Musiques nomades à Nouakchott

La première édition du Festival international des Musiques Nomades organisé à Nouakchott en Mauritanie entre les 8 et 12 février 2004 a rencontré un vif succès populaire. Reportage.

Nomadisme et métissages musicaux célébrés en Mauritanie

La première édition du Festival international des Musiques Nomades organisé à Nouakchott en Mauritanie entre les 8 et 12 février 2004 a rencontré un vif succès populaire. Reportage.

Quand on lui a demandé d’imaginer un concept de festival international de musiques à Nouakchott, Benoît Thiebergien n’a pas réfléchi longtemps. Si les grandes sécheresses des années 1970 ont entraîné une sédentarisation de sa population qui a convergé vers les villes, la Mauritanie est un pays dont l’identité est profondément ancrée dans l’idée de nomadisme. D’où l’idée d’un festival des musiques nomades. Concepteur et co-directeur artistique de cet événement (avec Lembarott Ould Mohamed El Hacen et Mohamed El Michery Athié, pour les artistes locaux), il est par ailleurs directeur des 38ème Rugissants, qui depuis quinze ans, propose à Grenoble une programmation axée sur les nouvelles transhumances musicales, et à l’initiative, également à Grenoble, d’un cycle de concerts intitulé Musiques nomades.

L’esprit nomade mis en scène à Nouakchott pendant le festival emprunte essentiellement des pistes qui vont des musiques des Maures à celles d’autres populations du Sahel, mènent aussi jusqu’au Rajasthan (le groupe Musafir) ou aux gitans de l’Europe du Sud. Il rappelle avec évidence que le nomadisme musical implique des interférences entre les cultures. Les musiques se rencontrent, se renouvellent, se métissent, organisent leur "rencontre des âmes" (traduction de "Wijdan", le projet rapprochant la musique des chasseurs du Mali et celle des gnaouas du Maroc, présenté par Sibiri Samaké et Brahim El Belkani, pendant le festival). "Aucune culture n’existe s’il n’y a pas métissage" affirmeAlexis Noos, invité à Nouakchott, pour animer une conférence-débat (co-auteur avec Francis Laplantine de l’ouvrage Métissages. De Arcimboldo à Zombi / Pauvert 2001). "Dans l’identité métisse, les composantes gardent totalement leur intégrité au sein de la nouvelle composition". En fait, dit le conférencier, la musique ne tient pas en place, elle est intimement liée à l’idée de nomadisme, il y a une "nomadité musicale" permanente et universelle.

Quand ils ont vu affluer le public le premier soir, au stade du Ksar, les organisateurs ont poussé un «ouf!» de soulagement. Même si les concerts sont gratuits, même si les jours précédents, des voitures ont sillonné les quartiers pour annoncer l’événement, même si Dimi Mint Abba qui ouvre le festival est l’une des stars du pays, on n’était sûr de rien. Le lendemain, pour Jean-Philippe Rykiel, se présentant avec le guitariste Goudia Kouaté et les frères Diadé et Moussa Cissé, deux chanteurs-conteurs soninkés du Giddimaxa, une région de Mauritanie proche du Mali, ils sont encore plusieurs milliers à se presser devant la scène ou assis dans les tribunes. Attentifs, enthousiastes, heureux d’être là, de goûter à ces plaisirs neufs qui leur sont offerts. A Nouakchott, hormis quelques propositions du Centre Culturel Français, mis à part la venue parfois d’artistes du Sénégal, le concert est une denrée rare, quant à un festival… on n’imaginait même pas que cela pouvait exister ici. Certains en rêvaient comme à une vague utopie.

Tous les soirs, malgré le froid piquant qui règne dès la nuit tombée, ce sera la même affluence au stade du Ksar. Même engouement du côté du CCF l’après-midi où se déroulent des concerts d’artistes mauritaniens, même soif de découvrir et d’apprendre devant les instruments de musique traditionnelle de Mauritanie, les photos exposées par Michel Guignard, spécialiste des musiques mauritaniennes, invité à Nouakchott où il présente également une conférence qui sera redonnée une seconde fois, pour cause de succès, à la demande de musiciens locaux. Si certains festivals organisés sur le continent africain se limitent à présenter des spectacles dans des lieux centralisés, oubliant les problèmes de distance, de coût de transport pour une large part de la population, ici on a voulu aller à la rencontre des gens, amener des musiciens au cœur des quartiers populaires. Moments de musique informels, organisés sous une khaïma (tente maure), les concerts décentralisés attirent à chaque fois une nuée de gamins joyeux, des hommes étonnés, des femmes attentives et manifestement ravies. Il y en aura une vingtaine pendant le festival dans les moughataas (communes) de Nouakchott, reflétant la diversité musicale de la Mauritanie, pays frontière entre le monde arabe et l’Afrique noire, carrefour où cohabitent cultures arabo-berbères et négro-africaines. On y entendra notamment la chanteuse issue d’une grande famille de griots Né’ma Mint Chouekh, que le public français découvrira pour la première fois sur scène quelques jours plus tard à la Cité de la Musique à Paris.