifice spontanés ponctuent le spectacle. Ce soir-là, les musiciens de Ba Cissoko partagent la musique guinéenne avec le public algérien. Un percussionniste, deux koras: l’une jouée par Ba, le chanteur, l’autre très particulière par Sékou, son frère, qui la transforme en guitare saturée par la volonté de ses pédales; et Kourou, le bassiste dansant. Ils sont fils et petits fils de griots mandingues, mais la musique des Ba Cissoko a les relents dansants d’un rock’n’roll guinéen, et ce soir-là, ils mettent le feu (musical) à la dune.

Le 1er janvier accueille en ouverture El Hillal – croissant de lune – groupe de Béni-Abbès qui joue la tradition festive du sud du Sahara, une musique à la croisée des montagnes de l’Atlas et du désert. Puis montent sur scène une partie du Cabaret nomade, les Sissoko et El Maya, pour une impro à base de cordes qui nous emmène jusqu’à minuit. Minuit seulement? Non, pas vraiment. Car tous les soirs, après les concerts en plein air, la «crèche» ouvre ses portes aux spectateurs noctambules. A chaque soirée sa surprise, et l’une des plus remarquables est sûrement une rencontre de cordes entre la guitare flamenco, la kora et le oud: deux heures d’improvisation fluctuant au gré des cultures, pour le bonheur de nos oreilles.

La réussite du festival tient donc pour beaucoup dans l’esprit avec lequel il a été conçu, nous avons l’assurance que l’événement aura une prolongation temporelle et géographique, et que nous retrouverons la «perle de la Saoura» l’année prochaine pour une onzième édition des Nuits Métis, et la seconde du El Hillal La Saoura.

Agnès Rougier