Haïti 2004
Alors que la "Première République Noire" fête ses 200 ans d'indépendance dans un climat chaotique, à l'étranger et en Haïti même, la musique réussit à conquérir cette société sens dessus dessous. À Port-au-Prince bien sûr, mais aussi à New York, Miami, Paris et Montréal où la diaspora musicale est portée par Wyclef Jean, Muzion, Carimi ou Tabou Combo. Ce week-end, Carimi est venu fêter le bicentenaire à Nanterre, en banlieue parisienne et a délivré son célèbre Bang-Bang.
Une leçon de vitalité musicale du pays et de sa diaspora
Alors que la "Première République Noire" fête ses 200 ans d'indépendance dans un climat chaotique, à l'étranger et en Haïti même, la musique réussit à conquérir cette société sens dessus dessous. À Port-au-Prince bien sûr, mais aussi à New York, Miami, Paris et Montréal où la diaspora musicale est portée par Wyclef Jean, Muzion, Carimi ou Tabou Combo. Ce week-end, Carimi est venu fêter le bicentenaire à Nanterre, en banlieue parisienne et a délivré son célèbre Bang-Bang.
Comme chaque année, à l'approche du carnaval, les studios Audioteck dans la banlieue nord de Port-au-Prince, sont pris d'assaut. Du matin très tôt au soir très tard, les groupes se succèdent pour enregistrer leur merengue pour le Carnaval 2004. Un titre qui sera joué en boucle toute la journée pendant les défilés. "Même si la situation n'est pas tout à fait normale, même si l'activité musicale s'est quelque peu ralentie, même si les affiches de concerts disparaissent des murs de la capitale, on continue à maintenir la production et à préparer le carnaval du bicentenaire" résume Lucnor Pierre-Louis du légendaire Orchestre Septentrional, et également animateur de deux émissions de radio à Port-au-Prince.
Le climat politique particulièrement tendu pendant le début des célébrations a empêché la tenue des nombreux concerts prévus, mais malgré tout, la vitalité culturelle tente de se maintenir. Historiquement parlant, mais aussi sur le plan de la création artistique, Haïti est un cas à part. Première (et seule !) république noire à déclarer son indépendance dès 1804, située à l'ouest d'Hispaniola (île qu'elle partage avec Saint Domingue), Haïti est une terre musicale des plus riches, au carrefour d'influences variées : africaines, coloniales avec les menuets, quadrilles, et autres contredanses, mais aussi latines avec les boleros, le son cubain voisin, et plus récemment nord-américaines avec le jazz, puis le rock, le funk et le hip hop, ou caribéennes avec le succès du reggae jamaïcain ou des musiques de carnaval.
A ce jour, plus de 200 merengue ont déjà été enregistrées pour célébrer l'indépendance, par des petits groupes ou les plus grands artistes du pays, tels que l'Orchestre Septentrional, le plus vieux groupe du pays qui s'apprête, à plus de 55 ans de carrière, à sortir un album en mars et devrait venir jouer prochainement en France, ou encore Azor, qui a pu enregistré son Célébration 2004 "sans trop de problèmes".
Malheureusement, certains artistes risquent de manquer à l'appel du Carnaval. Ce pourrait être le cas du légendaire Boukman Eksperyans. Inscrit dans la lignée nationale de rébellion, Boukman tire son nom du prêtre-vaudou qui en 1791, lors de la cérémonie du Bois-Caïman, aurait uni les groupes d'esclaves insurgés et lancé la grande insurrection qui aboutira à la révolution de 1804. Eksperyans renvoie à un insoumis plus contemporain : Jimmy Hendrix et son Experience. Né en 1978, ce groupe est le plus représentatif du mouvement racine moderne, qui prône un retour identitaire au versant africain des racines haïtiennes, qu’il actualise en les associant aux rythmes rock ou reggae. Les textes engagés de Lolo Beaubrun se posent sur un mariage réussi de tambours et bambous, avec des guitares électriques, basses ou arrangements reggae. Condamné à l'exil politique en Jamaïque, au début des années 90, Boukman a d'ailleurs enregistré dans les studios Tuff Gong de Marley. Aujourd'hui, Lolo a dû quitter son domicile après son engagement dans le collectif NON!, qui regroupe une centaine d'artistes haïtiens réclamant le départ de l'actuel président. Boukman a néanmoins joué à la mi-janvier à Miami pour célébrer le bi-centenaire au sein de la communauté haïtienne nord américaine, forte de plus de deux millions de personnes.
Autre artiste engagé, Bob Bovano est à cheval entre la France et son pays. Membre de la Fondation Terra Viva créée dans sa ville natale de Jacmel (sud de l'île) pour promouvoir une radio locale, des concerts et des échanges culturels, Bob Bovano s'inscrit dans la tradition des chanteurs à textes, tels de que Manno Charlemagne. Cet auteur compositeur interprète, qui choisit uniquement le créole, milite contre le libéralisme et le paiement de la dette au FMI.
Aujourd'hui, les regards se tournent également vers une nouvelle génération d'artistes influencés par la richesse du patrimoine musical haïtien, mais également par d'autres courants tels que le reggae ou le hip hop. Pendant le carnaval 2003, le groupe Kriz a remporté un succès énorme grâce à K.Naval 03, un titre dansant qui évoque les problèmes économiques et l'inflation auxquels est confronté le pays. Pour ces raisons, le groupe n'a pas pu participer officiellement au Carnaval, mais a remporté un succès d'estime populaire. Les Brothers Possee eux ont pu jouer sur le champ de mars en janvier 2004. Fortement marqués par le rap à leurs débuts, il y a neuf ans, les dix musiciens de Brothers Posse proposent désormais une version plus haïtienne des musiques actuelles où rock, rap et reggae se conjuguent en tendance roots haïtienne et rara du carnaval populaire. Ils ont signé la B.O du film haïtien "I Love You Anne".
Depuis quelques mois, Paris a de nouveaux chouchous haïtiens : un jeune trio d'exilés haïtiens, venus à New York pour terminer leurs études, Carimi, dont le fameux Bang Bang s'est vendu à plus de 100.000 exemplaires. S’inspirant de l’insécurité dramatique qui sévit dans leur pays natal, Carimi y cite abondamment Lucky Luke et a ainsi fait dansé toutes les Antilles. Ce week-end, ils ont une fois de plus enflammé la piste de l'espace Chevreuil à Nanterre, d'autant que pour la bonne cause il s'était adjoint les services du célèbre chanteur de Tabou Combo, Shoubou qui y chante depuis plus de 35 ans.
Tous émus par l'anniversaire de leur pays, ils n'ont pu que déplorer la situation, ont fermement tenu à ne faire aucune déclaration politique, en préférant plutôt défendre le Kompa et sa nouvelle génération. "Je suis ravi de travailler avec ces jeunes, lance Shoubou pour couper court au débat, nous allons même enregistrer un disque car aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. J'ai travaillé avec Malavoi, Kassav, Africando et je suis réellement fier de ces jeunes-là. Juchés sur les épaules des anciens, les modernes verront plus loin". De leur côté, les Carimi restent en contact avec différents artistes de l'île et projettent de construire des ponts entre New York et Port-au-Prince car "lorsqu'un artiste marche cela ouvre des portes pour tous les autres en Haïti" affirme Michael. "Comme tout Haïtien, notre rêve est de pouvoir retourner vivre chez nous de notre musique" confie son compatriote Carlo Vieux.
Carimi Nasty Biznis (Creon Music/Virgin)
Ti-Vice Vicetime (Creon Music/Melodie/M10)
Bob Bovano Soleyla Cho (Chiekomiyazaki/Fondation Terra Viva)
Wyclef Jean The Preacher's son (BMG)